Histoire Outre-mer – Polynésie : « Le 2 septembre 1940 c’est un peuple entier qui s’est levé ! », rappelle Édouard Fritch

Histoire Outre-mer – Polynésie : « Le 2 septembre 1940 c’est un peuple entier qui s’est levé ! », rappelle Édouard Fritch

Ce 2 septembre 2020, la Polynésie française commémore les 80 ans du ralliement des Établissements Français de l’Océanie (EFO-ancien nom de la Polynésie française) à la France libre. A cette occasion, SUEZ Outre-mer a interviewé Édouard Fritch, président de la Polynésie française, dans son numéro spécial « Raconte-moi une Histoire d’outre-mer » du magazine « Itinéraires d’outre-mer ». Interview publiée en avant-première sur Outremers360.

C’est en effet dès le 2 septembre 1940 que les EFO répondent à l’Appel du général de Gaulle et rejoignent la France libre, suivis le 19 septembre par la Nouvelle-Calédonie. Interviewé dans « Raconte-moi une Histoire d’outre-mer » pour commémorer cet anniversaire, Édouard Fritch rappelle que « le ralliement c’est le refus de la défaite et une volonté manifeste des populations tahitiennes de poursuivre le combat aux côtés des Anglais ». Parmi les artisans du ralliement, on trouve le « Metua », Pouvana’a a Oopa, ancien du Bataillon du Pacifique pendant la Grande Guerre, dont le grand-père d’Édouard Fritch, le diacre Richmond, fut l’ami et le compagnon de guerre.

Au fil de cette interview, le président de la Polynésie française rappelle l’épopée du Bataillon du Pacifique mais également l’engagement des volontaires Tahitiens, les Tamari’i Tahiti, « dans toutes les unités de la France libre ou alliées et sur tous les théâtres d’opérations » sans oublier une histoire souvent méconnue : la célèbre île de Bora Bora devenue base de l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pourquoi un territoire aussi éloigné de la France et de la guerre décide-t-il de poursuivre le combat ? 

Je me suis toujours intéressé au sujet car un de mes grands aînés a été un combattant de la Grande Guerre. Le ralliement c’est le refus de la défaite et une volonté manifeste des populations tahitiennes de poursuivre le combat aux côtés des Anglais. L’élément déclencheur dans le milieu tahitien, c’est bien le refus des lois de Vichy promulguées par le gouverneur Chastenet de Géry dans les EFO. Nos grands aînés sont les fils de ceux qui ont combattu dans les rangs du Bataillon mixte du Pacifique pendant la Grande Guerre. Mais, il y a une différence notable. Les Poilus tahitiens étaient des conscrits alors que les Tamari’i Tahiti (enfants de Tahiti) de l’été 1940, eux, seront des volontaires qui ont refusé l’arbitraire. Le Comité de la France libre va rassembler d’abord des notables mais aussi beaucoup d’anonymes. C’est un peuple entier qui s’est donc levé !

Parmi les artisans du ralliement, on trouve « le Metua », Pouvana’a a Oopa ? 

Natif de Huahine, Pouvana’a n’est que sujet français et ne peut faire l’objet de la conscription qui est mise en œuvre fin 1915. Pouvana’a sera du dernier contingent qui arrivera en 1917 en France. C’est cet engagement républicain qu’il est fondamental de retenir : il fut un patriote, combattant engagé dans la Grande Guerre. Son fils Marcel Marcantoni Oopa suivra à son tour les pas du père dans les rangs du Bataillon du Pacifique.

©Musée de l’Ordre de la Libération : Bataillon du Pacifique

Pouvana’a a Oopa, membre fondateur du Comité de la France libre s’éloignera progressivement par ses convictions politiques du général de la France libre. Mais je pense qu’il restera un gaulliste de cœur. Je suis convaincu que Pouvana’a était un homme de foi et épris de justice sociale, fortement inspiré de l’Évangile. Mon grand-père Richmond, diacre protestant, était un ami de Pouvana’a et un compagnon de guerre. J’ai donc un souvenir fidèle des propos de mon aïeul.

Pouvana’a était sans doute celui qui a, le premier, exprimé publiquement et politiquement ses convictions pro-polynésiennes, convictions autonomistes qui ont été interprétées, avec les raccourcis de l’époque, comme une revendication indépendantiste.

C’est une histoire méconnue en dehors de la Polynésie mais la célèbre île de Bora Bora a servi de base à l’armée américaine pendant la guerre. Pourquoi ?  

Pour la présence américaine à Bora Bora, je retiens l’éclairage politique et diplomatique. Bien avant Pearl Harbor, les Américains ont demandé à leurs futurs alliés la possibilité de pouvoir disposer de terrains d’atterrissage dans le Pacifique sud pour leur aviation. Le Général de Gaulle mesure alors l’opportunité que lui procurent les îles de la Société. Elle lui permet de négocier avec les Américains sur un pied d’égalité, de se faire reconnaitre comme chef de la France libre. Elle permet aussi d’asseoir sa légitimité politique et le maintien d’une souveraineté française sur ces îles. Mais il n’accepte qu’une base, à Bora Bora.

L’épopée du Bataillon du Pacifique, où Tahitiens et Calédoniens s’illustrent par leur bravoure, notamment lors de la bataille de Bir Hakeim, est bien connue.  Mais les Tahitiens s’engagent aussi dans les Forces Aériennes et Navales de la France Libre ?

Effectivement, la mémoire collective ne retient souvent que l’épopée du Bataillon du Pacifique. Or les Tahitiens ont été aussi engagés dans toutes les unités de la France libre ou alliées et sur tous les théâtres d’opérations. Nos contemporains savent désormais le fort engagement de leurs pères dans le tourbillon des deux guerres mondiales.

J’ai connaissance de trois autres tamari’i Tahiti avec Maxime Aubry dont Ari Wong Kim, dernier survivant du Bataillon du Pacifique. Les valeurs transmises par les derniers survivants de cette épopée sont inéluctablement leur abnégation, leur solidarité et leur amour de la patrie. S’ils devaient repartir, ils le feraient sans hésitation. Ils doivent être aujourd’hui des repères pour nos générations actuelles, pour nous permettre d’avancer dans la construction de la Polynésie d’aujourd’hui, et pour nous permettre de surmonter toutes épreuves ou défis. C’est la raison pour laquelle le devoir de mémoire reste important afin que leurs engagements n’aient pas été vains et ne tombent pas dans l’oubli.

Retrouvez ce mercredi l’interview de Vladimir Trouplin, conservateur du musée de l’ordre de la Libération, qui expliquera comment, « depuis et par les outre-mer, s’est construite progressivement la légitimité du chef des Français libres aux yeux des Français puis aux yeux des Alliés ». Rendez-vous également le 19 septembre pour la commémoration des 80 ans du ralliement de la Nouvelle-Calédonie à la France libre. 

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