Pourquoi la Cour des comptes veut réformer l’octroi de mer ? par Me Leilla Lecusson, Avocate fiscaliste au Barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy

Pourquoi la Cour des comptes veut réformer l’octroi de mer ? par Me Leilla Lecusson, Avocate fiscaliste au Barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy

Le 5 mars 2024, la Cour des comptes publiait un rapport d’évaluation sur l’octroi de mer, proposant une réforme systémique, destinée à améliorer le dispositif. Les nombreux commentaires qui en découlent invitent à analyser les motivations retenues par la Cour, ainsi que les propositions formulées pour une réforme qui pourrait entrer en vigueur dès 2025. Les recommandations de la Cour des comptes ont toutefois été vivement critiquées par les élus ultramarins, malgré l’assurance garantie par Gérald Darmanin que la réforme n’impactera pas les finances des collectivités locales et ne s’appuierai pas sur le rapport de la Cour des comptes.

A titre liminaire, il faut rappeler que l’octroi de mer est applicable uniquement dans les DROM. Il constitue au sens du droit de l’Union européenne, une taxe d’effet équivalent à un droit de douane, puisqu’il s’applique aux marchandises importées, même lorsqu’elles sont en provenance de l’Union européenne. C’est donc la nécessité de compenser les handicaps structurels des économies ultramarines, qui conduit les instances de l’Union à autoriser temporairement l’application de l’octroi de mer à l’importation, sous réserve que les productions locales soient également assujetties. L’octroi de mer est donc un régime fiscal temporaire, actuellement en vigueur jusqu’en 2027, date à laquelle la France devra justifier de la nécessité de son maintien auprès de l’Union européenne.

C’est donc dans ce contexte que la Cour des comptes envisage une réforme à court terme pour améliorer le régime, tout en proposant de le supprimer en 2027, pour le remplacer par une TVA additionnelle régionale.

Transparence et simplification

La simplification porterait d’abord sur la réduction du nombre de taux. Alors que la TVA ne compte que 4 taux, il existe, tous DROM confondus, plus de 30 taux d’octroi de mer externe et 4 taux d’octroi de mer régional. C’est en ce sens qu’une proposition est formulée afin de réduire l’éventail de taux applicable.

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Concernant la nécessité d’introduire plus de transparence, elle devrait être recherchée au titre des exonérations accordées par les délibérations des exécutifs locaux. En effet, les conditions de recevabilité et d’examen des demandes, restent relativement opaques, de même que les motifs qui justifient l’octroi de ces exonérations. C’est en ce sens que le mise en place d’un règlement définissant les conditions d’octroi de ces exonérations est proposé, de même qu’un accès simplifié aux délibérations par la voie numérique.

Réduire les conséquences négatives pour les consommateurs

Le déficit de la balance commerciale des DROM mis en évidence par la Cour des comptes, rappelle la dépendance de ces territoires vis-à-vis des importations. Pourtant, l’essentiel des recettes de l’octroi de mer provient de la taxation des produits importés. C’est donc pour réduire le coût des importations, que la Cour propose d’exclure de l’assiette imposable à l’octroi de mer, les frais d’assurance et de fret. La diminution de l’assiette devrait donc entraîner une réduction du montant de l’octroi de mer et donc du coût des importations.

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Un autre facteur du renchérissement des prix, est l’incorporation de l’octroi de mer dans l’assiette de la TVA. Pourtant, l’article 45 de la loi relative à l’octroi de mer, prévoit expressément que l’octroi de mer ne doit pas être intégré dans l’assiette de la TVA. En pratique cependant, les difficultés à identifier la part de l’octroi de mer à chaque stade de la commercialisation d’un produit, conduisent inévitablement les opérateurs à calculer la TVA sur l’octroi de mer. Dès lors, la TVA supportée par le consommateur et donc le prix final du produit sont plus élevés. Il apparaît donc urgent de mettre en place les mesures nécessaires pour mettre fin à ce mécanisme contraire aux dispositions de la loi et à l’intérêt des consommateurs.

Enfin, la Cour propose également de ne plus appliquer d’octroi de mer à l’importation pour les produits pour lesquels il existe un monopole local. L’intérêt pour le consommateur serait donc d’accroître la concurrence dans ces secteurs pour favoriser la baisse des prix.

Mieux orienter les recettes en faveur du développement économique

L’essentiel des recettes de l’octroi de mer sont aujourd’hui affectées au budget des communes. Ces recettes participent plus au financement des dépenses de fonctionnement qu’à celles liées à l’investissement. Il est donc proposé d’augmenter la part des recettes de l’octroi de mer dédiées au Fonds Régional pour le Développement et l’Emploi afin de financer les dépenses d’investissement structurantes, permettant de doper la compétitivité des DROM.

Une suppression de l’octroi de mer en 2027 et sa substitution par une TVA additionnelle régionale

Au-delà de ces propositions de réforme systémique, d’autres propositions formulées par la Cour tendent à court terme, à une nationalisation de la gestion de la taxe pour accorder plus de compétences à l’État.

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Ainsi, à l’horizon 2027, la Cour des comptes n’écarte pas l’hypothèse d’un scénario de « rupture », dans lequel l’octroi de mer serait supprimé pour être remplacé par une TVA additionnelle « régionale » dans les cinq DROM. Avec cette nouvelle taxe, les DROM perdraient la compétence fiscale dévolue par l’octroi de mer. La perte de recette serait alors compensée par une dotation compensatrice et les producteurs locaux qui ne bénéficieront plus de la protection de l’octroi de mer, seraient destinataires d’une subvention.

Dès lors, si les DROM souhaitent conserver l’octroi de mer, il apparaît inévitable de travailler à une réforme systémique sur le court terme, afin de poser les jalons d’une réforme en profondeur de l’octroi de mer, qui permettra de justifier son maintien lors de la prochaine reconduction qui sera demandée à l’Union européenne.