Venezuela : Une Nation dans le chaos

Venezuela : Une Nation dans le chaos

Que se passe-t-il au Venezuela ? Le Pays qui fut jadis un des porte-drapeaux d’une Amérique latine en croissance est aujourd’hui plongé dans un chaos économique, social et politique sans précédent. Loin des yeux et des caméras du monde, les Vénézuéliens impuissants subissent « la violence, aggravée par la faim et le manque de confort ». Pour en parler, Outremers360 a fait appel à une étudiante en Lettres, franco-vénézuélienne, née à Caracas. Si elle et sa famille ont quitté le Venezuela il y a plus d’une dizaine d’années, ceux-ci gardent l’esprit rivé outre-atlantique et assistent impuissants à la longue agonie de cette Nation, tout en reconnaissant l’espoir suscité par les dernières élections législatives dont l’opposition est sortie vainqueur.

« « Gloire au peuple brave, Qui s’est défait du joug, En respectant la Loi, La vertu et l’honneur… ». Ces premières paroles de l’hymne vénézuélien, connu parfois comme la Marseillaise Vénézuélienne, je les ai répétées en compagnie de mes camarades de classe chaque matin dès mon plus jeune âge », explique Bertha, émigrée vénézuélienne, l’air songeur. Plus qu’un rituel, presque un serment, cet hymne représente l’amour inaliénable des Vénézuéliens pour la Liberté. Pourtant aujourd’hui, le Venezuela semble pris au piège du cercle vicieux d’une crise économique, politique et sociale. L’accusé parfait est alors le président en fonction depuis trois ans, Nicolas Maduro. Mais la situation actuelle semble s’être installée progressivement, depuis de nombreuses années.

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L’arrivée au pouvoir de Chavez est faite de promesses et représente un véritable pari d’avenir pour la majorité des classes populaires

En 1999, Hugo Chavez arrive au pouvoir de ce qui deviendra la République Bolivarienne du Venezuela. Militaire à la tête d’un coup d’Etat en 1992, issu du peuple et de la province, il apparaît alors comme un espoir de révolution pour certains et comme une menace à long terme pour d’autres. A l’échelle internationale, Chavez est tantôt critiqué, tantôt honoré des plus beaux éloges.

En effet, depuis la chute de la dictature de Marcos Perez Jiménez en 1958, le Venezuela fait face à des bilans économiques, politiques et sociaux mitigés : la pauvreté concerne la majorité de la population, en 1989 ont lieu des émeutes écrasées dans le sang par le gouvernement, des scandales de corruption destituent des figures politiques éminentes, pendant que la démocratie se stabilise et que le potentiel de croissance s’affirme. L’arrivée au pouvoir de Chavez est donc faite de promesses et représente un véritable pari d’avenir pour la majorité des classes populaires. Il sera président jusqu’à son décès en 2013; son Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), créé en 2008, dirige encore le pays.

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Si l’idéologie bolivarienne a régné aussi longtemps, c’est en partie grâce à un bilan social jugé positif. Entre 2003 et 2008, le taux de pauvreté diminue de moitié alors que les inégalités tendent à s’affaisser. Le revenu minimum est augmenté à plusieurs reprises, l’accès à la nourriture est facilité -parfois distribuée gratuitement- par des programmes sociaux du gouvernement, l’éducation est valorisée et on annonce une augmentation des projets de logements sociaux. Cependant, l’idéal politique recherché s’effrite bien avant le décès de Chavez: le taux de pauvreté remonte alors que la classe moyenne semble s’effacer, le revenu minimum mensuel tombe à environ dix euros en 2015, les constructions sont abandonnées ou bâclées comme en témoigne l’effondrement fréquent de bâtiments sociaux… A cela s’ajoutent des décisions gouvernementales en matière de diplomatie, d’économie et de démocratie, mais aussi une forte hausse de la criminalité, qui assombrissent rapidement le caractère providentiel d’un Etat omniprésent.

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« Militaires corrompus le peuple a faim »

Dans ses discours télévisés quotidiens, le président se veut l’ennemi n°1 des Etats-Unis, utilisant parfois des termes qui le discréditent auprès des autres Etats mais aussi d’une partie du peuple vénézuélien. Toute personne aisée, voire de la classe moyenne, est désignée par le terme « oligarque ». Les relations avec les Etats-Unis se dégradent, tandis que la proximité du gouvernement vénézuélien avec des Etats dictatoriaux comme la Lybie de Kadhafi se concrétise et inquiète. Le rapprochement avec Cuba, alors encore en autarcie, est perçu comme une union symbolique de pays anti-impérialistes et s’inscrit dans l’économie du pays avec par exemple, l’échange de pétrole vénézuélien contre 20 000 médecins cubains. La récente ouverture de Cuba au monde laisse certains vénézuéliens pantois ou apparaît pour d’autres comme une trahison. Pour Moises Naim, ancien ministre vénézuélien, l’anti-impérialisme ostentatoire n’a été qu’un subterfuge pour détourner le peuple des véritables problèmes du pays.

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En matière d’économie, l’inflation galopante est ignorée par le gouvernement, malgré des mises en garde du Fonds monétaire international (FMI), que le Venezuela quitte en 2007. Le contrôle des changes, renforcé dès l’arrivée de Chavez au pouvoir, entrave l’entrée de monnaie étrangère dans le pays et déséquilibre le marché : peu à peu, les entreprises étrangères (alimentaires ou de transport aérien notamment) quittent le territoire vénézuélien ou sont expropriées. Aujourd’hui, les systèmes de distribution de nourriture, l’inflation devenue progressivement hyperinflation et les expropriations en masse semblent quelques sources du chaos dans lequel est plongé le pays.

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En outre, les services de renseignement -placés directement sous les ordres de Chavez en 2008- se font de plus en plus craindre par la population à mesure que s’installe la révolution bolivarienne. En avril 2007, l’Etat décide la disparition de la chaîne RCTV -populaire au Venezuela et très critique vis-à-vis d’Hugo Chavez- des réseaux hertziens: elle est accusée d’avoir soutenu le coup d’Etat de Pedro Carmona en 2002. Deux ans plus tard, l’Etat fait fermer plus de trente chaînes. Une ambiance orwellienne s’installe tandis que des portraits du « commandante » se multiplient sur les murs de Caracas ; il est alors courant d’entendre chuchoter « ne dis pas de mal de Chavez en public, tu pourrais nous causer des problèmes » alors que d’autres disent qu’« il faut être chaviste pour garder son emploi ». La multiplication d’emprisonnements politiques contribue également à ce tabou qui s’installe alors que la criminalité augmente: en 2015, le Venezuela devient également le pays le plus corrompu selon l’agence Transparency International et Caracas, une des villes les plus dangereuses au monde avec 120 homicides pour 100 000 habitants. La corruption au sein du gouvernement et de la police, quant à elle, est minimisée dans les médias locaux.

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Le Venezuela est la première réserve mondiale de pétrole attestée : la ressource représente plus de 96% de son PIB et environ 50% du budget national. La baisse des cours du pétrole entraîne donc des pertes financières pour le pays et le manque de politiques économiques, financières et diplomatique stables semblent avoir semé les graines d’une situation de plus en plus critique. Depuis le 24 juillet 2015, les vénézuéliens ont besoin d’un visa pour voyager à Cuba: l’alliance fraternelle est-elle compromise ? Ce qui semble certain, c’est qu’émigrer semble aujourd’hui une solution vitale pour certains Vénézuéliens : sur les réseaux sociaux, on voit se multiplier les annonces de départs à l’étranger.

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Aujourd’hui, l’espoir réside dans une opposition soudée face au président Maduro et au PSUV. Cette opposition est composée d’une coalition de plusieurs ailes politiques qui forment la Table de l’Unité Démocratique (Mesa de la Unidad Democratica ou MUD). Le leader qui s’y impose est Henrique Capriles, avocat caraqueño, gouverneur de l’Etat de Miranda depuis 2008 et ancien président de la Chambre des députés. Lors des élections présidentielles de 2012, il récolte 44,3% des voix face à Chavez puis 49,1% face à son successeur désigné puis élu, Nicolas Maduro.

Nicolas Maduro, successeur d'Hugo Chavez à la présidence du Venezuela

Nicolas Maduro, successeur d’Hugo Chavez à la présidence du Venezuela

Les élections législatives de décembre 2015 ont attribué la majorité des sièges à la MUD. Cet événement majeur menace le règne du PSUV. En effet, aujourd’hui, sept vénézuéliens sur dix souhaitent le départ de Maduro : ils ont été plus de 1,3 million à signer et apposer leurs empreintes digitales pour un référendum révocatoire. Cependant, celui-ci semble compromis alors que le président s’est déjà attribué des pouvoirs spéciaux et que des membres du gouvernement accusent l’opposition d’avoir trafiqué les signatures : « Il y a eu de la fraude. J’affirme que 10 000 empreintes correspondent à celles de personnes décédées » avance le coordinateur chaviste de la Commission de Vérification des Signatures, qui souhaite solliciter à nouveau le Conseil National Electoral (CNE). L’opposition accuse le gouvernement de vouloir repousser au maximum, voire d’annuler, le référendum. Le gouvernement acharné à rester au pouvoir, martelant que les pénuries sont causées par un complot de l’opposition ou encore, Maduro qui plaisante publiquement sur les queues interminables pour se procurer de la nourriture, contrastent avec un peuple vénézuélien impuissant qui subit la violence, aggravée par la faim et le manque de confort.

Un militant du MUD en liesse à Caracas ©Ariana Cubillos / AFP

Un militant du MUD en liesse à Caracas ©Ariana Cubillos / AFP

« On en a marre. Je ne veux pas partir d’ici, je suis chez moi. Les médias se fichent de nous en disant que tout va bien et qu’il n’y a pas de problème alimentaire : pour manger autre chose que du riz, je suis obligé de faire du troc. C’est la lutte de David et Goliath mais nous sommes vénézuéliens et Dieu est de notre côté », espère Manuel, employé du ministère de l’Ecologie.

 

Ixchell GM