Édouard Fritch, président de la Polynésie, a reconnu avoir « menti » à la population ©Assemblée de la Polynésie française
De 1966 à 1996, cent quatre-vingt-treize essais nucléaires ont été réalisés sur les atolls de Mururoa et Fangataufa et dans l’archipel des Tuamotu. Et alors que les élus polynésiens veulent inscrire le fait nucléaire dans la réforme du statut de la Collectivité, l’actuel président polynésien a reconnu avoir « menti » lorsqu’il était encore le numéro 2 de Gaston Flosse.
Alors que la majorité des élus polynésiens souhaite que la reconnaissance des conséquences des essais nucléaires figure dans le statut de la Polynésie française, Édouard Fritch, président de la Polynésie française a reconnu, jeudi, avoir menti aux habitants sur l’innocuité des essais nucléaires. « Je ne m’étonne pas qu’on me traite de menteur alors que pendant 30 ans, nous avons menti à cette population, (en leur disant) que les essais étaient propres : nous avons menti, j’ai fait partie de cette bande », a-t-il déclaré devant les élus de l’Assemblée de la Polynésie française. C’est notamment la première fois qu’un président autonomiste polynésien reconnait les dégâts des 30 ans d’essais nucléaires et la responsabilité des élus qui avaient défendu ces essais.
Un propos qui intervient lors de la réforme du statut de la Polynésie française. « Avant, peut-être que j’ai vendu mon pays. Avant, peut-être, pendant de longues années. Mais pas aujourd’hui, croyez-moi : je me sens obligé de réparer ce qui a été fait dans ce pays, même si c’est l’État français qui l’a fait, mais j’ai besoin de l’État français pour réparer », a-t-il ajouté. En effet, la majorité d’Édouard Fritch est favorable au maintien d’une large autonomie au sein de la République française. Oscar Temaru (Tavini) souhaite l’indépendance tandis que le Tahoeraa de Gaston Flosse préfère un statut intermédiaire de pays associé.
Cette déclaration a été immédiatement suivie par une charge à l’encontre de Gaston Flosse qui est devenu, malgré son inéligibilité, le principal adversaire d’Édouard Fritch. « Notre propre leader a vu une bombe péter : lorsqu’on voit une bombe atomique péter, je pense qu’on se rend compte que ça ne peut pas ne pas faire de mal », a lancé Édouard Fritch vers son ancien mentor présent dans l’hémicycle. A l’époque, l’actuel président était le numéro 2 du parti de Gaston Flosse, ancien président de la Polynésie. Gaston Flosse était alors considéré comme un rempart face aux indépendantistes et avait longtemps défendu les essais français en Polynésie.
« On peut pardonner, mais on n’oubliera jamais »
Dans le projet de réforme du statut de la Polynésie, il est prévu d’y inscrire le fait nucléaire selon les termes : « La République reconnaît la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation ». Une formulation qui est loin de satisfaire les élus indépendantistes. Ces derniers ont estimé dans un communiqué que le peuple polynésien avait été « volontairement sacrifié sur l’autel de la raison d’État, pour la seule grandeur de la France ». « On peut pardonner, mais on n’oubliera jamais », a réagis Antony Géros, président du groupe indépendantiste à l’Assemblée, suite aux propos du président Édouard Fritch. « On utilise l’indépendance comme on utilise les essais nucléaires: pour taper sur la France », a dénoncé Édouard Fritch devant les journalistes. « C’est un moyen hypocrite de le faire », a-t-il poursuivi, « si on veut l’indépendance de ce pays, ça se prépare autrement ».
Au total de 1966 à 1996, 193 essais nucléaires ont été réalisés sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, dans l’archipel des Tuamotu. Les indépendantistes polynésiens, qui avaient dénoncé ces essais dès les années 70, ont déposé, le 2 octobre dernier, une plainte contre la France pour crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale. Selon une étude, les retombées radioactives auraient des conséquences sur la santé des habitants avec des cancers, des troubles des comportements, des anomalies génétiques… En 2010, une loi a instauré un dispositif d’indemnisation pour les victimes dans cet archipel français du Pacifique qui compte 270 000 habitants. Mais le compte n’y est pas pour les associations de vétérans touchés par des maladies induites.
Concernant la réforme du statut de la Collectivité, celle-ci doit maintenant être défendue devant le gouvernement central par le Président de la Polynésie, attendu à Paris la semaine prochaine.
Une avancée pour la création du centre de mémoire des essais nucléaires :
En parallèle, le gouvernement polynésien s’est réjoui du vote par l’Assemblée nationale d’un amendement à la loi de Finances déposé par le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, visant à céder à la Polynésie française l’hôtel du commandement de la Marine (COMAR) face au parc Bougainville, à Papeete. Cette cession entre dans le cadre de la mise en œuvre du centre de mémoire des essais nucléaires, acté par l’Accord de l’Elysée, et qui a fait l’objet de la création en janvier 2018 d’un groupe de travail chargé d’établir le contenu. Le gouvernement de la Collectivité « salue l’implication du gouvernement central pour faire avancer ce dossier, conformément aux engagements pris devant les Polynésiens ».