Aldebaran, premier tir nucléaire aérien français réalisé le 2 juillet 1966 à Moruroa ©DR
« S’il est un débat qui déchaîne les passions en Polynésie, c’est bien celui du nucléaire. Après des années de silence et de mensonges d’État, la promulgation de la loi Morin en 2010 devait ouvrir une voie aux remboursements des malades atteints de maladie radio-induites, ce ne fut pas le cas. Face à cet échec, les voix des associations de défense des malades se sont faites multiples et parfois discordantes. Après des décennies de rétention d’informations, le débat public est maintenant pollué de contre-vérités qui décrédibilisent par leur outrance la légitime et nécessaire demande d’information et de réparation », Dominique Morvan.
En exclusivité sur Outremers360, retrouvez l’enquête sur le fait nucléaire du magazine annuel Dixit, que nous publions en trois parties à partir de ce dimanche 7 janvier. Cette enquête, menée par, Dominique Morvan, sera disponible dans le 26ème numéro du Dixit qui paraîtra le 25 janvier 2018.
1ère partie : Un grave déficit d’informations
Les propos d’un membre de l’association 193, tenus à la tribune de l’ONU en octobre 2017 font état de : « 600 nouveaux cas de cancer par an » et des « taux anormalement élevés d’enfants malformés à la naissance », ils ont été largement relayés par plusieurs médias nationaux. Pourtant, aucune étude scientifique ne vient étayer ces allégations. La multiplication de ces effets d’annonce risque à terme de décrédibiliser la revendication pourtant légitime de prise en compte des effets nocifs des essais nucléaires. Tous les acteurs du débat constatent un grave déficit d’informations et notamment un manque d’avis contradictoires.
Indemnisation : 134 dossiers polynésiens pris en charge
Cent trente-quatre dossiers en provenance de Polynésie française ont été reçus et pris en charge par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). 98 dossiers envoyés au Civen proviennent du Centre médical de suivi (CMS). Une trentaine de dossiers ont été montés par des particuliers ou avec l’aide des associations de vétérans du nucléaire comme Moruroa e tatou ou 193. Sur ces 134 dossiers, 37 ont été rejetés principalement en raison du « risque négligeable » d’irradiation. Treize dossiers ont reçu un avis favorable d’indemnisation, dont trois en passant par un recours devant la justice administrative. Enfin, une soixantaine de dossiers sont toujours en attente de réponse du Civen. Par ailleurs, un ancien travailleur du nucléaire a été indemnisé sans passer par la Loi Morin, mais à travers des recours devant le tribunal du travail, puis le tribunal administratif.
La loi Morin amendée crée un blocage supplémentaire
Accusée d’être trop complexe et de ne générer que trop peu de dossiers d’indemnisation, la loi a été amendée en février 2017. Mais la suppression de la notion de « risque négligeable » a créé un effet pervers : des milliers de personnes pourraient en effet déposer un dossier, car il suffit désormais d’avoir résidé en Polynésie du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1998 et d’être victime de l’un des 21 cancers concernés pour prétendre à une indemnisation sans avoir à démontrer le lien avec le nucléaire, la loi privilégiant dorénavant un principe de causalité.
Pour certains observateurs, il faudra canaliser les demandes, un nouvel aménagement de cette loi serait alors nécessaire pour la faire justement fonctionner. Il faudra notamment proposer de nouveaux critères, qui seront forcément restrictifs. Pour l’AVEN, il faudrait étudier au cas par cas les demandes des populations et indemniser systématiquement toute demande des anciens travailleurs. Pour l’association 193, il faudrait indemniser toute demande.
Peut-on évaluer une Indemnisation globale de la Polynésie ?
Dans le cadre de la loi Morin, le Comité d’indemnisation des victimes des essais a versé depuis 2010 un peu moins de 716 millions de FCP d’indemnités (6 millions d’euros). Peut-on considérer, comme le dit le président Édouard Fritch à l’ONU, que la dotation globale d’autonomie (DGA) instaurée par le président Chirac et versée chaque année par l’État serait une somme forfaitaire d’indemnisation ? Depuis la fin des essais nucléaires en 1996, la Polynésie reçoit annuellement environ 18 milliards de CFP (140 millions d’euros) en compensation financière de l’arrêt de l’activité militaire. Cette dotation devrait être sanctuarisée dans le futur Accord de Papeete, texte final de l’accord de l’Élysée, qui avait été signé par les présidents Fritch et Hollande en février 2016.
Un lieu de mémoire des essais nucléaires sur le front de mer
L’État et le Pays portent depuis une dizaine d’années un projet de lieu de mise à disposition publique des archives, d’informations et de documentation sur la période des essais nucléaires, afin de faire mémoire pour les générations actuelles et à venir de cette période de trente années ayant eu des impacts multiples et profonds sur la société polynésienne. Après les réflexions menées par un groupe de travail État Pays en 2010, le projet d’un lieu de mémoire des essais nucléaires en Polynésie française était resté en dormance jusqu’à être réactivé par les engagements du président Hollande lors de sa visite en Polynésie française le 22 février 2016 et ceux contenus dans l’Accord de l’Élysée.
Lors d’un entretien à l’Élysée entre Édouard Fritch et Emmanuel Macron le 6 novembre 2017, le président de la République a trouvé équitable que la participation de l’État dans le projet de Centre de mémoire sur le nucléaire se traduise par le transfert de la propriété du Comar (commandant de la Marine) au Pays.
Le travail de préparation de ce projet, qui porte maintenant le nom d’institut d’archives, d’information et de documentation sur les essais nucléaires en Polynésie française, sera mené par la subdivision des îles Tuamotu et Gambier et la délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires.
Par Dominique Morvan.