EXPERTISE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : Y-a-t-il plusieurs sorties possibles de l’Accord de Nouméa ? Par Louise et Mathias Chauchat

EXPERTISE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : Y-a-t-il plusieurs sorties possibles de l’Accord de Nouméa ? Par Louise et Mathias Chauchat

À quelques semaines du deuxième référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie, Outremers360 laisse la parole aux experts, institutionnels et universitaires, qui décrypteront et analyseront ce scrutin majeur, pour cet archipel du Pacifique sud, issu de l’Accord de Matignon en 1988, et de l’Accord de Nouméa en 1998. 

Mathias Chauchat, professeur de Droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, et Louise Chauchat, avocate au Barreau de Nouméa, citoyens de la Nouvelle-Calédonie et auteurs d’un e-book Le sens du Oui, se penchent sur le projet de la coalition non indépendantiste « Les Loyalistes » au regard du « principe d’irréversibilité constitutionnelle » de l’Accord de Nouméa. 

La coalition des fractions issues de l’éclatement du Rassemblement de Jacques Lafleur, avec le Rassemblement national mais sans le parti Calédonie ensemble, qui s’est dénommée elle-même « Les Loyalistes », a publié ce 7 septembre 2020 un document de 36 pages, enrobé de douceurs sur la forme et dur sur le fond.

Ce projet se veut être « un projet de société et une solution institutionnelle » pour la Nouvelle-Calédonie qui se place résolument dans l’optique de trois Non à la pleine souveraineté du pays : « Liberté de penser et de vivre à sa manière, égalité des hommes et des femmes, et fraternité dans le respect de chacun ; les Loyalistes déclinent les valeurs d’un projet qu’ils estiment progressiste et non conservateur » a déclaré Erik Dufour sur le plateau de la 1ère.

L’Accord de Nouméa balise pourtant, de manière assez complète, le chemin de la sortie. L’avenir y est écrit, ce qui n’est pas le moindre de ses avantages. Cette sortie est encadrée par le principe constitutionnel d’irréversibilité de « l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie ». Ce dernier est formé sur le modèle britannique : jamais la Reine ne retire une compétence cédée à un Dominion. Ceci est à l’opposé de l’histoire française, plutôt faite d’hésitations et de reniements. Ce qui est constitutionnellement irréversible, ce sont les institutions, dont le gouvernement collégial, la provincialisation, les transferts de compétences, le corps électoral des citoyens, mais aussi l’emploi local, le statut coutumier ou les modalités d’accession à la pleine souveraineté.

Les conséquences du principe d’irréversibilité constitutionnelle

La fonction politique du principe d’irréversibilité est de garantir la paix civile, quand la consultation est une garantie du principe démocratique de l’acquiescement des populations intéressées. Si les deux parties savent que rien d’essentiel ne bougera, alors ils éviteront le conflit ouvert.

Première conséquence hétérodoxe : on ne peut « éclairer », c’est-à-dire ne développer que le Oui. Et ce n’est pas une provocation. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien, experts français, observaient que « l’Accord est muet » sur la possibilité de développer le projet du Non, mais ils ne l’interdisaient pas. Pourtant, compte tenu de l’irréversibilité constitutionnelle, l’Accord resterait nécessairement en l’état. Le Non suspend le temps. Si on permettait d’annexer les grandes lignes d’un nouveau statut au Non, on ouvrirait les surenchères sur les reniements à la parole donnée et on irait vers un référendum catastrophe, en remettant justement en cause cette irréversibilité.

Seconde conséquence, plus partagée : le principe d’irréversibilité limite les choix de sortie. En constitutionnalisant un principe d’irréversibilité, notamment en donnant un caractère définitif aux transferts de compétences, on exclut formellement la possibilité d’intégration à la France. Il faudrait restituer à la France le droit du travail, le droit fiscal, le droit civil, le droit commercial et bien d’autres compétences… On a au moins, par l’irréversibilité, garanti a minima le statu quo.

Troisième conséquence non conformiste : on entend partout que ces élections sont celles du « dernier mandat » de l’Accord de Nouméa. Cela renforce, pour chacun des blocs, la dramaturgie de l’affrontement binaire. « Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée », l’organisation politique mise en place en 1998 reste en vigueur. Est-on si sûr de pouvoir mettre en place avant les provinciales de 2024 une nouvelle organisation politique après trois Non ?

Quatrième conséquence imprévue : en cas de trois Non, les négociations d’un statut, surtout si l’écart est faible, seraient asymétriques. Du côté indépendantiste, une (très relative) sérénité appuyée sur l’irréversibilité qui, en sacralisant les éléments politiques les plus sensibles de l’Accord permet d’attendre que l’on offre « quelque chose en plus » pour poursuivre l’Accord de Nouméa par une nouvelle solution. Du côté non indépendantiste, une impossibilité de déconstruire les avancées peu propices au maintien des résidents ou à l’investissement.

Le projet des « Loyalistes » veut renverser la table

La première revendication institutionnelle est « une citoyenneté ouverte ». Le nouveau statut rétablirait ainsi le droit de vote, gelé pour les arrivants ou immigrants français depuis l’Accord de Nouméa. L’Accord étant un accord de décolonisation, il paraissait logique que soit mis un terme à la politique de peuplement. Faute d’empêcher la libre circulation entre la Métropole et la Nouvelle-Calédonie, l’accord, conforme au droit de l’ONU, s’est fait sur la citoyenneté. C’est d’ailleurs la seule exigence qui compte vraiment pour Les Loyalistes et qui marginaliserait enfin définitivement les Kanak dans leur pays.

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Cette citoyenneté de l’Accord de Nouméa garantit pourtant l’égalité politique à tous dans le futur État indépendant, Calédoniens et Kanak, et ne les prive d’aucun droit. C’est une offre généreuse du peuple kanak, un signe d’ouverture aux autres à qui ils ont confié les clés de leur propre émancipation. Rouvrir le corps électoral, c’est revenir à la politique de peuplement, à la noyade démographique des Kanak. La France « recoloniserait » en 2020 ; ce serait tout simplement inacceptable.

La « nouvelle gouvernance » proposée est tout aussi inquiétante ; elle tient en 4 points : « revoir la clé de répartition, élargir les compétences des provinces, revoir la composition du Congrès, revoir la composition du gouvernement ». Il s’agit de reprendre en main tout le système politique conçu depuis 30 ans d’accords en le basant sur un corps électoral élargi, qui donnerait une large majorité aux populations urbaines du Sud, en leur adjoignant l’immigration française récente et en marginalisant les politiques de rééquilibrage économique et social qui bénéficiaient aux populations kanak du Nord et des Îles. Remettre en cause tout l’équilibre politique des institutions serait tout autant inacceptable.

Les Loyalistes partent du principe que la France validerait ce projet en le proposant au référendum des Calédoniens « comme cela avait été le cas en 1998 ».

L’histoire bégaie 

Ce projet des Loyalistes pour la Nouvelle-Calédonie est complètement à contrecourant des 30 années communes d’évolution institutionnelle. Il ne pourrait cependant aboutir que par le soutien affirmé de l’État malgré sa reconnaissance dans l’Accord de Nouméa de « la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d’une complète émancipation ».

Pour remettre en cause l’irréversibilité constitutionnelle, plusieurs raisonnements sont concevables : premièrement, l’État pourrait ainsi unilatéralement et s’il a une majorité pour le faire décider de modifier sa Constitution et mettre fin au processus de décolonisation engagé ; deuxièmement, il pourrait considérer l’Accord de Nouméa comme caduc en lui faisant perdre sa protection constitutionnelle avec la bénédiction du Conseil constitutionnel et en modifiant la seule loi organique ; troisièmement, il aurait encore la possibilité, comme pour le dispositif de protection sanitaire lors de la crise de la Covid-19 ou lors de la crise politique de 1985, de reprendre la gestion directe du pays.

Serait-ce si nouveau ? Alors que depuis le boycott des élections du pays de novembre 1984, la Nouvelle-Calédonie était plongée dans les Événements, un mot pudique pour éviter celui de guerre civile ou plus exactement de guerre coloniale, le statut Pons était unilatéralement proposé dès avril 1986. Au nom de la démocratie, il réduisait les compétences des régions détenues par les indépendantistes. Ce statut remettait aussi en cause la politique de redistribution foncière, comme aujourd’hui où l’on voudrait proclamer que cette politique est finie. Cette période est restée dans les mémoires comme celle de l’octroi d’un statut politique unilatéral revenant sur les acquis des Kanak sur fond de crise économique, comme cela pourrait être encore le cas aujourd’hui. Cette politique unilatérale durera jusqu’à atteindre le paroxysme de la violence d’où naîtra l’accord de Matignon de 1988.

Aucun compromis, ni même aucune discussion ne peuvent naître de ce projet très clivant des Loyalistes. Trois Non aux consultations signeraient l’échec de l’Accord de Nouméa. L’amertume des Kanak, à qui on a tant promis pendant si longtemps, se transformerait vite en colère. Aujourd’hui, le Non rassure les Européens, le Oui les inquiète. Pourtant trois Non devraient beaucoup inquiéter. L’État n’est pas un arbitre mais le colonisateur ; c’est à lui de décoloniser. Il est plus que temps qu’il s’engage pour le Oui en proposant des points d’accord avec le futur nouveau pays francophone indépendant du Pacifique Sud.

Louise et Mathias Chauchat

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