©Archives / Albert Huber
Lors d’une conférence de presse ce mardi 18 septembre en Nouvelle-Calédonie, le parti indépendantiste FLNKS a estimé que 63% des 174 154 électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale (LESC) sont Kanak, de statut relevant du droit coutumier ou civil. Pierre-Christophe Pantz, docteur en Géopolitique des Territoires Kanak, tempère.
Selon les calculs du FLNKS, 109 892 électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale (ou référendaire) seraient Kanak, sur les 174 154 au total. Pour en arriver à ce résultat, il faut faire le total des électeurs de droit coutumier, 80 120 inscrits recensés par l’État, ajouté à celui des électeurs Kanak ne relevant pas du droit coutumier, 29 772. « C’est une bonne nouvelle », estime Aloisio Sako, membre du bureau politique du parti indépendantiste Kanak. « C’est bien pour cela qu’on s’est battus pour geler le corps électoral, parce qu’il y a eu cette politique de mettre en minorité les Kanak. Eh bien, en bloquant le corps électoral, on voit maintenant apparaître les Kanak en majorité et ça, c’est salutaire pour le pays », poursuit-il au micro de NC 1ère.
« Les Kanak seront-ils majoritaires ou minoritaires sur la LESC ? »
Dans un article publié sur Facebook lundi, le docteur en Géopolitique des Territoires Kanak, Pierre-Christophe Pantz, aborde prudemment la question tout en y apportant les nuances nécessaires à la lecture des évolutions démographiques calédoniennes. « Lors du dernier recensement de la population (2014), l’ISEE comptabilisait 39% de Kanak (soit 105 000 sur 269 000 personnes). Compte tenu des conditions d’éligibilité, les Kanak seront-ils majoritaires ou minoritaires sur la LESC ? », s’interroge-t-il. « Il semble nécessaire de faire preuve de vigilance et de précaution, notamment par rapport à ce que l’on entend par « Kanak » et par rapport aux délimitations relativement variables, selon le sentiment d’appartenance des membres à ce peuple. (…) Mais globalement, seuls deux éléments quantitatifs permettent d’éclairer cette question : le statut (coutumier ou de droit commun) et la communauté d’appartenance déclarée lors du dernier recensement ».
« Les décomptes du corps électoral dans les années 1960 ainsi que les recensements de population à partir de 1963 témoignent d’une mise en minorité des Kanak par l’intensification des vagues migratoires concomitantes du boom économique de l’époque et par la politique conservatrice en vigueur », indique-t-il. « Le basculement du rapport de force démographique et électoral pendant cette période explique sans doute pourquoi les Kanak n’ont pas réussi à accéder à l’indépendance au moment de la « vague des indépendances océaniennes » des années 1970-1980 ». Pour le spécialiste, cette mise en minorité entraine le durcissement du mouvement indépendantiste qui arrive à son paroxysme lors des Événements des années 80, puis par la signature des Accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998).
« Par leur potentiel démographique et électoral, les Kanak ont réussi à s’imposer comme légitimes, à faire entendre leur revendication et à initier le processus des Accords (Matignon puis Nouméa). C’est cette équation démographique et politique singulière sans équivalent dans le reste du monde qui explique pourquoi nous assistons depuis plus de 20 ans à un processus institutionnel progressif de décolonisation ».
« Les personnes de statut coutumier représenteront 46% de la LESC »
« Avant la procédure d’inscription d’office », acté lors de la modification de la loi organique de mars 2018, « il y avait 158 000 inscrits (88 000 de droit commun et 70 000 de statut coutumier). Avec la publication des chiffres définitifs, il y a donc 174 154 inscrits. On peut donc déduire qu’il y a globalement eu 10 120 inscriptions d’office pour les natifs de droit coutumier et 6 034 pour les natifs de droit commun (soit un ratio de 63% contre 37%) ». Avec l’inscription d’office des natifs calédoniens, « on est donc dans un ratio de 80 120 personnes de statut coutumier et 94 034 droit commun », confirme-t-il, « soit respectivement 46% et 54% du corps électoral ».
« Toutefois, il me semble important d’utiliser ces chiffres avec beaucoup de précaution pour éviter les constats simplistes et erronés. En effet, s’il ne fait aucun doute que la quasi-totalité des personnes de statut coutumier sont d’origine kanak, en revanche, aucune étude n’a réussi à mesurer l’évolution de la part de Kanak parmi les personnes relevant du droit commun ». Prudent et méticuleux dans son analyse, Pierre-Christophe Pantz relève de multiples « éléments » à prendre en compte, comme « les données concernant les « communautés d’appartenance » collectées par l’ISEE lors de chaque recensement », le métissage, le déterminisme et « le potentiel du vote indépendantiste » appuyé sur des critères ethniques, et surtout, « la prévalence d’un fort taux d’abstention chez la population kanak et en particulier, chez les plus jeunes ».