©Frédéric Gouis
Au lendemain du premier tour de la Présidentielle, les cartes sont rebattues, tant au plan hexagonal qu’ultramarin. La défaite des partis dit traditionnels a fait vaciller les tenors politiques ultramarins. Si la plupart d’entre-eux ont annoncé leur ralliement au candidat Emmanuel Macron, d’autres font entendre leur dissidence et préfèrent se projeter sur les troisièmes et quatrièmes tours des Législatives. En lame de fond, l’appel au vote sur mesure semble avoir trouvé ses limites lors de ce premier tour de la Présidentielle.
On aurait pu penser que les électeurs ultramarins suivraient les positions de leurs leaders politiques respectifs lors du premier tour de cette Présidentielle. Ce fut le cas, cette année encore, pour la Polynésie. Les électeurs se sont rangés derrière les positions des deux grands chefs autonomistes: Gaston Flosse pour Marine Le Pen et Edouard Fritch pour François Fillon. Les autres candidats, à la traîne, n’avaient pas pour eux des personnalités assez fortes, dans ce territoire où, comme l’expliquait le politologue Sémir Al Wardi dans un article de Vice News, « le vote se fait sur recommandation, voire instruction ».
Pour le second tour, Gaston Flosse reste campé sur ses positions, apparaissant maintenant publiquement aux côtés d’Eric Minardi, représentant du Front national en Polynésie. De son côté, Edouard Fritch a appelé à voter le candidat d’En Marche!, rejoignant ainsi le dissident maire de Paea, Jacquie Graffe, qui a offert à Emmanuel Macron une victoire dans sa commune, la seule de Polynésie. Pour ce qui est des Législatives, reste à savoir si les candidats du parti d’Edouard Fritch, actuel Président de la Polynésie française, garderont l’investiture Les Républicains, au regard des renégociations avec l’UDI, annoncées dès le soir du premier tour.
De son côté, l’abstentionniste et indépendantiste Oscar Temaru, maire de Faa’a, poursuit sur sa lancée et appelle à une nouvelle abstention pour le second tour. Il rejoint ainsi ce que pourrait être la position de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise. Au premier tour, la commune de Faa’a s’est abstenue à près de 80%. S’il est difficile d’en tirer des conclusions, le bastion indépendantiste polynésien semble avoir suivi la position de son leader historique.
Les politiques locaux pas entendus ?
Dans les autres Collectivités d’Outre-mer, les résultats du second tour ont de quoi donner des sueurs froides aux élus locaux. La plupart se sont rangés derrière les candidats des partis « traditionnels ». C’est le cas du Président de la Région Réunion Didier Robert ou encore de Jean-Paul Virapoullé (maire de Saint-André) et Nassimah Dindar (Présidente du Conseil départemental), qui avaient appelé à voter pour François Fillon. Les pilliers du PS en Outre-mer comme Ericka Bareigts (La Réunion), Serge Letchimy (Martinique) ou encore Victorin Lurel (Guadeloupe), soutiens indéfectibles du candidat socialiste, n’ont pas réussi à déjouer les pronostics qui actaient, bien avant le premier tour, une déroute du PS.
En Nouvelle-Calédonie, Benoît Hamon arrive toutefois a faire de bons scores dans la province Nord, majoritairement indépendantiste. Il était d’ailleur soutenu par les indépendantistes Kanak du FNLKS, mais le fort taux d’abstention dans la communauté Kanak aura eu raison du candidat socialiste. Pour ce qui est d’Emmanuel Macron, ses nombreux soutiens de poids à La Réunion (Thierry Robert, Gilbert Annette ou Monique Orphé) ne sont pas parvenu à contenir l’imprévisible vague bleue marine. Younous Omarjee, soutien de Jean-Luc Mélenchon et député européen, peut toutefois se satisfaire des résultats de son candidat, en tête sur les terres de feu Paul Vergès.
En Guadeloupe, le Président de la Région Ary Chalus, soutien d’Emmanuel Macron, peut aussi être soulagé. Le candidat d’En marche! y arrive en tête. L’équation est plus compliquée à Saint-Pierre et Miquelon, territoire natal de l’actuelle ministre de la Fonction publique et soutien d’Emmanuel Macron Annick Girardin, qui a massivement voté en faveur de Jean-Luc Mélenchon. Ici, l’échéance territoriale de mars a eu un effet particulier sur la dynamique présidentielle, comme à Wallis et Futuna et à Saint-Martin/Saint-Barthélémy: les électeurs n’étaient plus dans un engrenage local-national.
Vaste front républicain en Outre-mer
En Guyane, la crise sociale semble avoir eu raison des leaders politiques locaux, majoritairement socialistes. Ces derniers, qui ont été écartés des négociations entre les collectifs et le gouvernement, ont été silencieux sur leur soutien avant le premier tour. Seul Rodolphe Alexandre avait appelé à voter Emmanuel Macron, qui finit troisième derrière Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Pour le second tour, une très grande partie des politiques locaux, tous bassins confondus, appellent à voter Emmanuel Macron: d’Ericka Bareigts à Edouard Fritch, en passant par Serge Letchimy, Didier Robert, Nassimah Dindar ou encore, Antoine Karam et Sonia Lagarde.
On notera toutefois les divisions d’une partie de la droite calédonienne. S’il appelle à un vote libre, Gaël Yanno, leader de l’Union pour la Calédonie dans la France (UCF), a déclaré qu’il ne « voterai pas blanc, et (…) ne suivrai pas la consigne de vote des Républicains pour faire barrage à Marine Le Pen ». Harold Martin, maire de Païta, dont les administrés ont majoritairement voté pour l’héritière du Front national, déclare n’avoir « aucune confiance » en Emmanuel Macron, sans ouvertement appeler à voter Front national. De son côté, le sénateur Les Républicains Pierre Frogier ne donne aucune consigne de vote et appelle à la mobilisation en vue des Législatives, une position partagée par Sonia Backès, Pascal Vittori et Bernard Deladrière, candidats à cette échéance électorale. Les élus de Calédonie ensemble, droite plutôt centriste, ainsi que les indépendantistes Kanak, sont pour l’heure silencieux. Seul point de convergence: tous les politiques calédoniens ont en tête le référendum de 2018. Ce second tour inédit a jeté le trouble au sein de la classe politique calédonienne, car ni Emmanuel Macron, ni Marine Le Pen ne sont familiers avec les Accords de Matignon et Nouméa.
La fin du paternalisme électoral ?
C’est peut être un des enseignements de ce premier tour, à l’échelle hexagonale ou ultramarine. Mis a part quelques territoires comme la Polynésie ou la Guadeloupe, les consignes de vote semblent avoir été balayées par les électeurs ultramarins. Aussi pour le second tour, il n’est pas certain que les électeurs de droite se rangent derrière la position républicaine de leurs leaders. Des personnalités comme Eric Ciotti, Nadine Morano, Jean-Frédéric Poisson ou Christine Boutin se sont elles-mêmes désolidarisés de la consigne. Il en va de même pour les militants de la France insoumise, majoritairement tentés par l’abstention, comme leur leader.
Se pose la question de l’efficacité de « l’appel à voter ». Le premier tour a fait voler en éclats les soutiens aux partis traditionnels, largement soutenus en Outre-mer. Les appels au libre choix et à la conscience électorale semblent, en 2017, trouver un écho considérable chez les citoyens.