Le « tribut des outre-mer français » mérite « d’être rappelé en cette année 2020 », Vladimir Trouplin, conservateur du musée de l’Ordre de la Libération

Le « tribut des outre-mer français » mérite « d’être rappelé en cette année 2020 », Vladimir Trouplin, conservateur du musée de l’Ordre de la Libération

Soldats du Bataillon du Pacifique ©Musée de l’Ordre de la Libération

Historien et conservateur du musée de l’ordre de la Libération, Vladimir Trouplin revient sur « 2020, une année d’anniversaires historiques et mémoriels » dans le hors-série « Raconte-moi une Histoire d’outre-mer » du magazine « Itinéraires » édité par la direction outre-mer du groupe SUEZ. Un texte mémoriel publié en avant-première sur Outremers 360.

On sent souffler le vent de l’histoire

Ce riche numéro spécial d’Itinéraires d’outre-mer, « Raconte-moi une Histoire d’outre-mer », en jetant un éclairage sur les différents engagements combattants des outre-mer, nous rappelle d’abord que le 20e siècle fut le plus cruel et le plus violent de l’histoire de l’Humanité. Que, saignés par deux guerres mondiales et par les conflits de décolonisation, tous les continents de notre planète furent impactés et peu d’endroits du monde épargnés.

C’est pourquoi, en cette année 2020 marquée par de nombreux anniversaires historiques et mémoriels (notamment les quatre-vingts ans de l’Appel à la Résistance du général de Gaulle et des premiers ralliements de l’outre-mer à la France libre), il était utile de rassembler, dans ce recueil, histoires et témoignages qui, à l’échelle d’hommes et de femmes, évoquent la contribution des outre-mer à l’histoire militaire de la France au siècle dernier. Des 1 600 poilus de Guyane, dont 300 trouvèrent la mort sur le champ de bataille, jusqu’au parcours militaire du martiniquais Félix Perina en Indochine puis en Afrique, en passant par l’épopée du Bataillon du Pacifique et des parachutistes SAS calédoniens, on sent ainsi « souffler le vent de l’histoire ».

Il est important de ne pas oublier qu’il y a donc quatre-vingts ans, ce que l’on appelait alors l’Empire, c’est-à-dire les territoires français ou sous contrôle de la France en dehors de la métropole, a pris une part essentielle au refus de la pire défaite jamais consentie par notre pays et à la reconquête de son honneur un moment perdu. En effet, que serait devenue l’entreprise menée par le général de Gaulle sans l’aide de ces territoires et de leur population qui, en 1940, firent le choix de la « dissidence », selon la terminologie de l’époque, en se ralliant à la France libre ?

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Teriieroo a Teriirooiterai, ancien chef de Papenoo à Tahiti et compagnon de la Libération ©Musée de l’Ordre de la Libération

En choisissant de ne pas cesser le combat, les établissements français dans l’Inde, les Nouvelles-Hébrides, le Tchad, le Moyen-Congo, l’Oubangui-Chari et le Cameroun, Tahiti et la Nouvelle-Calédonie apportèrent bien sûr à de Gaulle des troupes pour les Forces françaises libres, des ressources économiques, des bases stratégiques pour la guerre en cours mais, surtout, des terres françaises, qui seules permettaient de constituer la matrice d’une France alternative, qui, elle, refusait d’abandonner le combat.

C’est bien depuis et par les outre-mer que s’est construite progressivement la légitimité du chef des Français libres

De ce point de vue, si l’on souscrit tout à fait au titre de l’ouvrage de l’historien canadien Eric Jennings, La France libre fut africaine, il est clair qu’elle fut aussi, à une échelle plus réduite, océanienne. Et c’est bien depuis et par les outre-mer que s’est construite progressivement la légitimité du chef des Français libres aux yeux des Français puis aux yeux des Alliés. Très rapidement de son côté, le gouvernement du maréchal Pétain ne s’y trompa pas qui, immédiatement après l’échec anglo-gaulliste de ramener dans la guerre l’Afrique occidentale française fin septembre 1940, pris toutes les mesures pour éviter d’autres basculements outre-mer, en particulier en Guyane et aux Antilles où pourtant la Martinique comme la Guadeloupe avaient voté dès juin 1940 leur résolution de continuer la guerre auprès des Britanniques.

Dès lors, les ralliements dans les outre-mer furent muselés et les territoires ne purent basculer ensuite qu’appuyés par la force militaire (Gabon, Levant, Saint-Pierre-et-Miquelon – comme le rappelle dans ce numéro Renaud Muselier – Wallis-et-Futuna, La Réunion, Madagascar, la côte française des Somalis…) à l’exception de la Guyane et des Antilles qui rejoignirent la France combattante grâce à la pression de sa population en 1943.

Ce tribut des outre-mer français méritait donc vraiment d’être rappelé en cette année 2020.

Vladimir Trouplin, conservateur du Musée de l’Ordre de la Libération

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©Musée de l’Ordre de la Libération

Retrouvez la suite de « Raconte-moi une Histoire d’outre-mer », édité par la direction outre-mer de SUEZ, le 19 septembre pour les 80 ans du ralliement de la Nouvelle-Calédonie à la France libre.

Biographie de Vladimir Trouplin

Vladimir Trouplin est historien et conservateur du musée de l’ordre de la Libération à Paris dont il a assuré la rénovation de 2012 à 2016. Il a publié plusieurs ouvrages comme le Dictionnaire des compagnons de la Libération (2010) ou Les compagnons de l’aube, archives inédites des Compagnons de la Libération (2014, avec Guillaume Piketty) et, plus récemment, codirigé Une certaine idée de la France… et du Monde : Charles de Gaulle à travers ses décorations (2019). Conseiller scientifique de plusieurs institutions, il est co-président du Prix littéraire de la Résistance (CAR-Souvenir Français).

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