Maître Patrick Lingibé, vice-président de la Conférence des bâtonniers de France et spécialisé dans les questions de responsabilités civiles, pénales et administratives et d’indemnisations, est intervenu à la demande du président lors de l’assemblée plénière qui s’est tenue le mardi 28 avril 2020 à la collectivité territoriale de Guyane, concernant les risques potentiels liés à la réouverture des collèges et lycées suite au déconfinement annoncé. L’article ci-dessous fait le point sur les responsabilités suite aux interrogations que se posent les collectivités et entreprises en outre-mer et ailleurs.
Beaucoup de responsables publics et privés d’outre-mer et de l’hexagone se posent des questions légitimes après le discours prononcé le mardi 28 avril 2020 par le Premier ministre devant l’Assemblée nationale exposant son plan de déconfinement. Le chef du gouvernement a indiqué une différenciation territoriale dans l’application de la doctrine nationale du déconfinement annoncé, étant rappelé que le comité de scientifiques avait préconisé dans son avis du 8 mars 2020, une approche différenciée dans les mesures à prendre pour chaque territoire d’outre-mer adaptées à la phase épidémique et aux capacités de chacun de ses territoires. Il convient de rappeler que tous les outre-mer sont dans des bassins de vie radicalement différents de l’environnement européen dans lequel baigne l’hexagone.
A titre d’exemple, la Guyane, ancrée en Amérique du sud avec des problèmes sud-américains, doit gérer ce déconfinement en tenant compte des politiques d’Etats limitrophes (Brésil et Suriname) qui ne s’inscrivent pas dans la logique et l’approche des états européens voisins de la France continentale. Au-delà des mots et de ce discours qui se voulait offensif, la gestion du déconfinement renvoie en filigrane à celle de la responsabilité méconnue (dont personne ne parle) pesant pourtant sur les uns et les autres. En effet, il est clair que le déconfinement annoncé renvoie inévitablement la responsabilité à d’autres acteurs que les autorités décisionnelles nationales et locales intervenant dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, cela
à plusieurs niveaux.
I – La responsabilité de l’employeur
L’employeur est tenu d’une obligation de sécurité à l’égard de chacun de ses salariés. En cela, il doit veiller au maintien de cette exigence dans les locaux de l’entreprise. En découle également une obligation d’hygiène et de mise à disposition de formations spécialisées. Il est indispensable de comprendre l’étendue de cette obligation pour l’employeur. Il est clair que les dispositions des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et 4121-3 du code du travail imposent à tout employeur une lourde obligation de sécurisation de ses salarié. Cette obligation de sécurité et de protection concerne la santé physique et mentale. Outre la possibilité pour les salariés de faire jouer leur droit de retrait, il faut savoir qu’en cas de manquement aux obligations de
sécurité, l’employeur peut être condamné à verser des dommages-intérêts au salarié concerné au titre de son comportement fautif (Cassation, sociale, 6 janvier 2011, pourvoi n° 09-66704).
L’employeur s’expose à des sanctions pénales (amendes et/ou peines d’emprisonnement) mais aussi à une condamnation civile. En conséquence, l’employeur devra être particulièrement vigilent et sécuriser à chaque niveau ses salariés face au risque de contamination du virus covid-19. Par ailleurs, la responsabilité de l’entreprise peut se trouver également engagée sur un autre fondement juridique s’agissant d’un défaut de sécurité envers les clients qui recourent à leurs produits et/ou prestations. Nous prendrons pour illustrer cette double obligation une entreprise de transport de voyageurs : non seulement elle devra assurer la protection de ses salariés conducteurs mais également les personnes transportées, sa responsabilité étant doublement engagée en l’espèce.
II – La responsabilité pénale
Une telle responsabilité ne peut être exclue. En effet, le fait d’exposer quelqu’un à un risque pour sa vie est réprimée par une infraction dénommée mise en danger de la vie d’autrui, prévue par l’article 223-1 du code pénal. Cette infraction non intentionnelle va sanctionner en conséquence le comportement imprudent ou négligeant de son auteur. L’obligation enfreinte doit nécessairement être une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou par un règlement. Ainsi, la victime doit démontrer en quoi l’auteur a violé une obligation particulière imposée par une norme. On sanctionne ici la personne car elle a exposé l’autre à un risque immédiat de mort, de blessures d’où résulte une mutilation permanente. Il
faut une exposition immédiate à un risque. Par exemple, la Cour de cassation a retenu la responsabilité pénale d’une entreprise pour avoir exposé ses salariés et autres aux fibres d’amiante (Criminelle, 19 avril 2017, pourvoi n° 16-80.695). Cette infraction est punie d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende pour les physiques, avec des peines aggravées pour les personnes morales. Tant les personnes physiques que les personnes morales peuvent faire l’objet de poursuites pénales au titre de cette infraction à large spectre. Les personnes privées et publiques devront prendre des mesures afin de sécuriser sur le plan sanitaire leurs locaux et lieux de réception du public tant à l’égard de leurs personnels que des clients et usagers reçus.
En effet, l’importance du dispositif de protection mis en place au sein de la structure sera un élément marqueur dans des débats portant la responsabilité pénale avérée des personnes poursuivies.
III – La responsabilité administrative
La responsabilité de l’administration peut se trouver engager. Elle est fondée en l’espèce sur l’idée de risque et engagée sans que l’administration ait commis de faute. Elle vise les situations dans lesquelles l’administration expose des agents ou/et des tiers à des risques avérés. Ainsi, il a été jugé que le fait d’exposer une enseignante en état de grossesse en permanence aux dangers de la contagion de l’épidémie de rubéole est de nature à engager la responsabilité de l’Etat (Conseil d’Etat, 6 novembre 1968, Ministre de l’éducation nationale, requête n° 72636). Il convient de préciser que les parents ont également le droit d’engager la responsabilité de la collectivité publique en raison des dommages causés à leurs enfants
(Conseil d’Etat, 29 novembre 1974, Epoux G., requête 89756).
Cette responsabilité administrative de l’Etat fondée sur le risque est transposable à toutes les collectivités
territoriales et établissements publics territoriaux en raison des dangers qu’ils peuvent faire courir notamment aux usagers de leurs infrastructures (établissement scolaires, sportifs, etc.).En conséquence, les mandataires publics devront être particulièrement vigilants sur le dispositif de protection sanitaire mis en œuvre pour protéger les usagers contre l’infection du virus covid-19, eu égard à la lourde responsabilité financière pesant sur les collectivités publiques à ce niveau.
Il ne fait aucun doute que l’exposition au très pathogène et très infectieux coronavirus covid-19 constitue un risque qui est susceptible d’engager la responsabilité de différents acteurs sur différents plans. En conséquence, jamais le proverbe Prudence est mère des suretés n’aura été autant approprié pour la gestion du déconfinement français sur fond de crise sanitaire mondiale. Nous préconisons aux collectivités territoriales et aux entreprises de bien vérifier les conditions et la couverture de leur police d’assurance en matière de responsabilité, étant rappelé que l’Etat est son propre assureur. Il s’agit en effet de les protéger des conséquences dommageables qui peuvent résulter sur le plan financer en cas de responsabilité retenue dans le cadre d’infections liées au covid-19. Cependant, quels que soient les risques supposés, il faudra bien sortir, d’une manière ou d’une autre, du confinement car y rester trop longtemps deviendra mortifère sur tous les plans avec un risque d’effondrement très clair de notre société. Toute la problématique posée par le déconfinement réside en réalité dans la question cornélienne qui est celle de savoir comment on y sort et avec quelles garanties de sécurité et de protection pour chacune et chacun.
Patrick LINGIBÉ
Bâtonnier
Vice-Président de la Conférence des Bâtonniers
Avocat Spécialiste en Droit Public
Ancien membre du Conseil national des barreaux