Décès de John Doom: « Grande figure du combat contre les essais nucléaires », Bruno Barrillot

Décès de John Doom: « Grande figure du combat contre les essais nucléaires », Bruno Barrillot

©Marie-Hélène Villierme

Suite au décès de l’ancien académicien et homme de combat contre les essais nucléaires, John Doom, un de ses plus proches amis et frère de lutte, Bruno Barrillot signe une tribune en hommage à celui qui fut un des grands défenseurs des causes polynésiennes.

« John Doom, né en 1936, a vécu son enfance à Tubuai, une île de l’archipel des Australes, loin des tumultes de la deuxième guerre mondiale. Une grande partie de sa vie a été marquée par les questions nucléaires. Jeune homme, il a vécu dans son pays l’irruption du monde militaire et colonial dès la fin des années 1950, lorsque le leader politique local Pouvanaa a Oopa fut éliminé par le pouvoir colonial pour laisser place nette à l’installation des essais nucléaires.

Dès 1964, alors jeune diacre de l’Eglise protestante, il s’active pour dénoncer l’exil en France de son pasteur, coupable d’avoir osé réclamer une enquête publique préalable à l’installation du centre d’essais nucléaires à Moruroa. Deux ans plus tard, le 2 juillet 1966, au moment de la première bombe française à Moruroa, il se trouve sur l’île de Mangareva comme interprète du ministre de la France d’outre-mer, Pierre Billotte, venu assister (de loin) à l’événement. Ce jour-là, les retombées radioactives sur Mangareva sont telles que la délégation officielle doit s’enfuir précipitamment, laissant une population locale dans la plus totale ignorance.

Bruno Barrillot et John Doom ©Observatoire des Armements

Bruno Barrillot et John Doom ©Observatoire des Armements

En 1971, John Doom devient le Secrétaire général de l’Eglise protestante de Polynésie nouvellement indépendante des Missions protestantes de Paris. Cette responsabilité le met en contact avec ses homologues et les Eglises chrétiennes du Pacifique eux-aussi préoccupés par les conséquences des expériences nucléaires américaines aux Iles Marshall et anglaises en Australie et à Christmas Island. Il faudra une dizaine d’années de formation et d’information pour que le synode de l’Eglise protestante polynésienne prenne position contre les essais nucléaires de la France. En 1989, John Doom est appelé à Genève au Conseil œcuménique des Eglises pour y créer le « Bureau Pacifique ». Pendant plus de 10 ans, le bureau de John à Genève devint le point de ralliement du combat international contre les essais nucléaires français dans le cadre de l’organisation « Europe Pacific Solidarity ». Dès la fin des essais à Moruroa en 1996, grâce aux relations œcuméniques de John, une enquête sociologique auprès des anciens travailleurs polynésiens a pu être organisée conjointement par l’association Hiti Tau et l’Eglise protestante maohi dont les résultats sont connus par le livre « Moruroa et nous » publié par l’Observatoire des armements. Peu après, c’est à Genève que germa le projet de fonder en France et en Polynésie des associations de victimes des essais nucléaires : l’Aven fut créée à Lyon le 9 juin 2001 et Moruroa e tatou à Papeete le 4 juillet suivant.

©Témoins de la Bombe

©Témoins de la Bombe

De retour à Tahiti en 2000, John Doom consacra une grande partie de sa vie de retraité au service de Moruroa e tatou et du combat pour la reconnaissance des victimes des essais nucléaires. Colloques à Paris, Hiroshima, Nagasaki, Alger, Papeete se sont enchaînés au fil des années avec de nombreux documentaires sur les chaînes de télévision françaises et étrangères où John témoignait sur les conséquences dramatiques des essais nucléaires.

John Doom est connu dans le monde entier non seulement pour son action en faveur des victimes des essais nucléaires, mais aussi dans les Eglises protestantes du Pacifique, d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique qu’il a rencontrées depuis les années 1960 comme représentant de l’Eglise protestante Maohi, puis comme l’un des co-présidents du Conseil œcuménique des Eglises. A Tahiti, depuis 2000, John a été le chancelier puis, jusqu’à aujourd’hui, le directeur de l’Académie tahitienne dont il fut un des premiers « Immortels ». Ayant traversé l’histoire de la Polynésie depuis le temps des Etablissements français de l’Océanie jusqu’à celui du Centre d’expérimentation du Pacifique – de l’époque des plongeurs de nacre à l’ère d’internet – John est considéré comme un « metua », un « ancien » unanimement écouté et respecté. Il nous a quittés et nous en sommes profondément bouleversés ».

©Marie-Hélène Villierme

©Marie-Hélène Villierme

Bruno Barrillot,
26 décembre 2016

Mot de la rédaction:

Bruno Barrillot, chercheur à l’Observatoire des Armements et chef de la Délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires, est fin connaisseur des trente années d’essais nucléaires en Polynésie française et militant de la première heure, comme son ami John Doom. Avec ce dernier et Roland Oldham, il fonde Moruroa e Tatou et consacre sa carrière à éclairer les zones d’ombres autour des essais nucléaires.