En Nouvelle-Calédonie, le ciel s’assombrit à l’approche du référendum sur l’indépendance

En Nouvelle-Calédonie, le ciel s’assombrit à l’approche du référendum sur l’indépendance

En décembre dernier, Edouard Philippe avait réussi à mettre d’accord l’ensemble des leaders politiques calédoniens. Depuis, l’ambiance a bien changé ©Twitter / Edouard Philippe

Le climat s’alourdit en Nouvelle-Calédonie à huit mois du référendum d’autodétermination, après l’implosion cette semaine d’un groupe de travail (G10) voulu par le Premier ministre Edouard Philippe pour préparer le lendemain de cette échéance historique.

En visite la semaine dernière dans l’archipel, Manuel Valls, président de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie de l’Assemblée nationale et Christian Jacob (LR), son rapporteur, ont constaté « une inquiétude, voire une peur sur ce qui peut se passer après » la consultation de novembre. Ils ont exhorté les responsables à « faire vivre le débat pour éclairer les enjeux » et préserver « les acquis » de trente ans de paix sur le Caillou, depuis la signature en 1988 des Accords de Matignon qui avaient mis fin à plusieurs années de quasi guerre civile entre indépendantistes kanak et loyalistes « caldoches ». Ils ont été prolongés en 1998 par l’Accord de Nouméa, qui organise la décolonisation.

Or, à peine les députés ont-ils eu le dos tourné que leurs conseils ont été jetés aux orties par une droite qui se déchire depuis des années. Manuel Valls et Christian Jacob avaient toutefois suscité la colère des indépendantistes en affichant ouvertement leur position sur le référendum et en appelant l’Etat (gouvernement et Président de la République) à prendre également position lors du référendum d’autodétermination.

Fissure au sein du G10

Mercredi, le Rassemblement-LR et les Républicains Calédoniens ont claqué la porte du groupe de travail souhaité par Edouard Philippe, qui lors de sa visite en décembre dernier comptait sur cette structure « pour dessiner le chemin du vivre-ensemble pendant et après la consultation ». Placé sous l’autorité du haut-commissaire de la République (préfet) et baptisé le « G10 », ce groupe, dont la composition avait déjà provoqué des tiraillements, rassemble les principaux leaders des deux camps. Dimanche dernier, les leaders s’étaient mis d’accords sur une date du référendum, envisagé le 4 novembre, dans la perspective de faire entériner cette date par les 54 élus du Congrès. Mais après la publication sur Facebook par le député Philippe Gomés (Calédonie ensemble, droite modérée) de l’exposé des motifs de la délibération, qui replace le scrutin dans son contexte historique, le G10 a viré au clash.

Exprimer « la part de lumière » de la colonisation

« Nous désapprouvons profondément la vision négative et passéiste de ce (texte). C’est de l’auto-flagellation (…) uniquement à charge contre la colonisation et (qui) n’exprime pas la part de lumière de celle-ci », a déclaré le Rassemblement – LR, jugeant « incompréhensible » la démarche de Philippe Gomès alors qu’une « charte de confidentialité » avait été conclue. Quant à Sonia Backès, cheffe des Républicains Calédoniens, elle a fustigé « la repentance coloniale à outrance » du document que « Philippe Gomés a voulu passer en force », tout en appelant au dialogue avec les indépendantistes.

Principal parti non-indépendantiste, Calédonie Ensemble a condamné une attitude « irresponsable ». Son secrétaire général Philippe Michel estime « cet acte de rupture est le meilleur moyens de raviver les tensions », alors que le G10 est le seul espace de dialogue entre indépendantistes et non-indépendantistes. Pour Philippe Michel, l’exposé des motifs à la source de ces tensions est largement inspiré du Préambule de l’accord de Nouméa, approuvé en 1998 par plus de 72% des Calédoniens. Le parti Calédonie Ensemble a également rappelé que Thierry Santa et Sonia Backès étaient bien au fait du contenu de ce texte, puisqu’ils ont participé à son élaboration dimanche dernier. « Les oppositions affichées aujourd’hui publiquement par certains loyalistes sont tardives. Elles auraient été plus utiles si elles avaient été exprimées dimanche au sein du G10 », a confirmé Gaël Yanno, leader du MPC, autre parti loyaliste.

« Le prisme colonial a survécu »

Dans les rangs indépendantistes, Louis Mapou, chef du groupe UNI (Union Nationale pour l’indépendance) s’est dit persuadé que les deux formations loyalistes « cherchaient un prétexte pour justifier leur départ ». « Ce sont de mauvais messages. Cela veut dire qu’ils n’assument rien de l’histoire, rien des décisions que nous avons prises ces dernières années », a-t-il déclaré, souhaitant « continuer à travailler » avec ceux qui le veulent. Il a en outre affirmé que « la question de la souveraineté concerne l’Etat et c’est donc avec lui qu’on discutera ».

Louis Mapou ©Julien Cinier / Les Nouvelles Calédoniennes

Louis Mapou ©Julien Cinier / Les Nouvelles Calédoniennes

Ces turbulences attisent les tensions alors que les indépendantistes radicaux menacent déjà de boycotter le référendum et qu’en face les plus droitiers agitent le spectre desévénements des années 1980, assurant qu’on est « exactement dans la même situation ». « Les Accords ont échoué à résoudre le clivage essentiel (du paysage politique calédonien, ndlr). En trente ans les lignes n’ont guère bougé et le prisme colonial a survécu », analyse un observateur avisé.