L’Entretien politique : « Il n’y a pas de concession à faire sur la probité » des élus, défend Moetai Brotherson

L’Entretien politique : « Il n’y a pas de concession à faire sur la probité » des élus, défend Moetai Brotherson

Ce jeudi 7 mars, le député de la Polynésie française Moetai Brotherson (GDR) va défendre sa proposition de loi visant à renforcer l’intégrité des mandats électifs, en instaurant notamment la notion d’inéligibilité « à titre définitif » pour les élus condamnés pour des faits de corruption. Pour l’occasion, il répond aux questions d’Outremers360 et revient également sur le Forum PTOM-UE qui a eu lieu en Polynésie la semaine dernière, la position du parti indépendantiste polynésien, dont il est membre, sur le « toilettage » du statut d’autonomie de la Polynésie ou encore, sur les futurs projets de loi qu’il souhaite porter, notamment sur la dépénalisation du cannabis et la légalisation de son usage thérapeutique. Interview filmée au bas de l’article. 

Renforcer l’intégrité des mandats électifs : « Aller au bout des idées » 

Ce jeudi sera un grand jour pour le député de la Polynésie, issu du parti indépendantiste polynésien Tavini Huira’atira. Moetai Brotherson va défendre son premier projet de loi, qui « en ces temps de gilets jaunes », pourrait avoir une véritable portée nationale, même s’il reconnait lui-même que l’exercice s’avère périlleux. « J’ai l’espoir que mes collègues auront le courage d’aller au bout des idées dont on discute dans le couloir, et que les logiques de groupe seront pour une fois laissées de côté pour simplement laisser parler les citoyens que nous sommes avant d’être des élus », confie-t-il. Passé en commission de Lois courant février, son projet de loi n’avait pas fait l’unanimité, notamment dans les rangs de la majorité qui avait voté contre le texte. « Leur avis négatif n’est pas une fin de non-recevoir, ce n’est pas une porte définitivement fermée », tempère le député. « J’espère que le débat aura lieu, le pire qui pourrait arriver, c’est qu’une motion de rejet préalable soit déposée. Ce sera un très mauvais signal envoyé au peuple français ».

« Il y a une possibilité médiane qui serait une motion de renvoi en commission, ce qui voudrait dire que les travaux sur cette proposition de loi pourraient perdurer avec peut-être d’ici quelques temps une adoption ». Une option qui serait « un signe positif » pour le député Brotherson qui souhaite « parfaire » la loi de confiance adoptée en juillet 2017. « Elle est venue améliorer un certain nombre de choses et nous ne nous plaçons pas en opposition à cette loi, nous sommes dans la continuité de cette loi », explique-t-il, « Les collègues de la majorité l’ont bien compris. Ils estiment peut-être que c’est un peu tôt de venir changer la loi ». Pour la défendre, Moetai Brotherson a soutenu son initiative par un passage devant le Conseil d’État, qui a émis quelques recommandations. « Notamment sur le mécanisme de relèvement, quand bien même on vise à pouvoir rendre inéligible pour un très long moment voir à titre définitif les élus, la Constitution et les principes de Droits internationaux imposent qu’il y ait ces possibilités de relèvement ». À ce sujet, le Conseil d’État a proposé « mécanisme proportionnel au quantum effectif de la peine ».

Quoiqu’il en soit, Moetai Brotherson assure : Le Conseil d’État « a établi qu’il n’y avait aucun obstacle constitutionnel aux mesures que nous proposons ». « Que ce soit l’extension de la peine qui est actuellement de 10 ans à 30 ans pour les « délits simples », jusqu’à la possibilité d’une sanction d’inéligibilité à titre définitif pour des faits qui seraient répétés, ou des schémas de corruption ou de manquement à la probité. Dans ces deux cas-là, il n’y a pas d’obstacle constitutionnel, aussi bien sur la Constitution en elle-même que sur les traités internationaux ».

Forum PTOM-UE en Polynésie : 

Revenant sur l’actualité locale de la Polynésie, qui a accueilli la semaine dernière le 17ème Forum PTOM-UE, Moetai Brotherson s’est dit « déçu » que la ministre des Outre-mer Annick Girardin ait évité le sit-in « pacifique » du parti indépendantiste devant l’hôtel qui accueillait l’évènement. « Les motivations de cette manifestation sont multiples. Le premier motif c’est d’attirer l’attention des PTOM et de l’Europe sur le fait que la France ne tient pas ses engagements au niveau international », explique le député. « On est réinscrit depuis 2013 sur la liste des territoires à décoloniser des Nations Unies et la France refuse de le reconnaitre et de venir à la table des discussions pour entamer un processus de décolonisation, qui ne veut pas dire une marche forcée vers l’indépendance ».

« Toilettage » du statut de la Polynésie et reconnaissance du fait nucléaire :

Sur la réforme du statut d’autonomie de la Polynésie française, votée au Sénat à la mi-février et qui doit passer devant l’Assemblée nationale en avril, Moetai Brotherson est critique. « Ce n’est pas une réforme du statut, c’est un énième toilettage. Une réforme va sur le fond, là, nous sommes dans l’écume des choses, l’exercice de style, mais cela ne va rien changer sur le fond ». « Nous ne voulons pas un énième toilettage », poursuit-il, « nous voulons l’ouverture d’une fenêtre constitutionnelle pour avoir une discussion sur le fond, qui mène à une vraie réforme et si possible aboutirait à un chapitre spécifique pour la Polynésie dans la Constitution, à l’instar de ce qui se fait pour la Nouvelle-Calédonie et de ce qui va peut-être se faire pour la Corse ».

Anti-nucléaire depuis sa création par Oscar Temaru en 1977, le parti indépendantiste Tavini Huira’atira ressent un malaise à l’introduction de la reconnaissance du fait nucléaire dans la future mouture du statut de la Polynésie. En effet, selon les termes proposés par Paris, « la République reconnait la contribution de la Polynésie à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation ». Mais tant du côté des indépendantistes que des associations anti-nucléaires, le terme « contribution » ne passe pas. « La formulation est scandaleuse et irrespectueuse », fustige le député Brotherson. « Les Polynésiens n’ont en rien contribué, ils ont subi. On nous a imposé les essais nucléaires, on ne nous a pas demandé notre avis. Je vais faire une analogie qui pourra paraitre choquante, mais c’est comme-ci on disait que les Antillais ont contribué au perfectionnement du chlordécone, non. Des Polynésiens sont morts, d’autres souffrent encore dans leur chair. Une formulation comme celle-là, on ne peut pas l’accepter ».

Futurs projets de loi : 

La proposition de loi visant à renforcer l’intégrité des mandats électifs fut une des promesses des campagnes du député polynésien. Et ce dernier ne compte pas s’arrêter à ce seul projet de loi. Outre sa volonté de modifier la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (loi Morin), « notamment sur les conditions d’octroi et sur le périmètre de la loi puisqu’aujourd’hui elle ne tient pas compte des conséquences trans-générationelles », Moetai Brotherson veut s’attaquer à un sujet qui lui « tient à cœur » en tant que « non-pratiquant » : celui du cannabis.

« J’ai toujours dit que j’étais pour la dépénalisation de l’usage récréatif, et pour la légalisation de l’usage thérapeutique. Il semble que l’actualité nationale me donne raison sur le deuxième plan puisque la ministre de la Santé Agnès Buzyn a fait des annonces dans ce sens, en tout cas sur ce qui concerne l’usage thérapeutique. Mais je pense qu’il faut aller plus loin, et arrêter l’hypocrisie sur l’usage récréatif », insiste le député, citant comme exemple le Portugal, où « le taux d’addiction est le plus faible d’Europe » depuis la dépénalisation. « En France, on a le système le plus répressif et le taux d’addiction le plus élevé », regrette-t-il, en soulignant être conscient « qu’il y a des publics sur lesquels il faut être très attentif ». Pour défendre son idée de légalisation de l’usage thérapeutique, Moetai Brotherson use également d’arguments économiques : « Quand on va enfin décider de s’y mettre, on va s’apercevoir que le marché sera déjà occupé. C’est dommage parce que c’est une opportunité économique ».