Bertrand Camus, Directeur général du groupe SUEZ ©DR
En ce 8 juin, Journée mondiale de l’Océan, la rédaction d’Outremers360 s’est entretenue avec Bertrand Camus, Directeur général du groupe SUEZ. Acteur majeur de la gestion de l’eau et des déchets, les métiers du groupe sont inéluctablement associés à la protection des océans.
Lors de cette interview, Bertrand Camus nous explique l’engagement de SUEZ en faveur de la protection des océans, l’importance de ces sujets pour les Outre-mer ou encore, les priorités de la relance économique post-Covid. Selon Bertrand Camus : « indépendamment de ce qui s’est passé avec la vague pandémique et ce qui va arriver avec la vague économique, la vague la plus importante est celle du changement climatique, de l’extinction du vivant ».
Outremers360 : Nous sommes le 8 juin, Journée mondiale de l’Océan, pourriez-vous nous présenter l’engagement de SUEZ en faveur de la protection des océans ?
Bertrand Camus : Fondamentalement, nos métiers sont au cœur des enjeux de l’Océan puisque 80% des pollutions qui se retrouvent dans les Océans proviennent des activités terrestres, et une autre partie, de la pollution maritime. La gestion du cycle de l’eau et en particulier dans l’assainissement, c’est-à-dire le fait de mieux gérer les eaux usées, les eaux de pluies, les collecter et les traiter avant de les remettre dans le milieu naturel, participe à éviter que les pollutions se retrouvent dans les rivières et les océans. Il en est de même pour ce qui concerne les déchets, le fait de les collecter, les éliminer ou de les recycler et de les revaloriser permet d’éviter qu’ils se retrouvent dans les océans.
Jusque dans les années 80 dans l’Hexagone, il y avait très peu d’eaux usées qui étaient traitées. Elles étaient rejetées en mer en pariant sur la capacité de l’Océan à dépolluer ou absorber ces pollutions. Depuis, les collectivités se sont équipées de stations d’épuration et aujourd’hui on parle même de traitement tertiaire pour éliminer d’autres types de pollution (micro plastiques, médicaments, etc.).
Ces enjeux font partie de nos métiers et de nos engagements, avec un vrai sentiment d’urgence. Aujourd’hui, la production mondiale de plastique représente 300 millions de tonnes, et s’élèvera jusqu’à 500 millions de tonnes dans les 10 prochaines années. Au regard de ce qui finit dans la nature parce que c’est mal collecté, mal éliminé, il faut absolument mettre en place des dispositifs. Je pense notamment aux décisions réglementaires comme l’interdiction du plastique à usage unique, et à la mise en place de schémas de collecte, d’élimination et de recyclage.
A titre d’exemple, SUEZ fait partie d’une alliance pour l’élimination des déchets plastiques : elle regroupe à la fois ceux qui produisent du plastique, ceux qui collectent et recyclent, et ceux qui les utilisent, comme les grands noms de la mise en bouteille, et tous ces organismes souhaitent mobiliser des fonds pour mettre en place ces schémas de collecte, d’élimination, de recyclage et de revalorisation de plastique.
Justement comment concrètement le traitement des déchets et des eaux usées qu’entreprend SUEZ aujourd’hui répond à cet engagement de protection des Océans ?
Pour ce qui est de l’assainissement des eaux usées, il faut les collecter et les traiter dans les stations d’épuration. C’est une première dimension. Aujourd’hui, si je prends la législation, très variable d’un pays à l’autre, les traitements sont essentiellement secondaires c’est-à-dire qu’on élimine les pollutions organiques, les pollutions azotes ou phosphore, elles-mêmes responsables de contaminations liées par exemple aux algues vertes.
Mais la plupart des stations d’épuration ne traitent pas par exemple les micro-plastiques. Lorsque l’on fait une machine à laver par exemple, 700 000 microfibres passent à travers les traitements et finissent dans les rivières et les océans. Il y a des choses qui sont faites à ce sujet pour améliorer la situation. En France, il a été décidé de mettre des filtres à la sortie des machines à laver. Je rappelle que les technologies d’élimination de ces micro plastiques, avec des membranes, existent, c’est simplement une question de réglementation et de financement pour les mettre œuvre. À Sète par exemple, nous avons une station d’épuration qui est en cours de reconstruction et le maire a décidé de mettre du traitement avec membranes qui arrêtent 95% des microfibres et micro-plastiques.
Autres types de pollutions qui passent à travers les stations d’épuration : les virus ou encore, les hormones présentes dans l’alimentation et qu’on ingère. Des traitements existent, nous travaillons actuellement sur leur mise en place en Suisse par exemple. Notre technologie permet de mieux préserver le milieu naturel à un moment où le réchauffement climatique va le rendre de plus en plus fragile. Pour préserver le milieu naturel et la biodiversité nous devons rejeter des eaux qui soient beaucoup mieux traitées.

Station d’épuration à Dumbéa, Nouvelle-Calédonie ©DR
Ce qui est très important aussi, ce sont les eaux de pluies qui lavent les sols urbains et agricoles, et se retrouvent aussi en milieu naturel. Et là aussi, au-delà de ce qu’on peut faire sur la sobriété agricole par exemple, le fait de mettre moins de contaminants dans la production, il est important de pouvoir récupérer ces eaux, les mettre de côté et les traiter. Pour cela, il faut des infrastructures, des bassins d’orage, et on y met d’ailleurs beaucoup d’intelligence, de gestion dynamique avec des nouvelles technologies pour mieux gérer l’infrastructure. C’est typiquement ce que SUEZ a installé à Marseille ou sur la Côte basque.
Enfin, concernant les plastiques, la première chose à faire c’est la collecte et l’élimination, soit avec une revalorisation énergétique ou soit avec un centre d’enfouissement, en fonction des pays. Nous sommes aujourd’hui de plus en plus sur des technologies de recyclage, dans le cadre de l’économie circulaire. Cela suppose que les produits soient conçus pour être recyclés et pas juste vendus pour être jetés. Cela passe par la technologie mais aussi par une réglementation qui oblige à réincorporer une partie de ces matières recyclées.
Par exemple, si nous nous inspirons du recyclage du verre, aujourd’hui c’est très bien organisé : il est collecté, recyclé et revalorisé pour la production de bouteilles en verre. Il faut pouvoir arriver à monter les mêmes filières sur l’ensemble des déchets de façon à leur donner une deuxième vie et qu’ils ne se retrouvent pas dans la nature et les Océans.
Difficile de parler de la Journée mondiale de l’Océan sans parler des Outre-mer. Sur quels territoires et de quelle manière y êtes-vous présents ?
Dans les Outre-mer, nous sommes l’acteur principal dans le domaine de l’eau, notamment en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Sur l’île de La Réunion, nous sommes essentiellement dans la gestion des déchets et dans l’océan Atlantique, nous sommes présents en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. De manière générale, nous sommes l’acteur principal dans les métiers de l’eau en Outre-mer.
À Bora Bora, en Polynésie française, SUEZ a accompagné la création d’un Osmosun, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette technologie et son importance pour une île ?
Bora Bora est un très bon exemple car c’est une île où le Groupe a beaucoup innové. Il y d’abord eu la vision de collecter les eaux usées de façon à éviter à ce qu’elles ne finissent dans le lagon et ainsi on constate une nette amélioration de la qualité d’eau. C’est un des premiers endroits où il y a eu de la réutilisation des eaux usées, en particulier dans les hôtels, pour faire de l’arrosage ou d’autres usages non-alimentaires. Et parmi toutes ces innovations, il y a eu l’Osmosun dont le principe est de produire de l’eau potable à partir d’eau de mer en utilisant de l’énergie renouvelable, solaire plus particulièrement.

L’Osmosun de Bora Bora ©SPE
C’est un système intéressant qui fonctionne sans batterie et qui produit de l’eau en fonction de l’exposition au soleil. Et comme ce sont des endroits où il y a parfois des nuages qui passent, les variations d’intensité de l’énergie sont assez importantes. C’est pourquoi le système de dessalement s’adapte automatiquement, s’accélère ou ralentie en fonction de l’intensité lumineuse. Ça permet d’avoir des solutions autonomes pour produire de l’eau sans réseau électrique. Et ce système pourrait être étendu à d’autres îles, d’autres atolls où il n’y a pas de réseau d’électricité mais la mer.
Dans cette période post-épidémie, est-ce que SUEZ porte une vision sur ce que sera, ce que devrait être le monde d’après ?
Sur ce sujet, nous sommes constants dans notre vision. Nous avons publié notre « raison d’être » il y a peu de temps, nous avons un plan stratégique. Je constate qu’indépendamment de ce qui s’est passé avec la vague pandémique et ce qui va arriver avec la vague économique, la vague la plus importante est celle du changement climatique, de l’extinction du vivant, et elle a tendance à s’accélérer. Il y a une urgence à agir maintenant si nous voulons pouvoir garder un monde vivable et durable sur le long terme.
Cela passe par la mise en place de solutions, par un investissement dans ces sujets, et bien entendu aussi par le fait d’avoir des activités qui soient le plus neutre possible au point de vue carbone. Et ce n’est pas une option, c’est une obligation. Au sein du Groupe SUEZ nous visons la neutralité carbone à l’horizon 2050 et la mise en place de solutions durables qui ont un impact positif sur le climat et sur nos sociétés. Pour y parvenir, il faut investir dans les schémas de collecte, d’élimination, de revalorisation et de recyclage des déchets, et de traitement des eaux usées.
Si je prends l’exemple de l’Europe, cela fait 10 ans que l’on fait du surplace. Nous avons certes beaucoup progressé dans les années 80 et 90 sur ces sujets et depuis 10 ans, je constate moins de progrès dans l’amélioration des normes alors que les technologies existent. C’est une question de volonté politique d’investir dans ces sujets en priorité dans la relance économique verte.
Les Outre-mer sont des territoires à la fois exposés et précurseurs sur toutes ces questions. Quand je regarde la barrière de corail calédonienne, les îles de Polynésie mais aussi celles des Caraïbes, ce sont des endroits exposés et plein d’innovations. Quand on parle de relance et d’investissement, ce sont des territoires sur lesquels il faut investir prioritairement. Ce sont des territoires, des populations qui sont exposées et sur lesquels il faut accélérer et y mettre prioritairement en œuvre les solutions pour qu’ils continuent d’être vivables sur le long terme.

L’intérieur de la station Osmosun de Bora Bora ©SPE
Bertrand Camus, Directeur général Eau France de Suez, en visite en Polynésie