Confusion autour de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie : La sénatrice Lana Tetuanui veut « rétablir quelques vérités »

Confusion autour de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie : La sénatrice Lana Tetuanui veut « rétablir quelques vérités »

La sénatrice Lana Tetuanui et le président du CIVEN Alain Christnacht ont expliqué la nouvelle méthodologie pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, ce mercredi à Paris ©Outremers360

Lors d’une conférence de presse ce mercredi à Paris, la sénatrice Lana Tetuanui, également présidente de la Commission EROM, a tenue à « rétablir quelques vérités sur la polémique » qui a éclaté, la semaine dernière en Polynésie, autour de la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (loi Morin de 2010) et la suppression de la notion de risque négligeable, remplacée par un nouveau seuil minimal acceptable pour indemniser.

Piqûre de rappel. En février 2017, lors de l’adoption de la loi Égalité réelle Outre-mer (EROM), les parlementaires polynésiens avaient obtenu la suppression de la notion de « risque négligeable », qualifié de verrou symbolique empêchant l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français en Polynésie. Le gouvernement obtenait en contrepartie la constitution d’une Commission de cadrage de la loi Morin, chargée de « proposer les mesures destinées à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires et de formuler des recommandations à l’attention du gouvernement ». La commission, présidée par la Sénatrice Lana Tetuanui et où figurent entre autres les députés polynésiens Nicole Sanquer et Moetai Brotherson, a remis son rapport contenant ses préconisation le 20 novembre dernier au Premier ministre et à la ministre des Outre-mer.

Dans ce rapport figurait l’élément qui a jeté un doute sur l’indemnisation des victimes. En effet, le Comité d’Indemnisation des Victimes des Essais (CIVEN), présidé par Alain Christnacht, a établi une nouvelle méthodologie employant le seuil minimal d’1 millisievert par an (1 mSv) pour pouvoir ouvrir une procédure, même si « cette limite est très éloignée du seuil de dangerosité ». Ce seuil s’ajoute à deux autres critères : avoir été en Polynésie française et ce, durant la période des essais. « La commission a voulu comprendre cette méthodologie » a expliqué la sénatrice Lana Tetuanui qui assure avoir « expliqué au Pays, à toutes les associations la base sur laquelle le CIVEN travaille », c’est-à-dire, cette dose minimale admise par les experts du CIVEN.

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Pour son président Alain Christnacht, également présent à cette conférence de presse avec le médecin militaire Frédéric Poirier et l’ancien Secrétaire général du Haut-commissariat de la République en Polynésie Gilles Cantal (tous deux membres de la commission), cette nouvelle base, utilisée depuis le 1er janvier 2018, répond au souci de « réserver l’indemnisation » aux victimes des essais, soit l’objectif même de la commission de cadrage de la loi Morin. « Il faut bien trouver le moyen de déterminer lesquelles de ces maladies ont été provoquées par les essais nucléaires » explique-t-il. « Le risque négligeable, c’était un taux de probabilité, un logiciel assez compliqué (…), dans le lequel on mettait les autres facteurs de risque » : âge, sexe, tabac, obésité, alcoolisme, délai entre l’exposition et la maladie. « Il en sortait un taux de probabilité que la maladie soit liée au rayonnement. Inférieur à 1%, on disait non. Supérieur, on disait oui ».

75 dossiers de malades polynésiens admis en 2018

Reconnaissant un système qui « a conduit à très peu d’indemnisation », il fallait selon Alain Christnacht trouver un autre moyen de déterminer si la maladie a bien un lien avec les essais nucléaires et donc réserver cette indemnisation aux seules victimes des essais. « Une personne ayant séjourné 48 heures en Polynésie et contractant quelques années plus tard un cancer pouvait très bien demander une indemnisation », justifie Alain Christnacht. « On a regardé tous les textes, et on a trouvé cette règle d’1 mSv dans le code de la Santé publique, qui est la dose limite en-dessous de laquelle il ne peut y avoir aucune conséquence pour les personnes (…). Quand vous prenez un vol intercontinental, vous recevez 3 mSv », explique Alain Christnacht. Les dossiers admis en 2018, avec cette base d’1 mSv, comportaient selon le président du CIVEN des doses allant d’1 à 5 mSv.

Et pour Alain Christnacht, le résultat est là : entre 2010 à 2017 inclus, seulement 11 demandes émanent de personnes domiciliées en Polynésie ont vu leur dossier admis par le CIVEN, avec à l’époque la notion de risque négligeable. Mais depuis l’application de la loi EROM et sur la seule année 2018, 75 personnes ont vu leur dossier admis (sur 100 dossier déposés), avec ce nouveau seuil d’1 mSv.

Assurant toute sa « confiance » envers le président du CIVEN, la commission de cadrage et sa présidente Lana Tetuanui ont donc acté ce seuil employé dès début 2018 dans son rapport remis en novembre, et dont les préconisations devaient faire l’objet d’un amendement « introduit par le gouvernement et validé par la commission de cadrage ». Cet amendement, voté fin décembre, intégrait donc l’officialisation de cette nouvelle méthode, mais aussi l’augmentation des crédits du CIVEN pour assurer le nombre croissant des dossiers positifs (budget abondé de 2 millions d’euros, le CIVEN aura 12 millions d’euros pour l’année 2019), le transfert total du terrain militaire sur lequel le futur Centre de mémoire des essais doit voir le jour et enfin, le retrait de la date limite du 20 décembre 2018 qui fermait l’opportunité des ayant-droits de déposer un dossier. C’est surtout ce dernier point qui a obligé le gouvernement à déposer cet amendement rapidement.

« On ne comprend pas trop le procès d’intention sur le CIVEN et l’amendement » a regretté Alain Christnacht. « Nous assumons totalement nos responsabilités » a insisté la sénatrice Lana Tetuanui, qui a dénoncé une « polémique » qui « remet en cause le travail de la commission ». « Je respecte le travail mené par nos associations. Nous avons aussi réussi à convaincre nos élus locaux pour mettre tout le monde dans la boucle, surtout sur les transmissions des demandes de dossier. Nous avons pu faire traduire dans la langue du pays (tahitien, ndlr) le formulaire de demande d’indemnisation. Le Pays s’est donné les moyens de renforcer le Centre médico-social (de Papeete, ndlr), outre le CIVEN qui mis des moyens supplémentaires », notamment le déplacement des médecins experts en Polynésie pour expertiser les malades, voulu par Alain Christnacht. Le prochain déplacement aura par ailleurs lieu en avril prochain.

En novembre 2018, la sénatrice Lana Tetuanui expliquait déjà ce nouveau seuil minimal d’1 mSv comme base pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires: