Démissions en masse au Civen: Alain Christnacht, Président du Comité d’indemnisation des essais nucléaires, explique

Démissions en masse au Civen: Alain Christnacht, Président du Comité d’indemnisation des essais nucléaires, explique

©Outremers360

C’est une véritable bombe qui a secoué la Polynésie française en début de semaine. Ce lundi 17 juillet, six membres du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) ont démissionné de leur fonction, ont révélé en exclusivité nos confrères de Radio 1 Tahiti. Contacté par Outremers360, Alain Christnacht, Président du Civen depuis février 2017, explique et assure qu’ils seront remplacés « aussi rapidement que possible ».

« Les médecins ont démissionné parce qu’ils estimaient que les modifications de la loi Morin (loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, ndlr) par la loi EROM changeaient complètement leur rôle et que les motifs pour lesquels ils ont été nommés n’existaient plus », explique Alain Christnacht. En effet, la loi EROM, adoptée en février dernier, a fait sauter le « verrou symbolique » du « risque négligeable ». « La méthode mise en œuvre change donc ils ne souhaitaient plus la poursuivre. Leur mandat venaient à échéance en février 2018, ils auraient dû de toutes façons être remplacés », poursuit-il.

Pour Alain Christnacht, pas d’inquiétude: il faut au moins cinq membres pour atteindre le quorum a-t-il expliqué. Sur les neuf au total, le Civen n’en compte plus que deux: six ont démissionné ce lundi, un médecin a démissionné fin 2016, ne reste plus donc que le Président du Civen et un professeur de médecine. « On va aussi rapidement que possible nommer dans un premier temps trois membres pour atteindre le quorum et dans un second temps renouveler les membres du Civen, donc reconstituer le Civen ». « Le délai de réexamen ne serait pas vraiment influencé par la reconstitution du Civen », assure-t-il.

©Gregory Boissy / AFP

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« Ca va surtout dépendre des moyens qui seront donnés au Civen puisque pour le moment, il n’a pas de crédits et pas assez de personnel pour réinstruire 700 dossiers. C’est donc une question de moyens ». Alain Christnacht est donc sur tous les fronts: recherche de nouveaux membres et surtout, estimation des moyens nécessaires qui seront indiqués au gouvernement. « Evidemment, si on a les moyens, on fera aussi rapidement que possible ».

Pour ce qui est des prochains membres, le maître-mot d’Alain Christnacht est la clarté: « Le problème avec les membres qui ont démissionné, c’est qu’on leur a dit de venir pour un certain rôle et que ce rôle a disparu. Mais pour les membres que l’on va présenter maintenant, des médecins, mais aussi des juristes, on va leur dire clairement ce qu’ils auront à faire. Ils accepteront ou pas, mais ceux qui accepteront entreront au Civen en pleine connaissance de cause. Il n’y aura plus cette ambiguïté ».

L’accessibilité de l’indemnisation: nouveau combat des associations

La suppression du principe de « risque négligeable » en février dernier avait été accueilli avec une grande satisfaction, que ce soit de la part des associations ou des personnalités politiques polynésiennes. Néanmoins, les associations des victimes des essais nucléaires ont longuement souligné d’autres points à améliorer dans le processus d’indemnisation encadré par la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (dite loi Morin) adoptée en 2010. Parmi les points sensibles, les associations Moruroa e Tatou ou encore, 193, ont alerté sur les difficultés de constituer une demande d’indemnisation pour les populations éloignées de l’Archipel des Tuamotu-Gambier, où se sont déroulés les 193 essais nucléaires.

©Présidence de la Polynésie française

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« Lorsque je suis allé en Polynésie (en mars 2017, ndlr), les associations m’avaient fait part de ces difficultés. J’avais évoqué la possibilité de créer une sorte de guichet à Papeete qui pourrait aider à la constitution des dossiers pour suivre tout cela concrètement », rappelle Alain Christnacht. Là encore, « ça va être une question de moyens ». « Il y a une autre difficulté qui risque d’être plus difficile à résoudre (…): trouver des médecins experts en Polynésie pour expertiser les préjudices subis de façon à quantifier l’indemnisation. C’est un point plus compliqué car les médecins experts doivent avoir certaines qualifications et ce n’est pas sûr qu’on en trouve facilement. Mais on va chercher », assure-t-il, « le Civen applique la loi et demandera les moyens pour exercer sa mission rapidement ».

Civen, Comité de suivi de la loi, Comité de la loi EROM: confusion des rôles ?

La loi Morin de 2010 a mis en place deux instances: le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) et la Commission de suivi de la loi Morin présidée par le/la ministre de la Santé. L’adoption de la loi EROM en février 2017 implique la constitution d’une autre Commission de la loi EROM. « Pour la Commission de suivi présidée par la Ministre de la Santé, son rôle est clair. L’autre Commission, qui n’est pas encore constituée, son rôle ne fait pas l’unanimité », reconnaît Alain Christnacht. « Le texte dit qu’elle est faite pour proposer au gouvernement de nouvelles modalités permettant de réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les rayonnements des essais nucléaires, ce qui laisse bien entendre que l’on va chercher de nouveaux critères », jusqu’ici, tout est clair.

Néanmoins, « dans le débat Parlementaire, il a été dit que cette Commission n’était pas faite pour chercher de nouveaux critères (…), mais plutôt pour suivre l’activité du Civen. Il faudra, dans le décret qui précisera le rôle de la commission et la manière dont elle sera constituée, dire exactement ce qu’elle devra faire et si possible, conformément à ce que la loi a indiqué », c’est à dire, la recherche de nouveaux critères. « S’il y a deux commissions de suivi, alors il y aura deux commissions de suivi. Ce qui n’est pas possible c’est qu’il y ait une commission de contrôle du Civen puisque c’est une autorité administrative indépendante et la loi lui interdit de rendre compte à des autorités ».

La recherche de nouveaux critères est, en outre, devenue nécessaire depuis la suppression du principe de « risque négligeable ». En effet, cette suppression induit que l’indemnisation est ouverte à toute personne ayant résidé en Polynésie du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1998 et victime de l’un des 21 cancers concernés, sans avoir à démontrer le lien avec le nucléaire, la loi privilégiant dorénavant un principe de causalité, explique le site Tahiti-infos. Jean-Luc Sans, Président de l’Association des Vétérans des essais nucléaires (Aven) craint une perte de crédibilité du processus d’indemnisation.

Quels crédits pour les indemnisations ?

Le vrai nerf de la guerre n’est finalement pas tant les démissions de ce lundi 17 juillet, mais plutôt les moyens qui seront donnés au Civen pour exercer son rôle. « Les critères sont aujourd’hui plus ouverts, le Civen va donc appliquer ses décisions avec ces critères plus ouverts ». Par conséquent, « il va y avoir un afflux plus important de demandes susceptibles d’êtres satisfaites: cela dépend des moyens qu’on donnera au Civen », insiste Alain Christnacht. « C’est à dire, des moyens en personnels, la capacité à trouver des médecins experts et puis des crédits d’indemnisation car pour 2017, le Civen n’a plus de crédits d’indemnisation ». Jusqu’à présent, le Civen disposait de 10 millions d’euros par an pour indemniser, somme qui a été réduite en raison d’une non-consommation de la totalité de ces crédits.

Site du Civen ©Outremers360

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« Je pense que pour 2017 on va pouvoir la rétablir. Après pour 2018, s’il faut traiter 1 000 dossiers sur un an à 50 000 euros pour l’indemnisation, cela fait un total de 50 millions d’euros, c’est autre chose. Je vais estimer les crédits dont on aura besoin, le plus rapidement possible, et si nous n’avons pas assez de crédits, nous attendrons les rallonges. Mais je pense que tout le monde sera cohérent; on a voulu rompre le lien entre les rayonnements et la maladie, donc on savait bien qu’on augmenterai sensiblement le nombre d’indemnisations. Le gouvernement actuel a confirmé qu’il restait sur cette ligne et il faudra que le Civen reçoive les crédits budgétaires correspondants », conclut Alain Christnacht. En attendant, le Président du Civen doit rencontrer, ce vendredi 21 juillet, Jean-Luc Sans, Président de l’Aven.