Rétro 2017 en Nouvelle-Calédonie : Du scepticisme à la curiosité, l’Etat semble avoir gagné la confiance des élus calédoniens

Rétro 2017 en Nouvelle-Calédonie : Du scepticisme à la curiosité, l’Etat semble avoir gagné la confiance des élus calédoniens

©Lionel Bonaventure / AFP

A l’aube de 2018, Outremers360 fait un point sur l’année qui s’est écoulée en Nouvelle-Calédonie. Hautement politique, avec les différentes élections nationales, les premières visites du nouveau gouvernement, le Comité des Signataires, le blocage du gouvernement ou encore, le déplacement tant attendu du Premier Ministre, Edouard Philippe, 2017 fut déterminante pour l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Pierre-Christophe Pantz, Docteur en Géopolitique et spécialiste de la recomposition des Territoires kanak, dresse le bilan politique 2017 et entre-ouvre l’année 2018 qui verra l’aboutissement de 30 ans de processus de décolonisation et d’émancipation de la Nouvelle-Calédonie.   

2017 a été une année électorale: quelles ont été les conséquences de la Présidentielle et des législatives sur l’échiquier politique calédonien ? A-t-on observé des changements dans les rapports de force ?

L’année 2017 a été une année qui a contribué à une profonde recomposition du paysage politique. Pour la Présidentielle, la Nouvelle-Calédonie a confirmé sa réputation de territoire ancré à droite. Au premier tour, en agglomérant tous les résultats de la droite (Les Républicains, Front National et Debout la France !), ce sont plus de 63% des scrutins exprimés. Néanmoins, ce qui a été nouveau et surprenant, c’est le score sans précédent du Front National au premier tour (presque 30%) et au second tour (47%), notamment dans certaines communes du Grand Nouméa (Dumbéa, Païta, Mont-Dore) et sur certaines communes de la côte-ouest où Marine Le Pen est arrivée en tête. Certes, le candidat des Républicains François Fillon était affaibli par ses affaires médiatiques et financières, mais je pense que c’est principalement le contexte politique (1 an et demi avant le référendum d’autodétermination) qui a participé à un durcissement du positionnement non-indépendantiste lors de ce scrutin national.

D’ailleurs, compte tenu de l’absence de François Fillon au second tour, très peu de responsables politiques non-indépendantistes se sont prononcés clairement en faveur d’Emmanuel Macron (notamment Sonia Lagarde, Philippe Gomès, Philippe Dunoyer).

Au regard des taux d’abstention, l’électorat indépendantiste a quant à lui, boudé le scrutin présidentiel (et plus particulièrement, l’électorat de l’Union Calédonienne, le Palika ayant soutenu le Parti Socialiste au premier tour puis Emmanuel Macron au second). C’est ce que l’on a observé dans les communes traditionnellement de sensibilité indépendantiste (Nord Est de la Grande Terre, Îles Loyauté, etc.) et à une échelle plus fine, au niveau des tribus historiquement fidèles à l’Union Calédonienne.

L’élection législative, quant à elle, a été sensiblement différente. D’abord, parce qu’il s’agit d’une élection avec une importante dimension territoriale. Par exemple, les candidats locaux du Front National n’ont pas réussi à transformer l’essai et ce sont finalement, les candidats de Calédonie Ensemble (que l’on peut considérer de centre-droit) qui l’ont emporté dans les deux circonscriptions. Du côté indépendantiste, faute d’unité du FLNKS, l’abstention a été trop importante pour espérer la victoire d’un candidat et notamment dans la seconde circonscription.

Indéniablement, ces deux scrutins (présidentielle et législatives), ont contribué à fragmenter les deux camps (indépendantistes et non-indépendantistes) : entre l’UC et le Palika d’une part et entre Calédonie Ensemble et Les Républicains Calédoniens. C’est d’ailleurs ce que l’on a observé ensuite avec le blocage du gouvernement qui a duré près de 2 mois.

Philippe Gomes, membre du parti Calédonie Ensemble et député (UDI) de la Nouvelle-Calédonie ©Jacques Demarthon / AFP

Philippe Gomes, membre du parti Calédonie Ensemble et député (UDI) de la Nouvelle-Calédonie ©Jacques Demarthon / AFP

Comment cette période a été vécue par la population ? Clivages, mobilisation dans les urnes ? 

Je ne sais pas si ce que je vais dire est représentatif de l’ensemble de la population. Mais pour ma part, j’ai eu l’impression que le caractère âpre, conflictuel et personnel des débats électoraux a totalement occulté les débats d’idées et de programmes. Au regard des taux d’abstention records, cela a suscité chez certains de la lassitude, voire du désintérêt ou du rejet des électeurs néocalédoniens pour la question politique. Et les signaux envoyés par ces deux scrutins (abstention, fragmentation des deux camps politiques, radicalisation des discours, etc.) étaient vraisemblablement préoccupants à quelques mois de l’échéance référendaire.

Comment l’arrivée d’une toute nouvelle équipe en place, inconnue jusqu’en mai 2017, a-t-elle été vécue par les politiques et la population ?

Au début, il est clair que cette nouvelle équipe constituée autour d’Emmanuel Macron n’a pas rassuré les Néo-Calédoniens, échaudés par une campagne législative difficile. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet mais beaucoup de Néo-Calédoniens, me semble-t-il, ont éprouvé un sentiment de méfiance et de scepticisme sur les capacités et le positionnement de cette équipe vis-à-vis du dossier néo-calédonien. Quasiment absente de son programme (à l’exception d’une ligne), tout laissait à croire que la Nouvelle-Calédonie ne serait pas une priorité pour le nouveau président Emmanuel Macron.

Dans les relations avec l’Etat, comment celles-ci ont évolué entre les élections, le Comité des Signataires et la visite du Premier ministre ?

Selon toute vraisemblance, sur place, la curiosité s’est progressivement substitué au scepticisme et ce, à partir du discours de politique générale du Premier ministre (4 juillet 2017) où ce dernier n’a pas hésité à consacrer la Nouvelle-Calédonie comme la priorité ultramarine de son gouvernement.

Néanmoins, à la suite de ce discours, beaucoup de responsables politiques locaux ont adopté une posture saint-thomasienne, attendant de la part du Premier Ministre, des actes concrétisant son engagement. Son implication personnelle lors du Comité des Signataires (novembre 2017), puis sa visite sur le Territoire (décembre 2017) ont contribué à la résolution successive de deux blocages politiques majeurs : la question du corps électoral référendaire puis l’élection du président du gouvernement néo-calédonien. Cette double réussite a indéniablement renforcé la crédibilité et le rôle de l’Etat dans le processus de sortie de l’Accord de Nouméa.

© Facebook Edouard Philippe

© Facebook Edouard Philippe

Pierre Frogier a fustigé le terme « peuple calédonien » employé par le Premier Ministre. Comment expliquer ce revirement de discours alors qu’Edouard Philippe avait fait l’unanimité lors du Comité des signataires ?

C’est vrai qu’à l’issue du Comité des Signataires et de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, le Premier Ministre semblait avoir emporté l’adhésion de l’ensemble de la classe politique néocalédonienne. Les propos du sénateur Pierre Frogier tenus quelques jours plus tard peuvent donc surprendre. Lors du Comité directeur du Rassemblement – Les Républicains,  Pierre Frogier a considéré qu’ « il n’y a pas de peuple calédonien, mais il y a une communauté calédonienne, avec ses spécificités, avec sa propre personnalité, au sein du peuple Français. Cette affirmation du premier ministre m’a choqué. Mais elle m’inquiète aussi. Parce que quand on commence à parler de peuple qui s’exprime souverainement, on débouche sur l’Indépendance-Association ». Selon moi, cette précision n’est pas seulement sémantique. Elle est le reflet d’un contexte.

Local tout d’abord. Celui de la déclaration commune pour une Calédonie dans la France et dans la Paix, signée lors de l’entre deux-tours des législatives par Calédonie Ensemble, le Rassemblement – Les Républicains, le MPC et Tous Calédoniens. Plusieurs mois après, lors d’un colloque scientifique portant sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie (18 octobre 2017 à l’Université de la Nouvelle-Calédonie), plusieurs adversaires politiques (notamment les Républicains Calédoniens) avaient raillé le silence du Rassemblement (et de son représentant, Pierre Frogier) suite aux propos de Philippe Gomès (Calédonie Ensemble) qui se considérait comme « nationaliste calédonien ».

A titre personnel, j’analyse cette intervention de Pierre Frogier comme une volonté de répondre aux accusations d’inféodation des Républicains Calédoniens tout en préservant son alliance avec les autres partis ayant ratifié la « déclaration commune ». Même s’il déclare ne pas se reconnaitre dans le positionnement de Calédonie Ensemble, l’unité du camp non-indépendantiste semble à ses yeux plus importante que les divergences idéologiques au sein de cette alliance : « (…) Je veux l’unité pour parler d’une seule voix pour parler avec l’Etat et face aux Indépendantistes. Et j’ai le sentiment que nous avons gaspillé ces dernières années trop de temps, trop d’énergie, à nous opposer, à rivaliser. L’essentiel n’est pas là : il est dans la préparation de l’avenir de la Calédonie dans la France (…) ».

Le contexte national a peut être également joué un rôle dans cette prise de position. La récente élection de Laurent Wauquiez à la tête des Républicains, connu pour être plutôt positionné à droite du parti, a peut être influencé indirectement Pierre Frogier afin qu’il se démarque sensiblement de la démarche du Premier Ministre actuel.

Comment se présente 2018, entre la prochaine visite du Président de la République, la volonté d’une déclaration commune loyaliste-indépendantiste, le dernier Comité des Signataires et le référendum qui pourrait se dérouler fin octobre ?

La récente élection du président et du vice-président par l’ensemble des 11 membres du gouvernement (sauf Christopher Gygès, le représentant du groupe les Républicains Calédoniens) donne de l’espoir pour 2018. Les partis indépendantistes et non-indépendantistes semblent avoir repris la voie du dialogue, du consensus et de la collégialité. Seule l’épreuve du temps nous donnera tort ou raison.

Néanmoins, plusieurs difficultés devront être surmontées. Tout d’abord, vous avez raison de le signaler, sur l’adoption d’une « déclaration commune » (Calédonie Ensemble) ou d’un « grand palabre océanien » (Rassemblement – Les Républicains). Le peu de temps dont dispose les protagonistes (moins de 10 mois) limite la marge de manœuvre des uns et des autres. D’autres sources potentielles de difficultés : les termes de la consultation, la date de la consultation et le suivi des inscriptions automatiques et d’office, prévues lors du dernier Comité des Signataires.

Le dernier Comité des Signataires a eu lieu le 2 novembre dernier, avec comme point principal, l'inscription automatique des natifs calédoniens sur la liste électorale spéciale ©Outremers360

Le dernier Comité des Signataires a eu lieu le 2 novembre dernier, avec comme point principal, l’inscription automatique des natifs calédoniens sur la liste électorale spéciale ©Outremers360

La sortie de l’accord de Nouméa se joue-t-il sur un axe/consensus/compromis Paul Néaoutyine-Philippe Gomès ? 

Les termes que vous empruntez : axe/consensus/compromis Paul Néaoutyine-Philippe Gomès fait écho à la récente campagne législative 2017 pendant laquelle certains candidats ont dénoncé avec la même sémantique, l’axe « Gomès-Néaoutyine ». Je me méfierai donc de ces appellations.

Néanmoins, et pour rappel, en 2009, pendant la campagne des élections provinciales, Philippe Gomès et Paul Néaoutyine avaient effectivement débattu sur la question « quel avenir après l’accord ? ». Ce débat avait d’ailleurs fait l’objet d’une retranscription publiée. Depuis cette date, la proximité (ou au moins le dialogue) ne peut effectivement pas être niée entre ces deux formations politiques mais au regard de l’histoire politique récente, ce n’est évidemment pas l’apanage de ces deux seuls partis. D’autres partis indépendantistes et non-indépendantistes entretiennent ou ont entretenu également des relations.

Et pour rappel, la consultation référendaire étant constitutionnalisée et rappelé par le Premier Ministre, comme une évidente nécessité, on voit difficilement comment pourrait émerger une alternative, discutée secrètement par une partie des protagonistes.

 Par Tenahe FAATAU