©Tahiti Heritage
François Hollande voulait tourner la page du nucléaire lors de sa visite officielle en Polynésie française. Mais la page semble loin d’être tournée, il semblerait même que le livre s’ouvre à peine. Jean-Pierre Cottanceau, Administrateur Apostolique de l’Archidiocèse de Papeete, a publié ce mercredi un long communiqué dans lequel il rappel le rôle de l’Eglise Catholique et prend, par la même occasion, la défense du Père Auguste Carlson, président de l’Association anti-nucléaire 193.
C’est une position attendue depuis longtemps, l’Administrateur Apostolique de Polynésie française vient de s’exprimer sur le dossier du nucléaire, qui a largement rythmé la récente visite officielle du Président de la République dans la Collectivité d’Outre-mer. Rappel des faits : les associations anti-nucléaires, dont 193 et Moruroa e Tatou, ont mobilisé l’opinion polynésienne sur les trente années d’essais nucléaires en Polynésie et sur les graves conséquences sociétales et sanitaires des essais. Une pétition qui a recueilli plus de 40 000 signatures, des sit-in, des rencontres avec les élus locaux et une de mobilisation continue lors de la journée-visite du Président de la République, tout a été pensé pour interpeller François Hollande. Qu’il soit clair à présent, jamais le Président de la République n’aurait fait d’annonces sur le fait nucléaire si les associations ne s’étaient pas mobilisées en amont. L’une d’elle, la jeune Association 193, est menée par une figure chrétienne bien connue en Polynésie française : le Père Auguste Uebe-Carlson, originaire de Rikitea, île proche de Moruroa.
Le Haut-Commissaire de la République, non content de voir une mobilisation troubler la belle image orchestrée à l’occasion de la visite de François Hollande, a tout bonnement sommé les associations et plus particulièrement Père Auguste, d’arrêter les mobilisations. Le Haut-Commissaire de la République aurait même menacé le Père Auguste et appelé l’Archidiocèse de Papeete (et donc l’Administrateur Apostolique) afin de « calmer » l’engagement du curé, récemment consacré par Le Parisien. Pour Père Auguste, cette réponse est « un encouragement à ce que les Chrétiens s’engagent publiquement », car oui, croire en Dieu n’est pas être crédule. Il poursuit, « il faut savoir à qui il s’adresse, et je pense qu’il s’adresse à tous les Chrétiens (…). L’Eglise s’engage à prendre position contre toute les injustices », et les essais nucléaires sont bel et bien des injustices faites au peuple polynésien. En lame de fond, l’Administrateur Apostolique « demande à l’Etat de ne pas s’immiscer », en d’autres termes, de respecter la laïcité, ce principe républicain dont le Haut-Commissaire devrait en être le digne représentant.
Des années durant, les associations et individus engagés contre le nucléaire ont reproché à l’Eglise Catholique son mutisme. Par ce communiqué, l’Administrateur Apostolique renverse la tendance et le représentant du Pape François en Polynésie française veut susciter l’engagement parmi les croyants. Pour l’heure, les associations et Père Auguste surtout, attendent patiemment la déclaration de la commission « Justice et Paix » du diocèse de Papeete. Ci-dessous la retranscription du communiqué :
« Suite à la visite du Président la République, Monsieur Hollande, dans notre Pays, et face au désarroi et aux questions qui peuvent se poser dans notre Eglise par rapport aux commentaires suscités par cette visite, et par rapport à son implication dans la gestion des problèmes liés aux expérimentations nucléaires, le moment est venu pour moi d’apporter quelques clarifications.
Arrivé au fenua fin Août 2015 après 5 ans d’absence, j’avais annoncé que ma première tâche serait d’écouter, de prendre la mesure des questions et problèmes qui agitent notre diocèse, et d’éviter des décisions prises à la hâte, sans avoir au préalable pris le temps de me faire une idée, par l’écoute et le dialogue.
J’ai entendu dire que l’Eglise Catholique aurait été silencieuse pendant toutes ces années d’essais nucléaires sur le territoire. J’ai sous les yeux un certain nombre de prises de position qui invitent à nuancer cette opinion :
– Déclaration du P. Paul Hodée, président de la Commission diocésaine « Justice, Paix, Développement », publiée dans la Documentation Catholique n°2024 du 17 Mars 1991 et portant comme en-tête : « Les expériences de Mururoa : nécessité d’un effort de clarté et d’honnêteté »
– « La cessation des essais nucléaires : réaction de Mgr COPPENRATH, publiée dans la Documentation Catholique n°2051 du 7 Juin 1992
– Déclaration de Monseigneur Michel COPPENRATH suite à la reprise des essais nucléaires français en Polynésie, en date du 18 Juin 1995.
Je voudrais également citer un passage de la déclaration de l’Académie Pontificale du 07 Octobre 1981, portant sur les conséquences de l’emploi des armes nucléaires : « La grande question posée à la conscience des gouvernants n’est-elle pas : comment anéantir la violence sans être soi-même violent ? Comment se prémunir contre la violence pour qu’elle n’éclate pas ? La question est particulièrement grave en matière d’armement nucléaire. C’est une question que nous ne pouvons pas éviter… La conscience Chrétienne qui n’évite le mensonge qu’en respectant effectivement l’Homme, ne peut plus admettre que cette menace existe et soit de plus en plus sérieuse… » (Déclaration publiée dans le Semeur Tahitien n°18 du 8 Octobre 1982).
A l’heure actuelle, le débat concerne la question des conséquences des expérimentations nucléaires pour la société, pour les personnes touchées par ces expérimentations, pour leurs enfants, et pour l’environnement. La commission « Justice et Paix » de notre diocèse, prépare depuis quelques temps une déclaration à ce sujet. Si l’on veut contribuer à éclairer objectivement les consciences et à dépassionner le débat, cela demande une information aussi exacte que possible sur les réalités en cause et une réflexion sereine.
Il va sans dire que l’Eglise Catholique se veut respectueuse de la dignité des représentants de l’Etat et du Pays et elle attend de chacun de ses représentants ce même respect. Cependant, elle rappelle qu’il y aurait grand danger de confusion et d’atteinte à la liberté d’expression telle que garantie par la Loi si l’Etat venait à s’immiscer dans la façon dont l’Eglise entend mener sa réflexion et son action, dans la mesure, bien entendu où cette action s’inscrit dans la légalité. Puisque l’Homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, tout ce qui touche à la vie et à la dignité de quelque membre de l’Humanité que ce soit concerne l’Eglise : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21).
Reste la question de la place et du rôle que peuvent assumer les différentes composantes de l’Eglise au sein de la société, face à ses conflits et ses problèmes. Je parlerai des laïcs puis des ministres consacrés, prêtres et diacres permanents. De par leur Baptême et leur Confirmation, les Laïcs ont une place éminente dans la vie du monde, à tout point de vue. Le Pape Saint Jean XXIII disait : « La politique est la forme suprême de la charité ». Le politique est tout ce qui concerne la vie de la société, le souci du bien commun dans le respect de chacun. Il devrait être la préoccupation de tous les baptisés. Prier le dimanche pour les responsables politiques est une façon de témoigner du souci que nous portons de la vie et du bien de notre pays. L’engagement politique, quant à lui, est l’un des moyens de réflexion et d’action qui permet de mettre en œuvre ce souci du bien commun, grâce aux responsabilités et aux mandats électoraux, grâce aux partis politiques. A côté de cet engagement politique, peuvent être évoqués l’engagement syndical et l’engagement associatif rassemblant des citoyens désireux d’agir au nom d’idées communes pour le bien de leur pays. Toutefois, il est bon de rappeler qu’avant de s’engager à quelque niveau que ce soit, un Laïc baptisé doit s’assurer que le lieu et le mode de son engagement ne vont pas à l’encontre de ce que l’Evangile lui demande de vivre.
Par sa vocation et par son ordination, le prêtre occupe une place différente de celle des laïcs. C’est au regard de la mission de l’Eglise que peut être saisie la mission du prêtre dans son originalité irréductible. Par la prédication de la Parole, les prêtres font naître et grandir le peuple de Dieu. Par le baptême, ils font entrer les Hommes dans le peuple de Dieu. Comme chefs de communauté, ils instruisent les Hommes comme des enfants, et des enfants bien aimés, ils consacrent leurs forces à la croissance spirituelle de la communauté ecclésiale, corps du Christ.
Voilà pourquoi prêtres et laïcs ne se remplacent pas les uns les autres. Pour que grandisse le Corps du Christ, il est important que tous jouent leur rôle propre. Pourquoi le prêtre n’est-il pas un Chrétien comme les autres, pouvant se marier, pratiquer une profession, afficher ses opinions politiques ? Ce n’est pas à cause de ce qu’il fait, mais à cause de sa vocation et de son ordination. Ces deux réalités touchent l’intégralité de la vie du prêtre, la totalité de son existence humaine. Il n’y a pas dans l’existence du prêtre, de « secteur privé » qui pourrait s’organiser indépendamment et en dehors du sacerdoce. Ce que le prêtre accomplit au titre de sa fonction officielle, dans la vie de l’Eglise, doit être la loi de la vie personnelle du prêtre. La manière d’être Chrétien pour un prêtre, c’est son sacerdoce. Il y a toujours, certes, un écart entre la fonction du prêtre et sa vie. Mais si cet écart était consciemment entretenu, si le prêtre entendait se réserver pour lui, n’accordant à l’Eglise que l’accomplissement de certains devoirs de fonctionnaire, il violerait un impératif fondamental de sa vie et du Christianisme, celui de l’unité entre le ministère et la personne. Ainsi, le statut social du prêtre dépend de sa vocation et de son ordination.
Le diacre permanent, également ordonné par l’Eglise pour le service de la Parole et de la table ne saurait oublier ce ministère qui lui a été confié. Tout comme le prêtre, de par sa vocation et sa fonction officielle au sein de l’Eglise, le diacre, soucieux de l’unité se doit de laisser aux laïcs les responsabilités qui leur reviennent.
Papeete, le 02 mars 2016.
R.P. Jean-Pierre Cottanceau ».