L’Edito d’Erick Boulard: Lucette Michaux-Chevry, la fin d’une certaine époque

L’Edito d’Erick Boulard: Lucette Michaux-Chevry, la fin d’une certaine époque

© Gérard Cercles/ AFP

A 90 ans, Lucette Michaux-Chevry a annoncé son retrait prochain de la vie politique. Pendant près de 70 ans, elle aura marqué la vie publique guadeloupéenne, mais également nationale et pesé sur les débats et les problématiques ultramarins. Que restera t-il de son expérience ? Retour sur le parcours exceptionnel, mais tumultueux de celle qui a été considérée comme une bête politique.

Un parcours et une longévité exceptionnels

Clap de fin pour Lucette Michaux-Chevry qui a annoncé son retrait définitif de la vie politique à l’issue de son dernier mandat. Celle qui est encore aujourd’hui, à 90 ans, et jusqu’en 2020 présidente de la communauté d’agglomération «Grand Sud Caraïbes », mettra ainsi fin à 70 années de vie politique. « Dame de fer », « seul homme politique de la Guadeloupe », entre autres comparaisons accolées à son itinéraire, Lucette Michaux-Chevry aura fait la pluie et le beau temps au sein de la vie publique guadeloupéenne de longues années durant. Une carrière bien remplie et une longévité exceptionnelle qui l’ont amenée à occuper tous les postes électifs locaux possibles et jusqu’à la position de Secrétaire d’Etat puis de ministre déléguée sur le plan national. D’abord en 1986 lors d’une première cohabitation dans le gouvernement dirigé par son ami Jacques Chirac, puis en 1993 au sein du cabinet Balladur, sous la seconde cohabitation de l’ère mitterrandienne.

Lucette Michaux-Chevry en tant ministre déléguée chargée de l'Action humanitaire et des Droits de l'homme, sortant du conseil des ministres, dans la cour du palais de l'Elysée, le 2 avril 1993, à Paris, France. (Photo by Michel BARET/Gamma-Rapho via Getty Images)

Lucette Michaux-Chevry en tant ministre déléguée chargée de l’Action humanitaire et des Droits de l’homme, sortant du conseil des ministres, dans la cour du palais de l’Elysée, le 2 avril 1993, à Paris, France. (Photo by Michel BARET/Gamma-Rapho via Getty Images)

Spécialiste des premières fois

Auparavant, cette avocate de formation qui avait débuté sa carrière à gauche de l’échiquier politique – au Parti socialiste – et qui en avait démissionné pour protester contre les « ambigüités » du parti sur le statut de l’île, aura ravi tous les sièges locaux, jusqu’à devenir incontournable, pour ne pas dire omnipotente sur la scène politique guadeloupéenne. Elle fut tour à tour conseillère municipale, conseillère générale, présidente du Conseil général, puis présidente de la région Guadeloupe, non sans en avoir été députée et sénatrice. Parfois en même temps à l’époque bénie pour les élus qui pouvaient cumuler à loisir plusieurs mandats. Lucette Michaux-Chevry aura aussi été la femme politique des premières fois. Première femme de France à occuper le poste de présidente d’un département; Première femme d’outre-mer à détenir un maroquin ministériel. Bref, son parcours aura indéniablement marqué la scène politique locale et nationale.

Toute-puissance électorale

Mais il y a aussi un envers à ce beau décor. Car ce personnage central de la vie publique locale aura fait l’objet de bien de débats et de controverses notamment quant à son mode de gouvernance et à ses différents positionnements jugés alambiqués, ambigus voire incohérents. Ses succès électoraux, sa toute-puissance qui ont fabriqué en série des obligés et des affidés ayant eu besoin d’elle pour se faire élire, sa mainmise sur la droite locale et ses amitiés en haut lieu du pouvoir ont pu lui faire accroire qu’elle était intouchable et immortelle politiquement. Par ailleurs, son franc- parler, la véhémence de ses propos, ses admonestations, son caractère bien trempé voire son autoritarisme réel ou supposé ont provoqué de nombreuses inimitiés et peut-être quelques ennuis avec la justice.

Jacques Chirac et Lucette Michaux-Chevry en voyage aux Antilles à l'occasion des élections présidentielles le 31 mars 1988, France. (Photo by Philippe GIRAUD/Gamma-Rapho via Getty Images)

Jacques Chirac et Lucette Michaux-Chevry en voyage aux Antilles à l’occasion des élections présidentielles le 31 mars 1988, France. (Photo by Philippe GIRAUD/Gamma-Rapho via Getty Images)

Duplicité

Enfin, Lucette Michaux-Chevry a là aussi initié une première. C’est elle qui la première a théorisé le fameux concept du « en même temps » dont use et abuse aujourd’hui la « sphère macronienne ». L’élue guadeloupéenne est une adepte du double discours. Un langage usité en Guadeloupe avec de forts accents autonomistes et patriotiques sur la « Guadeloupe d’abord » et la nécessité de faire en sorte que les Guadeloupéens « prennent en main leurs affaires ». Une position d’ailleurs défendue au travers de son parti « Objectif Guadeloupe » au sein duquel elle portera le fer contre les socialistes locaux, allant jusqu’à prôner avec les indépendantistes le oui au référendum portant sur l’évolution institutionnelle préconisant la substitution de la région monodépartementale en collectivité unique. Un comble quand on sait – ironie du sort – que son principal rival d’alors, le socialiste Victorin Lurel militait pour le non et défendait au contraire le statu-quo. L’autre langage est à usage national. Car, en même temps, qu’elle criait haro sur les élus et l’etablishment hexagonaux accusés de ne rien comprendre aux affaires guadeloupéennes, la parlementaire guadeloupéenne tenait sur le plan national un discours conforme aux pensées et aux idéaux de son parti de l’époque -L’UMP – dont la volonté uniformisatrice et assimilationniste était mise en avant. Une duplicité que les électeurs guadeloupéens finiront par sanctionner puisque « Gran Madanm la », dont la parole était jusque là « d’évangile » subira son premier gros revers électoral. Les Guadeloupéens opposant à une très large majorité une fin de non recevoir à une modification du statut de leur île.

Boucler la boucle

Un coup de semonce qui sera le prélude à sa défaite aux régionales qui verra l’avènement de son ennemi juré, Victorin Lurel. Celui-ci aura tiré les bénéfices de son positionnement net et franc sur l’évolution du statut de la Guadeloupe. Dès lors, Lucette Michaux-Chevry se retirera sur son Aventin et son pré-carré dans sa bonne sa ville de Basse-Terre où elle se fera élire et réélire jusqu’à ce qu’elle décide de passer la main à sa fille, Marie-Luce Penchard à la tête de l’édilité. Encore une histoire de famille. Mais, quand on a animé la vie publique locale pendant tant d’années, on ne s’en détache pas comme cela et Lucette Michaux-Chevry, fidèle à elle même, s’octroiera la présidence de la communauté d’agglomération de Basse-Terre. Histoire de boucler la boucle tranquillement.

Marie-Luce Penchard qui habille de l'écharpe de maire Lucette Michaux-Chevry après l'élection municipales en mars 2014 © France-Antilles Guadeloupe

Marie-Luce Penchard qui habille de l’écharpe de maire Lucette Michaux-Chevry après les élections municipales en mars 2014 © France-Antilles Guadeloupe

Un exemple à suivre ?

Au final, que retiendra t-on de l’expérience politique de Lucette Michaux-Chevry ? Son parcours et sa longévité exceptionnels ? Ses actions au sein des différentes assemblées qu’elle a dirigées ? Sera t-elle jugée à l’aune de sa gestion des affaires guadeloupéennes ? Ses prises de positions iconoclastes ? Ses dérives autoritaires ? Celle qui a été considérée comme une bête politique peut -elle être érigée en modèle, en référence ? Peut- elle être un exemple à suivre sinon en pensée du moins en action et en comportement ? Rien n’est moins sûr car aujourd’hui, l’heure est à rechercher au meilleur moyen d’articuler entre le profond désir de renouvellement de la classe politique et l’expérience nécessaire à l’exercice du pouvoir. Et dans ce cadre, Lucette Michaux-Chevry représente sans aucun doute la fin d’une certaine époque .

Erick Boulard