Les partenaires de l’accord de Nouméa, lors de la déclaration du Premier ministre à la fin du 19ème Comité des signataires ©Outremers360
Le dernier Comité des signataires de l’accord de Nouméa s’est déroulé à Matignon ce jeudi 10 octobre. Il a notamment acté quelques points d’organisation du second référendum d’autodétermination : la date et le corps électoral. Dans cette analyse, Joël Destom, Directeur des Outre-mer d’AG2R LA MONDIALE, s’intéresse aux questions économiques et sociales abordées la veille et le matin du 10 octobre, et dont l’une des réponses fut un avenant de 9 milliards XPF et un refinancement bancaire de 17 milliards XPF.
Le 19ème Comité des signataires permet de comprendre à quel point l’accord de Nouméa (qui l’instaure) est enraciné dans l’Histoire … et dans le quotidien. Ses volets politiques et juridiques, aussi riches et habiles soient-ils, peuvent difficilement vivre sans l’expression temporelle du volet économique et social. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, Édouard Philippe et les signataires, ont travaillé à préserver les chances de procéder à l’écriture d’une « communauté de destin et de citoyenneté ». Ce faisant, ils ont appliqué l’esprit de l’accord, ils ont respecté l’avenir.
Concrètement, s’agissant des questions économiques et sociales, l’État a annoncé un avenant de 9 milliards de francs pacifiques (75,420 millions d’euros) supplémentaires aux différents Contrats de développement des collectivités de Nouvelle-Calédonie. Les parties présentes se sont accordées pour le renouvellement des engagements avant le 31 décembre 2019 et des sujets aussi importants que la politique carcérale, les violences faites aux femmes, le numéro unique d’identification, la défiscalisation, le développement des programmes de la Banque Publique d’Investissement, la politique monétaire, le financement de l’économie calédonienne ont été considérés. Le refinancement bancaire de 17 milliards de francs pacifiques (142,5 millions d’euros), également annoncé, traduit la volonté de renforcer le dynamisme et de créer les conditions de la confiance dans un moment historique.
La politique monétaire et le financement de l’économie
Ces dix dernières années, l’activité bancaire et financière a été soutenue. La croissance annuelle des encours sains octroyés aux agents économiques calédoniens par l’ensemble des établissements de crédit a progressé de 4,5% sur un an (6 % pour les ménages, environ 1 % pour les entreprises), soit à un rythme nettement plus élevé que celui de l’évolution du PIB. La production de crédit a été soutenue dans un environnement monétaire plutôt accommodant, avec des taux directeurs historiquement bas et des mesures d’assouplissement. Dans le même temps, la croissance économique a été moins vive, ce qui a entrainé une baisse du produit net bancaire des établissements de la place.
Aussi, le Comité des signataires a acté les nouveaux engagements de l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM) ainsi qu’une évaluation technique sur la capacité de l’Agence française de développement (AFD) à s’inscrire dans un dispositif de « refinancement bancaire », si la situation l’exigeait. Il a également décidé de constituer un groupe de travail chargé de travailler sur les engagements pour la conservation des flux d’épargne en Nouvelle-Calédonie.
La conservation des flux d’épargne en Nouvelle-Calédonie
Selon le rapport de l’IEOM, publié en juillet 2019, l’encours des actifs financiers détenus par les agents économiques calédoniens dans les établissements de crédit installés localement atteint 807 milliards de francs pacifiques en 2018 (6,8 milliards d’euros). La collecte nette d’épargne recule sensiblement à 4,6 milliards francs pacifiques en 2018 (38,6 millions d’euros) contre 13,9 milliards francs pacifiques (116,5 millions d’euros) en 2017 et 16,7 milliards francs pacifiques (139,9 millions d’euros) en 2016.
En revanche, l’encours des placements hors zone d’émission (contrats d’assurance-vie essentiellement, mais aussi livret A) progresse à un rythme plus soutenu (+10,9 % en 2018 après +1,7 % en 2017) et atteint 203,8 milliards de francs pacifiques (soit 25 % de l’encours collecté localement).
Les dépôts collectés localement ne couvrent structurellement pas les octrois de crédits, et le solde des dépôts locaux / encours bancaires se dégrade (-40 milliards de francs pacifiques, soit -335,2 millions d’euros), portant le déficit de place à un niveau record de 164,4 de milliards de francs pacifiques (1,4 milliards d’euros).
Lors de réunion économique et sociale du 9 octobre 2019, organisée à la Maison de la Nouvelle-Calédonie, Christopher Gygès (porte-parole du Gouvernement, en charge des secteurs économiques) a indiqué que le Gouvernement de Thierry Santa avait engagé une large concertation sur le sujet, avec la ferme volonté de rencontrer tous les acteurs locaux.
La question de la confiance
S’il s’avère que la volonté exprimée par les calédoniens de sécuriser leurs économies (avec des placements hors zone d’émission) amplifie la fragilité des banques, le sujet auquel est confronté le Comité des signataires est celui de la construction d’un dispositif, quel qu’il soit, reposant sur un « degré élevé de confiance ».
En effet, la réponse à la question posée de savoir comment l’épargne collectée en Nouvelle-Calédonie peut être partiellement ou totalement réinvestie en local, appelle l’expression d’une vision (bien plus qu’une réponse technique) quant à la relation entretenue par les acteurs économiques avec leur environnement, dans un contexte particulier.
La monnaie figurant parmi les compétences régaliennes dont le transfert à la Nouvelle-Calédonie est envisageable à l’issue de l’accord de Nouméa, les réflexions de Michel Aglietta (économiste français, spécialiste des questions de régulation économique) sur la confiance pourraient s’appliquer à l’Histoire que les calédoniens déciderons d’écrire dans les prochains mois.
« Nous vivons dans un univers contradictoire. Il faut comprendre que la monnaie est politique avant d’être économique. La confiance dans la monnaie est l’alpha et l’oméga de la société, […] elle permet d’accepter le collectif comme supérieur à l’individuel. […]
D’un côté, la monnaie appartient au collectif et exprime la loi sociale en permettant aux échanges d’être cohérents. Mais, dans le même temps, les comportements privés, lorsqu’ils se polarisent sur la liquidité, comme ils le font dans les crises financières, perturbent gravement les engagements financiers. […]
On a souvent tendance à penser que cette notion de confiance est une sorte de disposition psychologique. En réalité, la confiance est un lien social, structurant, qui nous relie à autrui. Elle est capitale dans le système monétaire. Elle s’organise en trois formes hiérarchisées depuis le quotidien jusqu’à l’interrogation sur le social ».
Joël Destom, Directeur des Outre-mer d’AG2R LA MONDIALE.