EXPERTISE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : « Française, Calédonienne, les deux… Quelle(s) nationalité(s) au lendemain du référendum ? » par Léa Havard

EXPERTISE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : « Française, Calédonienne, les deux… Quelle(s) nationalité(s) au lendemain du référendum ? » par Léa Havard

À quelques semaines du deuxième référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie, Outremers360 laisse la parole aux experts, institutionnels et universitaires, qui décrypteront et analyseront ce scrutin majeur, pour cet archipel du Pacifique sud, issu de l’Accord de Matignon en 1988, et de l’Accord de Nouméa en 1998.

Léa Havard, Maître de Conférence en Droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, se penche sur la question de la nationalité dans l’hypothèse où le « oui » remporte le référendum d’autodétermination du 4 octobre. En analysant plusieurs exemples comme les Îles Cook ou encore, les États fédérés de Micronésie, Léa Havard entend dissiper les confusions et crispations, qui révèlent que « le véritable défi pour la Nouvelle-Calédonie, avec ou sans la France, c’est bien de consolider le désir de vivre ensemble des Calédoniens ».

Le 4 octobre prochain, les électeurs calédoniens seront pour la deuxième fois consécutive appelés aux urnes pour s’autodéterminer. Comme le 4 novembre 2018, ils devront répondre à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Le résultat de ce scrutin crucial est plus que jamais incertain. Alors que les prévisions allaient bon train à la veille du premier référendum, aucune n’avait prévu la défaite victorieuse des uns et la victoire amère des autres. Une vague de « non » avait été annoncée ; un résultat serré s’est finalement imposé avec 43,3% pour le « oui » et 56,7 % pour le « non ». Dès lors, aujourd’hui, chacun se garde bien de faire des pronostics.

Il est en revanche certain que les interrogations soulevées par cette échéance restent les mêmes qu’en 2018. L’une d’entre elles est particulièrement source de crispations : la question de la nationalité. S’il est évident que les Calédoniens conserveront la nationalité française s’ils décident de rester au sein de la République française, la situation est indéterminée dans l’hypothèse où ils feraient le choix d’en sortir. Dès lors, dans une certaine forme de confusion, les loyalistes brandissent la perte de la nationalité française comme un étendard contre le « oui », tandis que les indépendantistes invoquent un projet de nationalité partagée pour rassurer. Mais objectivement, au-delà des peurs et des spéculations, quid de la nationalité si la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance ?

Une seule certitude

A ce stade, une seule certitude existe. Si le « oui » l’emporte le 4 octobre prochain, la Nouvelle-Calédonie deviendra un État pleinement souverain ayant le pouvoir non seulement d’assurer sa défense, de gérer sa monnaie, de diriger ses relations internationales, mais aussi d’établir sa propre nationalité. En vertu d’un principe universellement accepté et reconnu en droit international, il revient en effet à chaque État de définir les contours de sa nationalité. Souveraine, la Nouvelle-Calédonie serait, de droit, l’unique autorité compétente pour déterminer qui serait Calédonien et qui ne le serait pas.

Rassemblement loyaliste à Nouméa en juillet dernier, pour la campagne référendaire ©Réseaux sociaux

Rassemblement loyaliste à Nouméa en juillet dernier, pour la campagne référendaire ©Réseaux sociaux

Aucune ambiguïté non plus du point de vue du droit français. Bien que sa formulation ait été simplifiée, la question qui sera soumise dans quelques jours aux électeurs portera bien, d’après les termes de l’Accord de Nouméa, sur « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Dans son document explicatif sur les implications de la consultation, l’État français vient de confirmer que la Nouvelle-Calédonie indépendante « déterminera les critères permettant d’avoir ou d’obtenir sa nationalité ». La compétence du futur gouvernement souverain pour déterminer sa nationalité ne fait donc pas de doute. En revanche, rien ne permet de prédire comment la Nouvelle-Calédonie exercerait alors cette compétence car le champ des possibles est étendu.

Plusieurs options

Dans l’imaginaire collectif, un État dispose nécessairement de sa propre nationalité. De fait, c’est l’option la plus communément répandue dans un monde où le modèle de l’État-nation s’est imposé comme universel. A l’instar de la quasi-totalité des États issus de la décolonisation, la Nouvelle-Calédonie pourrait par conséquent décider d’exercer pleinement sa compétence en créant sa propre nationalité.

Il ne s’agit pourtant pas de la seule solution envisageable. La Nouvelle-Calédonie pourrait aussi ne pas souhaiter créer de nationalité calédonienne. Souverain, un État est libre de définir sa nationalité. Mais il peut aussi décider de ne pas exercer ce pouvoir seul, voire de ne pas l’exercer du tout. Pour le dire autrement, les Calédoniens ne perdront pas forcément la nationalité française s’ils sortent de la République française. En admettant que la Nouvelle-Calédonie le souhaite et que la France l’accepte, la première pourrait confier l’exercice de sa compétence en matière de nationalité à la seconde. Quoique ressortissants d’un État calédonien souverain, les Calédoniens auraient dès lors pour unique nationalité, la nationalité française. C’est le choix qu’ont fait les Îles Cook. Indépendantes depuis 1965, elles ont toutefois décidé d’avoir une nationalité partagée avec la Nouvelle-Zélande dans le cadre d’un partenariat. Ses ressortissants sont donc de nationalité néo-zélandaise.

Par ailleurs, entre ces deux extrêmes – la nationalité calédonienne exclusivement ou la nationalité française uniquement – des possibilités plus nuancées existent. Comme les États fédérés de Micronésie grâce à leur association avec les États-Unis, la Nouvelle-Calédonie et la France, chacune ayant sa propre nationalité, pourraient reconnaître un statut privilégié à leurs ressortissants respectifs. Même si la Nouvelle-Calédonie ne faisait plus partie de l’Union européenne, les Calédoniens auraient ainsi la garantie de pouvoir entrer, étudier ou encore travailler en France sans nécessité de visa. Réciproquement, les Français pourraient accéder à la Nouvelle-Calédonie sans contrainte d’autorisation préalable.

"Concert pour le OUI", ce 6 septembre à Dumbéa ©Réseaux sociaux

« Concert pour le OUI », ce 6 septembre à Dumbéa ©Réseaux sociaux

Enfin, reste la solution de la double nationalité. Juridiquement réalisable, même si elle n’est pas sans poser de difficultés pratiques – par exemple quand la nationalité implique une obligation de service militaire –, une double nationalité franco-calédonienne pourrait résulter d’une volonté politique conjointe de l’État français et de l’État calédonien. La France faisant partie des États qui admettent le plus dans le monde les situations de double nationalité, cette configuration serait envisageable.

Quelle que soit l’option choisie, la France et la Nouvelle-Calédonie travailleraient nécessairement de concert, a minima pour organiser une phase de transition et éviter les cas d’apatridie. Les précédents de la décolonisation française aux Comores, au Vanuatu ou encore au Vietnam montrent que, via des accords bilatéraux ou par voie législative, il serait par exemple possible de définir les conditions d’un maintien de plein droit dans la nationalité française ou encore reconnaître un droit d’option pour une nationalité. En bref, techniquement, tout est possible. Politiquement, tout est en revanche plus compliqué.

Le réel défi

L’indétermination sur la question de la nationalité et les inquiétudes qu’elle génère révèlent les difficultés de la Nouvelle-Calédonie à définir un projet de société partagé par le plus grand nombre. « Nationalité française », « double nationalité », « citoyenneté calédonienne », « nationalité partagée », si ce choix est si sensible, c’est parce que le destin commun appelé de ses vœux par l’accord de Nouméa reste encore à construire, à tout le moins à consolider.

Dès 1998, l’accord de Nouméa suggérait que la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie pourrait « se transformer, après la fin de la période [d’émancipation du territoire], en nationalité, s’il en était décidé ainsi ». Mais tel ne sera peut-être pas le cas. Et si oui, le corps électoral resterait-il gelé ? cette nationalité aurait-elle vocation à s’étendre aux conjoints actuellement non-citoyens ? à leurs enfants ?

Alors que la campagne en vue du référendum bat désormais son plein, la radicalisation des positions sur ces questions montre que les contours du peuple calédonien – en admettant qu’il existe – sont encore indéterminés et source de tensions. In fine, le véritable défi pour la Nouvelle-Calédonie, avec ou sans la France, c’est bien de consolider le désir de vivre ensemble des Calédoniens, le « plébiscite de tous les jours » cher à Ernest Renan.

Léa Havard, Maître de Conférence en Droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie et membre-fondatrice de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM). 

Biographie :

Léa Havard est Maître de conférences en droit public. Actuellement en poste à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, elle a réalisé sa thèse de doctorat à l’Université de Bordeaux sur les États associés dans le Pacifique Sud (publication aux Presses universitaires d’Aix-Marseille). Membre fondatrice de L’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer, elle travaille depuis plusieurs années sur les questions d’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. En 2018, elle publie « L’Etat associé : recherches sur une nouvelle forme de l’Etat dans le Pacifique Sud ».

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