Villes tropicales en métamorphose: « Je l’ai vu évoluer, se transformer, s’effriter, être délaissée »

Villes tropicales en métamorphose: « Je l’ai vu évoluer, se transformer, s’effriter, être délaissée »

©Jean-Marc Lecerf

Le 8 juin dernier se tenait au Sénat le premier colloque sur la Ville tropicale en métamorphose. Une manifestation sous l’égide et à l’initiative de notre partenaire Métamorphoses Outremers, dirigée par Dominique Martin-Ferrari. L’occasion pour les experts, élus, juristes, scientifiques de donner un sens à la ville tropicale de demain et de préparer la Conférence Habitat III qui aura lieu à Quito en octobre prochain. Lors de ce colloque, sept jeunes ultramarins, originaires de différents Territoires d’Outre-mer, ont livré leur vision de la ville tropicale qui sera le foyer des populations urbaines de demain. Outremers360 a décidé dans cette édition de livrer les témoignages de ces jeunes des Outre-mer qui portent leur enthousiasme sur les innovations technologiques et sociales de façon originale.

Hier, Jessy Rosillette nous dessinait sa Ville tropicale de demain. Aujourd’hui, c’est au tour d’Océane Patole de livrer sa vision de la Ville tropicale qui accueillera les prochaines générations.

« Je viens d’une ville tropicale qui est Fort-de-France ; je l’ai vu évoluer, se transformer, s’effriter, être délaissée ; j’ai entendu les récits des anciens sur son évolution, et pu décrypter l’impact des logiques formelles et informelles, qui d’une part définissent l’affectation des espaces conformément au schéma d’aménagement des activités socio-économique, et d’autre part qui encouragent l’appropriation des espaces à des fins personnelles.

Le Grand marché de Fort-de-France ©Gaël Chardon

Le Grand marché de Fort-de-France ©Gaël Chardon

C’est à partir de cette ville tropicale, que je vis comme un laboratoire de la ville tropicale de demain, entre traditions et modernité, avec la conservation et la mutation des traces matérielles, et du patrimoine immatériel, que je vous propose cette réflexion . Le maillage des villes tropicales et le concept de territorialité rendent compte de la manière dont les sociétés humaines impriment leurs pensées dans leur espace contenant ou en d’autres termes, comment ils expriment leurs rapports des sociétés à leur espace géographique respectif. La physionomie des villes tropicales se distingue par une opposition évidente entre la ville et la campagne. Elle se double d’une ruralisation de la ville, c’est-à-dire le fait de transporter les pratiques du monde rural en ville.

©Jean-Marc Lecerf

©Jean-Marc Lecerf

En fait, une ville tropicale avec ses racines et pratiques insérées dans la tradition, et ses visions portées vers la modernité donne ainsi à la ruralisation de l’espace urbain un cachet particulier. La ruralisation de l’espace urbain se traduit dans les villes tropicales par la mise en place d’une «identité spatiale collective » dans des quartiers ou on essaie de reproduire le même mode, voire le cadre de vie rurale. La ville est donc au fil du temps devenue un patchwork de divers peuplements, avec un littoral riche en commerces, des quartiers aux ambiances singulières et contrastées, un peuplement varié, avec de forts marqueurs sociaux. La ville porte l’inconfort, il faut redonner une qualité de vivre à la ville. (Re)Trouver le plaisir d’habiter « en ville », dans une île et une époque où l’on préfère résider individuellement, n’a rien d’évident. Ecrire par et pour le lieu doit partir d’une réalité climatique. En croisant topographie, chemin de l’eau, passage des corridors écologiques et trajet des vents. Il faudrait que les traces d’un patrimoine matériel comme immatériel dessinent la ville possible pour inscrire la géométrie d’un quartier dans la géographie du lieu.

Cathédrale de Fort-de-France ©Leobard

Cathédrale de Fort-de-France ©Leobard

Avoir une centralité attractive et figurable ainsi que des quartiers aux ambiances singulières pour garantir un peuplement varié, socle du vivre ensemble. Le sol cesse d’être ici un simple actif à valoriser pour devenir la ressource d’un nouvel établissement humain intense, économe et équilibré, prenant sa part dans l’essor démographique de nos villes. L’idée est, que l’espace public devienne un jardin pour tous. La nature reste aussi très présente: du vert et du bleu sur cette île qui aime le végétal avant tout. Les transports sont aussi au cœur de cette démarche. Cet équilibre doit être recherché en fondant le projet urbain dans le substrat écologique du lieu, en conjuguant les fonctions urbaines tout en offrant une palette de mobilités crédibles (TC cadencé sur TCSP, vélo électrique…) et enfin, en renonçant à l’ébriété énergétique (pas de climatisation des logements). La ville doit être plurielle, sans marqueurs social fort. La ville devrait permettre un lien social, il faudrait créer une ville inclusive pour les riches et les pauvres.

Canal de Fort-de-France ©NiaD

Canal de Fort-de-France ©NiaD

Que la ville assure à chacun, selon ses attentes, des situations urbaines diverses et variées. La programmation comme levier du durable. Engager une mutation profonde des modes d’habiter locaux, en réalisant une ville resserrée et mixte, harmonisant toutes les fonctions urbaines : se loger, travailler, profiter des services de proximité, commercer, se détendre et se divertir. Les mixités programmatiques, sociales et urbaines fondent le projet et apportent à l’échelle du bassin de vie, toutes les commodités. Que les diversités typologiques – logements collectifs, habitat intermédiaires ou logements individuels- répondent parfaitement à la volonté de diversifier les peuplements, y compris dans sa composante générationnelle. Construire avec éco-conscience la ville tropicale de demain doit trouver un équilibre quand il y a une trop grande concentration d’activités, et donc répondre à plusieurs objectifs:

  • La réduction de l’empreinte écologique des établissements humains est vitale pour la ville tropicale, conséquence directe de sa transition démographique et de son insularité.
  • L’arrêt de l’étalement urbain, le retour à la plurifonctionnalité de la ville, la structuration d’un réseau de transports en commun crédible, le développement des modes doux, la réintroduction des trames verte et bleue et de nouvelles manières de bâtir sont autant d’éléments qui y contribuent.
  • Les constructions contemporaines sont trop droites et n’intègrent pas l’abri, et il faut l’intégrer par rapport à notre climat tropical qui oscille entre soleil ardent et brusques averses.
  • En commençant par les orientations (toutefois soumises dans la centralité des règles d’insertion urbaine), pour se protéger aisément du soleil par des dépassées de toiture, des balcons…
  • Ecrire une typologie de logements satisfaisant le besoin d’extension privative extérieure, comme l’offre la maison individuelle.
Bibliothèque Schoelcher ©Gaël Chardon

Bibliothèque Schoelcher ©Gaël Chardon

Cette démarche bioclimatique, à l’échelle de ce qui est possible de faire dans l’urbanisme, devra trouver sa déclinaison dans le bâtiment et dans l’aménagement des parcelles, en favorisant chaque fois que possible les ressources locales (qu’elles soient énergétiques ou de matériaux) et en prêtant un soin particulier au projet paysager des espaces extérieurs. Le touriste ne doit pas être la priorité mais doit profiter de ce lieu déjà habité par les autochtones. Il faut créer une nouvelle ville nécessairement durable (socialement, économiquement et écologiquement), qu’elle soit inclusive et pas exclusive, confortable à la pratique, qu’elle concentre les activités sociales, économiques et culturelles ; qu’elle soit colorée et végétalisée ».

Océane Patole, Diplômée en Architecture, Fort-de-France, La Martinique