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Suite de notre entretien avec Teva Rohfritsch, le Vice-président de la Polynésie française en charge de l’Économie, des grands projets d’investissement et des réformes économiques, « un champ d’activités qui permet d’avoir les manettes sur le plan économique et financier pour faire avancer les sujets polynésiens ».
En exclusivité, il nous explique les orientations économiques majeures de la Polynésie et les futurs projets qui vont la structurer, dans le secteur du tourisme, de l’économie bleue, du BTP ou encore, de la Coprahculture, avec comme objectif principal celui de « reformater l’ADN économique de la Polynésie française ».
Que voulez dire par « reformater l’ADN économique » ?
Cet ADN économique reste aujourd’hui très marqué par la période nucléaire. Même si les essais se sont arrêtés depuis plus de dix ans maintenant, notre ADN économique est encore marqué par les transferts financiers de l’Etat. Ces transferts nous ont aidé d’ailleurs lors des crises que nous avons traversées, mais ont également généré une hypertrophie de l’administration et une économie qui s’est développée autour de ces transferts financiers et des salaires distribués au travers des fonctionnaires.
On observe également une polarisation sur les Îles-du-Vent et sur l’île de Tahiti en particulier puisque cette économie du nucléaire a vidé les îles au profit des lumières de la ville. Les Polynésiens sont venus chercher à Tahiti les attraits de la modernité. Depuis quelque temps, on observe un phénomène progressif mais avéré de retour dans îles: c’est-à-dire qu’on a une nouvelle génération qui, faute d’emplois sur Tahiti, retourne dans les îles de leurs grands-parents.
Pour quels types de métiers ?
La petite hôtellerie familiale, les pensions de famille, la perliculture qui sort aussi d’une grosse crise qui n’est pas encore tout à fait réglée. Il y aussi tout ce qui est lié à la pêche, les parcs à poissons, et puis le coprah. Il faut savoir qu’en Polynésie nous n’avons pas d’indemnités de chômage, mais on a une caisse de soutien au coprah: c’est une forme de soutien aux demandeurs d’emploi par de l’activité. Un Polynésien, qui rentre dans son île aux Tuamotu, aux Marquises ou aux Îles-Sous-le-Vent et qui fait du coprah, peut avoir un revenu au niveau du SMIG. Le gouvernement soutient les coprahculteurs car on achète le coprah produit dans nos îles plus cher que le cours mondial. C’est véritablement une caisse de solidarité qui permet de ramener les gens dans les îles.
Cette solidarité a permis à un moment donné d’éviter plus d’hémorragie vers Papeete, et aujourd’hui elle permet un retour de jeunes. C’est un phénomène assez nouveau. Lorsque vous allez dans les îles, il n’y a pas de misère, les gens vivent décemment, beaucoup mieux que dans l’agglomération de Papeete. Il y a de quoi manger et beaucoup de solidarité et surtout, il y a du boulot. On y voit moins cette cassure sociale, avec notamment les bidonvilles qui ont émergé au fil des décennies.
Est-ce que ces bidonvilles sont en voie de résorption ?
Non pas encore. On a traversé une instabilité politique pendant une dizaine d’années. On a retrouvé une certaine stabilité en septembre 2014 avec l’arrivée d’Edouard Fritch aux commandes du pays mais c’est assez récent. J’ai rencontré des chefs d’entreprises hier (lundi, ndlr) et le fait d’avoir eu trois ans de stabilité politique commence à porter ses fruits, on commence à redonner envie d’investir, les entreprises commencent à se projeter à nouveau.
A l’arrêt des essais, le pays a commis des erreurs. Nous n’avions pas bien réorienté le modèle économique polynésien. Cela n’a pas été anticipé. A l’époque, on avait des grands travaux « pharaoniques » sur fond de reconversion de l’économie polynésienne, mais qui n’avaient pas de sens économique.
Je prend l’exemple de la zone de Faratea, située sur l’isthme de Taravao qui lie la grande île de Tahiti à la petite: le projet était de faire un deuxième port de commerce par rapport au Port autonome de Papeete mais qui aujourd’hui encore est en friche. Aujourd’hui, on tire les leçons du passé. On retient que le modèle économique n’a pas été suffisamment réorienté, c’est tout notre challenge. En même temps, il faut faire des opérations de relance à court terme car en attendant de réorienter le modèle, il faut bien donner du boulot aux jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
Quelles sont ces opérations de relance à court-terme ?
Le gouvernement a lancé au mois de juin dernier un plan de relance économique de 39 mesures: soutien à l’investissement des ménages, relance de la consommation, mesures pour le renouvellement des véhicules, l’agrandissement des maisons, mesures d’exonérations fiscales,… Cela fait deux ans que l’économie polynésienne va mieux et qu’en un an, on a pu créer 1 000 emplois. Le plan de relance a porté ses fruits. C’est grâce à la fois aux mesures de soutien au privé, ces 39 mesures donc, et à une forte mobilisation des crédits publics. Il y a eu un effort fait sur les aménagements routiers en 2014-2015, puis sur le BTP et le logement social en 2015-2016, et je pense que 2017 sera encore plus forte en matière de logement social car il y a un gros besoin. Lorsqu’on relance le logement social, on relance le BTP et on donne du travail aux entreprises du bâtiment. L’adage « quand le bâtiment va, tout va », se vérifie toujours en 2017.
En parlant de relance du BTP, de grands projets, quels sont-ils ? Est-ce qu’il s’agit également du Tahiti Mahana Beach ?
Il y a plusieurs actions envisagées. Le précédent gouvernement avait tout focalisé sur le Tahiti Mahana Beach, ce qui n’a pas été une bonne idée. D’abord parce que c’est un projet de 250 milliards de Francs pacifique (2,09 milliards d’euros). Il ne peut pas sortir en 6 mois car il est énorme et il nécessite des études d’impact, des études de faisabilité économique…
Ce projet n’est pas abandonné. On le reprend avec le Président Edouard Fritch et on souhaite avoir quelque chose de plus progressif. On valide bien sûr le schéma cible global. Nous sommes en train de nouer un partenariat avec la Caisse des Dépôts et Consignations, qui est intéressée pour être co-investisseur, pour mettre en place une société d’aménagement et de développement et ensuite, faire un appel à projets par lots. On a validé un programme global et plutôt que de chercher des investisseurs étrangers qui ont 250 milliards à mettre en Polynésie, que nous n’avons pas trouvé d’ailleurs, je propose à la Caisse des Dépôts qu’on mette en place un système de lotissements et ensuite, chaque lot sortira lorsqu’un investisseur sérieux se présentera à la suite d’appels à projet. Ça permet de confirmer la destination touristique de la zone mais aussi d’avoir un rythme de construction adapté à la Polynésie.
Est-ce que le résultat sera plus « modeste » que le projet initial ?
Il y aura toujours plusieurs hôtels et salles de conférences prévus initialement, mais ce sera davantage un village. Du coup, on ne va plus l’appeler Mahana Beach. Le projet s’appellera « Le Village Tahitien » parce que c’est un esprit de village que l’on souhaite récréer comme le tourisme des années 60 où les gens venaient chercher une expérience humaine et rencontrer les Polynésiens. On ne veut pas que ce soit un ghetto à touristes où les Polynésiens ne viennent pas. L’idée c’est vraiment de recréer cette notion de village sur ce site. Avec le projet initial, c’est le Polynésien qui allait chez le touriste, il n’était plus chez lui et on aurait pu avoir un phénomène de rejet.
Nous avons aussi un projet du côté du Golf de Moorea puisque la banque Socredo, qui est une banque détenue à la fois par le pays et l’AFD, a acquis le domaine. On a un projet d’un ou deux hôtels sur ce site, là encore c’est en discussion avec des investisseurs locaux. Globalement, ce sont des projets touristiques, c’est-à-dire qu’on confirme la vocation touristique de la Polynésie.
Qu’en est-il en terme de projets d’infrastructures ? Au niveau du Port autonome de Papeete par exemple. Dans le fameux Accord de Papeete, on parle également d’aéroport de dégagement.
Sur le Port autonome de Papeete, l’option envisagée serait une extension vers l’Est, sur le récif de corail mais on veut d’abord être sûr qu’on ne peut pas mieux réaménager les sites actuels avant d’aller gagner sur le récif. C’est un schéma lancé par le Port autonome de Papeete qui est un établissement public du pays.
Dans le cadre des réflexions de l’ADN économique, on a aussi lancé deux études assez structurantes sur les filières. D’abord la filière perliculture qui a fait l’objet d’une nouvelle loi de pays votée en fin d’année avec une réorganisation complète de l’ensemble du secteur et un contrôle de la production, une responsabilisation des professionnels. On veut les accompagner sur des labels de qualité et pourquoi pas, arriver à des appellations d’origines géographiques. Parce qu’on parle de la Perle de Tahiti, mais en fait il y a une Perle des Gambiers, de Rikitea,… Et sur le plan du marketing, cela permettrait de voir la diversité des perles de Polynésie.
Une labellisation plus exigeante qui garantirait les perliculteurs ?
Je suis personnellement attaché à la Perle des Gambier, mais il y en a aussi de très belles aux Tuamotu. On peut trouver des perles aux nuances de bleu aux Tuamotu, jusqu’aux perles aubergines. Aux Gambiers, on a une grande diversité de perles, mais elles sont plus grosses. Aux Tuamotu il y a de très belles petites perles, de plusieurs couleurs aussi, c’est surtout en fonction des lagons. Et l’idée c’est de développer l’appellation d’origine et cette loi de pays, qui n’a pas encore été promulguée, va réformer la perliculture.
Et puis il y a la pêche… Avec l’AFD, nous sommes en train de redéfinir la stratégie de pêche de la Polynésie sur les 15 ans qui viennent. Il faut savoir qu’en Polynésie, contrairement à tous les Etats et territoires du Pacifique, il n’y a aucun accord de pêche avec un pays étranger. La zone est entièrement préservée, il n’y a que les pêcheurs polynésiens avec une soixantaine de bateaux sur nos 5 millions de km². Nous sommes un sanctuaire pour les mammifères marins, la pêche du requin est interdite et le grand projet que nous avons avec le ministre de l’Environnement est de créer une grande aire marine gérée sur l’ensemble de la Polynésie. Cette aire marine confirmerait la démarche d’éco-labellisation de notre pêche.
Un mot de Faratea laissé en friche ?
Toujours au volet de l’économie bleue, cette zone sera reconvertie en zone biomarine. Il y aura un projet de développement de ferme aquacole car on fait un peu de crevettes, on fait très peu de pisciculture, on commence à développer le commerce de bénitiers d’aquarium. L’idée c’est d’avoir notre « Silicon Valley de l’aquaculture », toute proportion gardée. Il faut fédérer les acteurs polynésiens de l’aquaculture, leur offrir un site avec des équipements communs que le gouvernement mettra en place (captage d’eau de mer, assainissement,…).
Il y a également un autre projet d’aquaculture sur l’atoll de Hao, ancienne base arrière des essais nucléaires, porté par des investisseurs chinois. Ce projet provoque des craintes, notamment à l’échelle nationale, car on a une vision un peu ancienne de l’aquaculture chinoise. J’ai visité les installations en Chine, lorsqu’on a envoyé un dizaine d’étudiants polynésiens à Shanghaï, et la machine s’est modernisée aujourd’hui. Mr Wong Chen, l’investisseur, veut venir faire une ferme pilote avec le respect de l’environnement et produire à Hao des mérous. Il souhaite ensuite les exporter en très haute qualité, certains vivants et d’autres transformés sur place en filets, en Chine, aux Etats-Unis et peut-être en Europe. En outre, à Hao il y a une grande piste, puisque même le Concorde y atterrissait, et demain, en fonction de la montée en charge de la ferme, on pourra aussi réouvrir cette piste aux gros porteurs.
Aujourd’hui, les permis de construire ont été délivrés, les études d’impact sont en cours. Grâce à ce projet, l’Etat est venu retirer tout ce qui avait été mis dans le lagon de Hao. Ce serait un beau clin d’œil de l’Histoire de reconvertir ce site. Hao sera la base logistique avec la partie recherche et développement, la partie écloserie et transformation, avec des cages dans l’eau. L’idée est ensuite d’essaimer l’élevage en cage sur les autres îles des Tuamotu.
Demain, la Polynésie Française et l’Etat, représentés à leur plus haut niveau, signeront à Paris les prémices des Accords de Papeete. Nous y reviendrons demain matin dans le 3ème volet de notre entretien avec Teva Rohfritsch.
Interview réalisé par Marie-Christine Ponamalé