Ce samedi, à Wallis et Futuna, Eufenio Takala, du clan des Keleta’ona, a été intronisé roi de Sigave, un des trois royaumes de Wallis et Futuna. Cela faisait plusieurs années que Sigave n’avait pas de roi. Dans un contexte coutumier quelque peu tendu, la cérémonie d’intronisation s’est déroulée sans accros.
C’est un des enseignements de la récente visite de François Hollande dans les Outre-mer du Pacifique : le public national et les médias nationaux démontrent un méconnaissance regrettable des coutumes océaniennes qui régissent encore certains Etats et territoires du Pacifique, dont Wallis et Futuna. Le quiproquo autour de la cérémonie du Kava à laquelle François Hollande fut invité lors de sa visite à Wallis en est le parfait exemple. Pour pallier à ce manque de connaissance, Outremers360 a fait appel à Paulo Lapé, lui-même Wallisien, qui nous explique la cérémonie, les fonctions et missions du roi à Wallis et Futuna et sa place au sein d’une société aux rites coutumiers scrupuleusement respectés.
L’intronisation du nouveau roi de Sigave s’est donc déroulée ce samedi au fale fono de Leava, chef lieu de Futuna, île qui abrite le royaume de Sigave et d’Alo. Une cérémonie sans incident, dans un contexte coutumier tendu comme l’explique longuement Wallis et Futuna 1ère.
Comment se passe une intronisation de roi à Sigave et à Wallis et Futuna en général ? Quel est le rituel cérémoniel suivi ?
Le rituel d’intronisation du roi est sensiblement le même sur les 3 royaumes. Il y a d’abord la cérémonie du kava royal organisée par les autorités coutumières et à laquelle sont invitées les autorités administratives, politiques et religieuses. Puis le partage du « Katoaga » ; offrandes apportées par la population et constituées de cochons précuits et de produits vivriers (ignames, taros, kapés, etc…) agrémentés lors des occasions exceptionnelles telles les intronisations de roi, de produits de l’artisanat local, nattes et tapas, et de produits importés.
Il existe cependant quelques variantes dans le déroulement de la cérémonie du kava royal. Il sera donc question, ici, de présenter le rituel cérémoniel du royaume d’Uvea (Wallis) et d’établir un parallèle avec celui d’Alo (à Futuna) pour en relever les différences. Bien que l’esprit de la cérémonie d’intronisation du roi soit identique d’un royaume à l’autre, j’estime mes connaissances insuffisantes pour me permettre de présenter le rituel pratiqué à Sigave, sans risque d’erreur susceptible de froisser les autorités coutumières de ce royaume. Je laisserai donc à d’autres sources plus éclairées le soin d’apporter les réponses adaptées.
Depuis combien de temps Sigave n’avait pas de roi ? Qu’est-ce que cela change au niveau politique et sociétal ?
Le royaume de Sigave est resté sans roi pendant plus de 4 ans. Une telle vacance a évidemment des répercussions sur la gouvernance coutumière du royaume ainsi que sur le fonctionnement des institutions du Territoire. L’absence de roi sur une période aussi longue impacte le moral des habitants du royaume qui ne disposent plus de leur guide coutumier suprême. Les règles de gouvernance du royaume se trouvent modifiées avec l’absence de l’autorité coutumière suprême : toutes les décisions concernant le royaume seront dorénavant prises par le grand conseil coutumier sans la bénédiction royale. Les relations avec les 2 autres royaumes ainsi que celles avec les autorités républicaines ou territoriales peuvent être complètement paralysées en l’absence de roi puisqu’il est le détenteur de l’autorité coutumière.
Quels sont les pouvoirs des rois wallisiens et futuniens ? Quelles sont leurs missions ?
Les pouvoirs du roi, tant à Wallis qu’à Futuna, sont avant tout coutumiers et sa volonté ou sa décision dans les domaines où la compétence revient à l’autorité coutumière, notamment le foncier, s’impose à tous ses sujets. Son vrai pouvoir réside dans le fait qu’il est reconnu et respecté par tous. Pour le règlement de conflits de toute nature opposant des personnes, des familles ou des villages, c’est à l’autorité coutumière que l’on s’adressera en premier lieu. Alors même que la loi statutaire de 1961 attribue à l’Etat la compétence en matière « d’ordre et de sécurité publics », c’est l’autorité coutumière qui fait régner l’ordre dans chacun des villages, assurant ainsi la sécurité de tous.
Détenteurs de l’autorité coutumière reconnus par l’Etat, c’est tout naturellement que les rois sont nommés vice-présidents de droit du Conseil territorial, institution territoriale qui assiste l’Administrateur supérieur pour l’administration du territoire des îles de Wallis et Futuna et qui examine notamment tous les projets qui doivent être soumis à l’Assemblée territoriale. C’est tout aussi naturellement que chacun des rois assure, de droit, la présidence du Conseil de circonscription (chaque royaume constitue une circonscription territoriale).
Est-ce que la récente visite officielle de François Hollande a accéléré la désignation d’un nouveau roi ?
La récente visite présidentielle de François Hollande n’a, en aucune manière, ni accéléré ni précipité la désignation du nouveau roi de Sigave. Le consensus était déjà obtenu : le clan Keleta’ona avait déjà fait son choix et ce choix avait été accepté par les autres familles royales du royaume. Restait à présenter ce choix à la Chefferie coutumière et à fixer une date qui convienne à la chefferie et à la famille du futur monarque pour la cérémonie coutumière d’intronisation, laquelle date devant, en raison de l’importance de l’événement, prendre en compte les délais indispensables à l’information et à l’invitation des autorités administratives, politiques et religieuses du territoire et de la Mission Catholique dont la présence à la cérémonie est jugée nécessaire par l’autorité coutumière pour l’officialisation de cette nomination coutumière suprême ainsi que le temps nécessaire à l’information de la population du royaume qui participera aux côtés de la famille du futur roi à la cérémonie d’intronisation.
Les affaires coutumières ne tolèrent aucune ingérence et aucun événement, fut-ce une visite présidentielle, ne peut venir perturber le déroulement, ni l’issue de ces longues séances de « palabres » au cours desquelles chacun des doyens de la famille au sein de laquelle sera désigné le futur roi, n’a qu’un seul impératif : obtenir l’unanimité autour de sa propre candidature ou celui du candidat qu’il a choisi pour occuper le trône.
Le royaume de Wallis est le dernier à ne pas avoir de roi, pensez-vous que la désignation ne saurait tarder ?
Le royaume d’Uvea est en effet toujours sans souverain depuis la destitution de Kapeliele Faupala en 2015. La monarchie a connu par le passé des périodes d’interrègne relativement longues. Sur ces royaumes où le rapport au temps n’est ce que nous connaissons dans le monde occidental, la désignation d’un nouveau monarque n’est rythmée que par la seule notion de consensus : consensus au sein de la famille en charge du choix du futur porteur du titre de Lavelua, accord de l’ensemble des familles royales sur le choix fait par la famille du futur roi et « acceptation » du choix issu du consensus familial par la Grande Chefferie du royaume. Ajouté à cela, tout prétendant au trône doit pouvoir justifier d’une moralité irréprochable, qualité indispensable à un roi : celui qui aura présenté quelques lacunes dans ce domaine verra ses chances réduites en conséquence. Telles sont les règles pour la nomination du roi.
Elément nouveau dans le paysage de cette interrègne : le mouvement des « rénovateurs » qui a vu le jour en 2005 mais que le dernier monarque n’a pas pu maîtriser avant sa destitution et au rang desquels figurent des candidats potentiels au titre de futur monarque. La population l’a parfaitement compris que seuls les doyens des familles royales et la chefferie coutumière ont un droit de regard sur la désignation du futur roi mais ne se formalise pas de cette situation d’attente. Elle s’en remet au choix des familles et espère simplement que cette longue attente puisse déboucher sur l’intronisation d’un roi qui aura à cœur de réconcilier le peuple d’Uvea.
Paulo Lapé, Ancien délégué de Wallis et Futuna auprès du Ministère de l’Outre mer, ancien adjoint du directeur des Finances de Wallis et Futuna et ancien Adjoint du délégué de Futuna.
Avec la participation de Malia Ulutuipalelei.