La diffusion, sur Twitter, par le député guyanais Gabriel Serville d’une photo d’un poulet bio importé par avion de l’Hexagone et vendu à 51€, par une grande surface saint-martinoise, a beaucoup fait réagir. Dans cette expertise, l’Institut Gaston Monnerville revient pour Outremers 360 sur les enjeux de la cherté de la vie en Outre-mer.
Twitter, Vendredi 17 janvier 2020, Gabriel Serville, député de Guyane, partage une photo, prise dans un supermarché de Saint-Martin d’un poulet bio, importée par avion depuis l’Hexagone et vendu au prix de 51€. Il n’en a pas fallu plus pour faire réagir – à raison- ; l’information a alors été allègrement reprise dans la presse nationale et régionale. Tout d’un coup, nos compatriotes hexagonaux se sont émus de ce que vivent au quotidien les habitants des Outre-mer. En effet, la problématique de la cherté de la vie est un sujet incontournable, et ce, quel que soit le territoire concerné.
Vie chère Outre-mer : à gauche un poulet bio @ULesCommercants importé par avion à Saint-Martin en juillet 2018. A droite le même poulet, au même endroit, en janvier 2020. La différence ? + 20%. En 18 mois. C’est 10 fois l’inflation nationale ! On peut en parler ? #pwofitasyon pic.twitter.com/VplgmK3TeW
— Gabriel Serville (@GabrielServille) January 18, 2020
Ce sujet est une des principales préoccupations des habitants de ces territoires, dont les taux de pauvreté sont substantiellement plus élevés que dans l’Hexagone. À titre d’exemple, selon l’INSEE, ces derniers s’élevaient en 2014, à 32% en Martinique et 41,8% à La Réunion sur le fondement du seuil de pauvreté national (1015€ par mois soit 60% du revenu médian hexagonal) et en 2011, à 19% en Guadeloupe et 44,3% en Guyane par rapport au niveau de vie médian local, qui est lui sensiblement inférieur à celui de l’Hexagone.
Ce constat est au cœur des revendications et de l’exaspération généralisée Outre-mer, exprimés lors des différentes manifestations. Nous nous rappelons par exemple des grèves de 2009 aux Antilles qui dénonçaient la « pwofitasyon ». Par la suite, les mouvements sociaux se sont multipliés dans les territoires ultramarins, citons par exemple le mouvement des 500 frères en Guyane, les grèves à Mayotte ou la crise dite des « Gilets jaunes » à La Réunion qui ont, parmi leurs revendications, porté des propositions pour enrayer ce phénomène.
L’importance du sujet a entraîné de nombreuses initiatives. Notons par exemple l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) relatif à la pauvreté et à l’exclusion sociale dans les Outre-mer. Plus récemment, la nomination d’un délégué interministériel à la concurrence Outre-mer a suscité de nombreuses attentes de la part de nos compatriotes ultramarins. De même, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au niveau national ainsi que les directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIECCTE) à l’échelle régionale œuvrent entre autres à la mise en place de contrôles spécifiques pour réguler les marchés et protéger les consommateurs. L’Autorité de la Concurrence a, pour sa part, dans sa feuille de route pour 2020, souligné l’importance qu’elle accordera cette année – comme en 2019 – aux thématiques de vie chère et de concurrence dans les territoires ultramarins.
Toutefois, force est de constater que pour les Ultramarins la situation peine à évoluer. Ainsi,l’Autorité de la concurrence souligne l’ampleur de différence entre les prix pratiqués dans l’Hexagone et dans les territoires ultramarins. Le niveau général des prix dans les DROM présente un écart variant entre +7% à Mayotte et +12,5% en Guadeloupe par rapport au niveau général des prix dans l’Hexagone. Cela est en grande partie dû à la différence de prix pour les produits alimentaires qui varie entre +19% à Mayotte et +38% en Martinique d’après la même autorité administrative indépendante. Néanmoins, cette dernière a relevé une certaine efficacité du dispositif Bouclier Qualité-Prix qui ne demande qu’à être amélioré.
«Toutes ces problématiques ne sont que des manifestations conjoncturelles d’un problème structurel affectant les Outre-mer.»
Des initiatives locales prennent aussi forme. L’ouverture du collège de membres de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de la Réunion à 50 citoyens volontaires, tirés au sort,soulignent cette volonté, chez les habitants des Outre-mer, de transparence sur la fixation des prix et celle de ne plus être de simples consommateurs mais de véritables acteurs de l’économie locale. Ainsi, le projet de rachat du groupe Vindémia qui possède de nombreuses enseignes de grande distribution par le groupe Bernard Hayot – déjà détenteur de nombreuses grandes surfaces à La Réunion – suscite de nombreuses inquiétudes. Saisie, l’Autorité de la concurrence devrait se prononcer cette année sur la question.
Toutes ces problématiques ne sont que des manifestations conjoncturelles d’un problème structurel affectant les Outre-mer. Il s’agit notamment de la structuration des secteurs économiques, de la diversification agricole qui sous-tendent le modèle de développement économique que nous souhaitons pour nos territoires.
«Il est désormais plus que temps de planter les jalons d’un futur désirable.»
Ces problématiques de cherté de la vie appellent au développement et au soutien de la production locale comme les filières agricoles et d’élevage. Cela suppose la remise en cause des monocultures existant dans certains territoires comme la canne à sucre et la banane, au profit de la diversification agricole à destination du marché local et de l’exportation. Cette diversification agricole devra nécessairement tenir compte des spécificités locales en particulier de la problématique chlordécone en Martinique et en Guadeloupe. Par ailleurs, ces enjeux débordent largement la sphère économique. Ce sont également des enjeux sociaux et environnementaux déterminants ; ainsi l’affaire du poulet bio importé illustre parfaitement une aberration économique et écologique de la situation actuelle. Le développement de l’agriculture vivrière nécessite donc une véritable prise de conscience des pouvoirs publics et des acteurs privés afin de mettre en place un modèle viable, vertueux et résilient.
L’avenir nous enjoint donc à repenser en profondeur le modèle économique de nos territoires, au bénéfice des habitants des Outre-mer, des acteurs de l’économie et de l’environnement, en tenant compte des spécificités liées notamment à l’éloignement et à l’étroitesse des marchés. La synthèse entre enjeux divergents n’est pas impossible mais nécessite, il est vrai, d’orienter les efforts vers un objectif ambitieux d’autonomie alimentaire pour ces différents territoires. Il est désormais plus que temps de planter les jalons d’un futur désirable.
Par Râmachandra Oviode Siou
Président de l’Institut Gaston Monnerville