Alors que l’Assemblée nationale va étudier, ce jeudi 11 avril, le projet de loi organique visant à modifier le statut d’autonomie de la Polynésie française, des partis politiques, associations et institutions ont déjà pointé du doigt la formulation du futur article 1er portant sur la reconnaissance de l’État à la « contribution » de la Polynésie « à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation ».
Ainsi, dans une lettre adressée au Premier ministre le 27 mars et rendue publique ce mercredi, le représentant de la Polynésie au CESE, Christian Vernaudon, souligne une rédaction « particulièrement inappropriée pour exprimer ce que les Polynésiens attendent en matière de reconnaissance ». Plus précisément, le gouvernement Philippe a proposé la rédaction suivante (voir annexe) : « La République reconnaît la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation ». Une rédaction qui avait déjà été contestée par les opposants indépendantistes du Tavini Huira’atira, mais aussi par les associations anti-nucléaires qui avaient demandé à la ministre des Outre-mer, début mars, le retrait du terme « contribution ».
De son côté, le Conseil économique, social et culturel (CESC) de Polynésie avait, dans un avis du 18 décembre 2018 voté à 36 voix sur 40, proposé une rédaction « radicalement différente » de l’actuel futur article 1er du projet de loi organique portant modification du statut de la Polynésie : « La République reconnait que le « fait nucléaire » en Polynésie française a eu des conséquences sur les plans sanitaire, environnemental, économique, social, sociétal et culturel que l’État s’engage à réparer ». Le CESC soulignait ainsi que « la Polynésie française n’a jamais revendiqué la reconnaissance de sa « contribution » (…) », rappelle Christian Vernaudon dans sa lettre. « Ce que les Polynésiens réclament (…), c’est la reconnaissance par l’État du fait nucléaire, de l’impact de ses expérimentations nucléaires sur l’économie, l’environnement, le social et la santé publique (…) et la reconnaissance de sa responsabilité vis-à-vis des victimes des essais ».
Selon Christian Vernaudon, cette position du CESC avait été adopté « à l’unanimité » par les maires polynésiens, en 2016 lors du 27ème Congrès des Communes en Polynésie. Et pour appuyer le caractère « inapproprié » du terme « contribution », le représentant polynésien au CESC cite le témoignage de Jacques-Denis Drollet, ancien représentant à l’Assemblée de la Polynésie et proche de Pouvanaa a Oopa, qui avait rencontré le Général de Gaulle en 1964, alors que la Polynésie s’apprête à voter la location au franc symbolique des atolls de Moruroa et Fangataufa, sites des essais, à l’État. « Il (Charles de Gaulle) me fait comprendre qu’il a besoin de ces atolls pour les expérimentations et qu’il serait souhaitable que nous les donnions à la France et que si nous ne le faisions pas, il aurait les moyens de nous contraindre » (documentaire Pouvanaa Te Metua : L’Élu du Peuple, Marie-Hélène Villierme, 2012).
« Il n’était pas question que nous discutions », poursuivait Jacques-Denis Drollet. « J’ai dit que nous faisions un sacrifice, et que nous souhaitions que l’État français ne l’oublie jamais… j’espère qu’ils ne l’oublieront pas ». Décédé en décembre 2016, Jacques-Denis Drollet avait pris le soin d’accepter de témoigner pour les besoins du documentaire sur Pouvanaa a Oopa de Marie-Hélène Villierme. Ses propos remettent en question l’utilisation du contesté terme « contribution » dans la rédaction proposée par le gouvernement d’Édouard Philippe. « La rédaction actuellement proposée du premier article de cette loi sous le titre « De la reconnaissance de la Nation » revêt une importance capitale pour la façon dont la France entend purger la question du « fait nucléaire » en Polynésie française, et fonder l’avenir de ses relations avec celle-ci », souligne Christian Vernaudon.
Pour le représentant de la Polynésie au CESE, c’est la proposition de formulation ci-dessus, transmise au Premier ministre, qui réunie « les conditions » pour « tourner la page du nucléaire en Polynésie française ». En attendant, l’Assemblée nationale devra se pencher sur le projet de loi organique portant modification du statut de la Polynésie ce jeudi. L’apport historique de cette modification est la mention des essais nucléaires dans le statut de la Polynésie dans son article 1er. Un apport qui, au regard des contestations, pourrait être entaché par l’affirmation selon laquelle la Polynésie aurait contribué aux essais français.