Nicole Bouteau, ministre du Tourisme de la Polynésie, Jean-Paul Dubreuil et Marc Rochet, quelques minutes après l’arrivée du vol inaugural French Bee en Polynésie ©Outremers360
En se posant pour la 1ère fois en Polynésie française ce samedi 12 mai, la compagnie low-cost long courrier a entamé un tournant majeur dans son développement tout en apportant un renouveau sur la desserte aérienne entre Paris et Papeete. Désormais, le terme « low cost » n’est plus privilégié, les dirigeants de la jeune compagnie française préfèrent le terme de « smart cost ».
Après la Caraïbes en 2016, puis l’Océan Indien en 2017, French Bee s’est lancé un « challenge présomptueux », pour le moins inattendu en annonçant, sept mois auparavant, sa venue en Polynésie, une destination que l’on croyait trop chère, trop éloignée, presque intouchable. Et pourtant, l’enthousiasme et la curiosité étaient bien palpables du côté des voyageurs et potentiels voyageurs polynésiens, tant sur les réseaux sociaux qu’autour de l’aéroport international de Tahiti-Faa’a, où de nombreux badauds armés de smartphone ont immortalisé le 1er atterrissage et décollage de la « petite abeille française ». Non sans raison, puisque les départs successifs de Corsair et AOM (dirigée par Marc Rochet) au début des années 2000 avaient fait flamber les prix du billet, voyager devenant un privilège ou un long sacerdoce de petites économies. En mettant en vente ses premiers billets début 2018, French Bee annonce un prix d’appel sous la barre symbolique des 1 000 euros, du jamais vu depuis plus de dix ans.
Localement, le défi est de taille. Après avoir trouvé le succès à La Réunion, les dirigeants de la compagnie, Jean-Paul Dubreuil et Marc Rochet en première ligne, réfléchissent à une nouvelle route. Plusieurs options sont sur la table, on ne saura jamais exactement lesquels, mais Jean-Paul Dubreuil, Président du Conseil de surveillance du groupe éponyme rêve secrètement d’Océan Pacifique. Marc Rochet, avec qui il avait déjà redressé la barre d’Air Caraïbes faisant d’elle une des rares compagnies françaises à faire du bénéfice, connait le terrain et se laisse séduire par l’aventure. Au départ, c’est un transit à Los Angeles qui est envisagé, mais en face, le gouvernement polynésien, consulté en octobre dernier, souffle la destination San Francisco comme point d’étape du long voyage de 22 heures. La Polynésie voit alors l’opportunité de saisir une clientèle nord-américaine et canadienne. De son côté, French Bee devient la première low-cost long courrier à rejoindre San Francisco depuis Orly par un vol direct.
Devant la presse polynésienne, nationale et internationale, ce lundi 14 mai, les dirigeants de la compagnie ont affiché leurs ambitions. Pour 2018, French Bee entend grignoter 30% de part d’un marché jusqu’ici partagé entre Air Tahiti Nui et Air France. Jean-Paul Dubreuil et Marc Rochet ne souhaitent toutefois pas froisser les opérateurs historiques, notamment Air Tahiti Nui, et parlent de « concurrence constructive ». Oublié également le terme « low cost », trop péjoratif. Le « smart cost » sera désormais le terme exact pour définir l’offre French Bee : une offre « à la carte » avec un catalogue d’option comprenant, en plus du traditionnel bagage en soute et repas à bord (élaboré par un chef 2 étoiles au départ de Paris), un coupe fil, l’accès au salon VIP d’Orly, le choix d’un siège « cosy » avec un espacement au jambe idéal pour les grand gabarit ou encore, la possibilité d’avoir accès à une véritable cafétéria de bord. Sur ce marché florissant du « smart cost », French Bee n’est pas la seule. Elle a emboîté le pas de la bien connue Norwegian. Et le positionnement a le vent en poupe : après French Bee, la nouvelle venue s’appelle Level. Mais Marc Rochet et Jean-Paul Dubreuil sont catégoriques : l’offre French Bee est unique et inédite en France.
Pour convaincre l’audience du bien-fondé de son positionnement, French Bee met en avant son succès à La Réunion, où le paysage aérien est plus fourni, avec pas moins de cinq compagnies sur l’axe Paris – Saint-Denis. Et les bons résultats de French Bee sur l’île de l’Océan Indien suscitent l’enthousiasme des acteurs du tourisme polynésien. En 2017, French Bee s’est implanté en gagnant 15% de part de marché entre juin et décembre, soit une hausse de 10% du trafic et 78 000 passagers transportés pour 10 rotations par semaine. Et le succès compte également être au rendez-vous en 2018 : entre janvier et mars, French Bee a déjà transporté près de 60 000 passagers, fait augmenter le trafic de 24,9% et s’est octroyé 18,9% de part de marché. Objectif quasi-atteint en moins d’un an. Surtout, la compagnie séduit par sa politique d’embauche locale, sa volonté de faire voyager ceux qui n’ont jamais voyagé auparavant et de les faire revenir plus souvent.
Pour séduire davantage la Polynésie, French Bee est allé chercher les acteurs de la petite hôtellerie polynésienne, en mal de touristes, et entend proposer à la Collectivité son cœur de cible : les visiteurs qui ont de la famille sur place. A San Francisco, French Bee veut toucher la communauté française high-tech et « startupeuse ». Elle compte également vanter les mérites de la plateforme d’Orly, moins connue, mais plus accessible depuis Paris que sa grande sœur Roissy-Charles de Gaulle, avec des futurs lignes ferroviaires lui permettant une meilleure desserte. « On est convaincu qu’Orly jouera un rôle majeur dans les prochaines années », a assuré Marc Rochet. Parmi les derniers arguments de poids : le choix de l’appareil. En effet, l’A350, dernier né du constructeur Airbus, affiche des prestations plus que satisfaisantes pour les trajets long-courriers et a déjà rejoint les flottes de grandes compagnies telles que Lufthansa, Qatar Airways, Cathay Pacific ou encore, British Airways.
Reste encore à roder le transit franciscain, qui pour le vol inaugural, a laissé quelques surprises aux passagers. « On travaille avec les autorités américaines pour réduire les inconvénients », a toutefois souligné Marc Rochet. Et nul doute que le choix d’une autre grande ville américaine au profil plus atypique que Los Angeles sera payant pour la compagnie, tant du côté des voyageurs polynésiens, hexagonaux que nord-américains. Pour la suite, Marc Rochet et Jean-Paul Dubreuil disent s’inscrire dans une « démarche pragmatique ». Comme ce fut le cas lors du lancement de la ligne Paris – Saint-Denis, le duo ne dira rien sur ses prochaines ambitions. Le temps est à l’installation sur le long terme de sa ligne sur Tahiti. Pour la Polynésie, les astres de la fréquentation touristique semblent s’être alignés. Car après l’annonce de French Bee en novembre dernier, c’est le géant américain United Airlines qui a annoncé son arrivée en octobre prochain à Tahiti-Faa’a puis peu de temps après, le leader du low cost-long courrier Norwegian Airways, via sa filiale argentine.
Le Groupe Dubreuil, propriétaire d’Air Caraïbes et French Bee
Agé d’une cinquantaine d’année, le groupe Dubreuil est 100% familial et vendéen. Historiquement, le groupe s’est lancé dans la grande distribution avant d’élargir son éventail : automobile (35%), aérien (32% depuis 40 ans), énergies (13%), matériel BTP (10%), machinerie agricole (9%) et hôtellerie-immobilier (1%). En 2018, son chiffre d’affaires s’élève à 2 milliards d’euros. C’est en 1998 que le groupe rachète Air Caraïbes, alors compagnie régionale en difficulté. Positionnée sur le long-courrier en 2003, elle renoue avec le succès et devient au fil des ans leader de la desserte transatlantique vers la Caraïbes.
En septembre 2015, le groupe Dubreuil réfléchit à un nouveau positionnement en cohérence avec l’essor du low-cost long courrier. Né alors le projet « Sunline » qui deviendra à terme French Blue, puis French Bee. Aujourd’hui, la « petite abeille française » dispose dans sa flotte un A330 et un A350, dédiés à la desserte réunionnaise, et depuis avril 2018, un second A350 dédié à la desserte polynésienne.