A l’occasion de l’adoption récente d’un avis par le CESE (Conseil économique, social et environnemental), Outremers 360 a interrogé Marlène Schiappa, présidente de l’association de “Maman Travaille”, sur la prééminence de la violence faite aux femmes en Outre-mer.
Saisi le 25 juillet 2016 par le Premier ministre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté, à l’unanimité, le 29 mars 2017 son avis « Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer ». Objectif: approfondir la question des violences faites aux femmes dans les Outre-mer et répondre aux besoins de connaissances sur l’ampleur des violences faites aux femmes dans les Outre-mer afin de mener une politique publique cohérente dans ces territoires.
Quel constat faites-vous sur les violences faites aux femmes en Outre-mer particulièrement ?
Le premier est un constat chiffré. Il y a depuis quelques années un taux énorme de violences faites aux femmes. Si l’on prend tous les territoires de France, la Guyane est en tête devant Paris et l’Ile-de-France. Cela fait des années que des études dénoncent ce fait.
Le fait d’être éloigné de l’Hexagone n’incite pas à prendre en compte ce chiffre. Dans l’Hexagone, nous avons trop souvent tendance à ne regarder que les chiffres de la France continentale. Les données de la Corse sont souvent occultées dans ces statistiques. Le fait que la Guyane ait le plus fort taux de violences faites aux femmes est très peu relayé car on sort les départements d’Outre-mer de ces résultats d’études. Aujourd’hui, beaucoup de personnes pensent que Paris est la région la plus touchée par la violence faites aux femmes. La situation dans les outre-mer n’est pas connue, pas plus des experts et expertes qui travaillent sur ce sujet.
Le CESE a adopté récemment un avis sur la violence faite aux femmes en Outre-mer. Quel poids cet avis peut peser pour espérer avoir des avancées sur ce dossier ?
En fin de quinquennat, le gouvernement n’a pas le temps matériel pour agir car les budgets sont gélés. Je déplore que cela prenne des années. L’étude que je vous ai citée date de 2015 et il y a eu d’autres études auparavant. En réalité, des experts auraient dû être saisis sur ces questions depuis longtemps. Il est donc primordial que le prochain gouvernement se saisisse de cet avis du CESE et suive les recommandations faites par ce dernier. Ces recommandations ne coûteraient pas très cher à l’Etat et peuvent être mises en place rapidement.
Quelles mesures pourraient-faire l’objet d’une application rapide?
Nous pouvons citer par exemple le “Téléphone Grave danger”. Il paraît incroyable que la généralisation de ce dispositif n’ait pas été étendu aux territoires d’outre-mer auparavant. Il sera aussi primordial de créer rapidement un observatoire sur les violences faites aux femmes, spécifique aux collectivités ultramarines. Dans ces territoires, il y a une façon différente d’approcher les relations hommes-femmes, distincte de celle de l’Hexagone. Certaines solutions mises en place dans l’Hexagone ne sont pas adaptables en Outre-mer. C’est le cas de la mesure d’éloignement du conjoint violent qui permet aux femmes de déménager d’un département à un autre en France continentale. Cette problématique est plus complexe sur un département comme la Guadeloupe. Ce serait une double-peine pour ces femmes de laisser leur famille, leur travail pour aller s’installer ailleurs. Il faut donc commencer à étudier cette question avec les associations présentes sur le terrain et qui ont un diagnostic précis sur ce sujet.
En quoi les relations hommes-femmes en Outre-mer sont-elles différentes?
Du fait d’un taux de chômage et d’une précarité plus élevés, on constate qu’il existe une relation d’interdépendance économique plus importante en Outre-mer. Cela se caractérise par la femme qui ramène de l’argent au sein du foyer. Elle va culpabiliser de laisser son conjoint sans ressources, ou dans le cas contraire, elle ne travaille pas et est dépendante financièrement de son compagnon. Matériellement, elle ne dispose pas de moyens pour s’éloigner de son partenaire.
L’autre spécificité du taux de violence faite aux femmes en Outre-mer s’explique par le fait que les femmes sont dans un département où tout le monde se connaît. Les femmes sont davantage réticentes dans ce cas à dénoncer. Les femmes éprouvent une honte qu’elles ne devraient pas avoir. Par conséquent, le dialogue sur ces questions n’est pas ou peu abordé.
Peut-on dresser un parallèle entre la prégnance du culte de la vahiné et la prévalence d’un fort taux de violence faite aux femmes en Polynésie Française.
Les deux sont corrélées. Le mythe de la vahiné est quelque part dégradant pour les femmes. On les chosifie, on fait comme si le corps de ces femmes était un bien public, destiné à des loisirs et au divertissement. Les femmes ne sont pas valorisées pour leur caractère, leur personnalité ou leurs compétences professionnelles.
Dans votre ouvrage “Ou sont les violeurs”, vous développez la notion de “Culture du viol. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?
La culture du viol est tout ce qui minimise, trouve des excuses, banalise et traduit le viol et les agressions sexuelles comme une fatalité.On entends beaucoupe ce discours en Outre-mer dans les affaires de viols. On entends beaucoup dire “que nos hommes sont comme çà car ils sont sanguins,ils ont le sang chaud”. Je ne suis pas convaincue par cela. Selon moi, c’est irrespectueux pour les hommes de dire qu’ils ne savent pas réfréner leurs pulsions. Statistiquement,il est prouvé qu’il y a plus de viols en hiver qu’en été. L’idée de la pulsion parce qu’on a vu une femme en robe ou en jupe, ne tient plus. Au delà de ça, 71% des viols sont des actes prémédités. Le viol est donc un acte réfléchi dans la majorité des cas, souvent commis par des proches. La culture du viol repose donc sur tout ce qui consiste à rendre invisible, à ne pas en parler, voire à excuser lorsque cela arrive.