©Mike Leyral / AFP
Les dirigeants du Pacifique se retrouvent lundi à Nauru pour le 49ème Forum des Îles du Pacifique (FIP), qui sera éclipsé par l’existence sur cette petite île d’un camp très controversé abritant des centaines de demandeurs d’asile relégués par l’Australie.
Sur le papier, les discussions du 49ème Forum des Îles du Pacifique sont censées porter sur des questions cruciales pour la région, comme l’impact dévastateur du réchauffement climatique sur des archipels submergés, la sécurité, ou l’influence grandissante de la Chine. Dans les faits, la tenue sur Nauru de ce rendez-vous diplomatique de quatre jours est l’occasion d’un coup de projecteur sur ce camp de rétention oublié, qu’Amnesty International et 80 organisations non gouvernementales ont qualifié dans un appel aux dirigeants du Pacifique de « tâche sur la région ».
« Les leaders des îles du Pacifique ne peuvent ignorer plus longtemps cette question qui doit figurer en tête du menu des discussions du FIP », écrit dans cet appel Roshika Deo, chercheuse chez Amnesty pour le Pacifique. « C’est une situation désespérée qui nécessite d’agir d’urgence ». Le camp de rétention abrite environ 220 demandeurs d’asile -dont une dizaine d’enfants- qui ont tenté de rejoindre l’Australie par la mer et qui en vertu d’une politique d’immigration draconienne, sont envoyés dans des infrastructures reculées du Pacifique, dans ce micro-État de Nauru ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
« Traitements inhumains »
Canberra justifie sa politique par la nécessité d’empêcher les arrivées de bateaux de clandestins et d’ainsi sauver la vie de migrants tentés d’entreprendre le périlleux voyage maritime. Même si la demande d’asile des migrants est jugée fondée, ils ne sont pas acceptés sur le sol australien. Les autorités australiennes ont été maintes fois critiquées pour les conditions de vie dans ces camps, où des réfugiés sont maintenus indéfiniment, sans perspectives. Dans un rapport de 2016, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU avait dénoncé des « traitements inhumains et dégradants » subis par les mineurs à Nauru, « y compris des violences physiques, psychologiques et sexuelles ».
En attendant, ce camp est crucial pour l’économie de Nauru, exsangue depuis l’épuisement des réserves de phosphate qui avaient contribué à son essor au siècle dernier. A en croire des chiffres australiens, les recettes publiques de cette île de 11 000 habitants que la France range parmi les paradis fiscaux sont passées de 20 à 115 millions de dollars australiens (12 à 72 millions d’euros) entre 2010-2011 et 2015-2016, essentiellement grâces aux subventions australiennes liées au camp. Signe du caractère sensible du sujet, les autorités de Nauru ont averti les journalistes couvrant le sommet du FIP que leur visa serait révoqué s’ils écrivaient sur le camp.
Sans le Premier ministre australien Scott Morrison
« Vous n’êtes autorisés qu’à couvrir ou prendre des photos ou des vidéos du FIP. Tout autre sujet doit être approuvé par la RON » (République de Nauru), ont-elles dit. Avec 21 kilomètres carrés, Nauru est la plus petite Nation insulaire au monde et il sera difficile pour les délégués d’ignorer la présence du camp de rétention. La Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, qui avait en vain proposé à l’Australie et à Nauru d’accueillir 150 réfugiés, n’a pas exclu d’essayer de visiter le camp. « J’ai l’espoir d’avoir au moins la possibilité d’être confrontée au sujet des réfugiés sur l’île », a-t-elle déclaré aux journalistes. « J’ignore quelle forme cela prendra ». Le nouveau Premier ministre australien, Scott Morrison, qui vient juste d’être investi, a décidé de ne pas participer au Forum.
Réchauffement climatique, statut de Wallis et Futuna et référendum en Nouvelle-Calédonie
Un des objectifs de ce 49ème Forum est d’établir un fond de 1,5 milliard de dollars pour aider la région à faire face au réchauffement climatique ainsi qu’aux catastrophes comme les séismes. « Le réchauffement climatique est la plus grande menace pour l’existence, la sécurité et le bien-être de nos populations », a déclaré la Secrétaire générale du FIP Meg Taylor, première femme nommée à ce poste. Le fléau de l’obésité dans les îles du Pacifique, la gestion des stocks de thon, l’officialisation du statut de Wallis et Futuna en tant que membre associé et le référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie seront également à l’ordre du jour.
?Amnesty International et 80 autres ONG appellent les dirigeants des 18 nations du #Pacifique à exiger la fermeture d’un camp de rétention financé par l’#Australie sur l’île de Nauru, où ils se réuniront en sommet du 3 au 6 septembre. #réfugiés https://t.co/7MfODDwp1a pic.twitter.com/j1CjzG24T7
— Charles Baudry (@CharlesBaudry) 1 septembre 2018
Le 10 août dernier, les ministres des affaires étrangères de la région s’étaient réunis au siège du Secrétariat du FIP, à Suva (Fidji), pour la traditionnelle préparation du Forum. La question de l’inscription de la Papouasie occidentale sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser avait été évoquée, suscitant « des échanges animés entre le Vanuatu, Fidji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Samoa », indiquait la Présidence de la Polynésie française. Province indonésienne, la Papouasie occidentale est le terrain d’une rébellion armée, menée par le Mouvement de la Papouasie libre (OPM) et depuis le rattachement controversé de cette région riche en ressources naturelles à l’Indonésie en 1963. Des dizaines de milliers de papous auraient été tués par les forces de sécurité indonésienne depuis le début de ce conflit séparatiste très peu médiatisé, relate un reportage de Libération.
Rendez-vous annuel du Secrétariat éponyme, le Forum des îles du Pacifique réunis 18 membres : l’Australie, les Îles Cook, les États fédérés de Micronésie, les Fidji, la Polynésie française, Kiribati, Nauru, la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Zélande, Niue, Palau, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la République des Îles Marshall, Samoa, les Îles Salomon, Tonga, Tuvalu et le Vanuatu.