©T. Faatau / Outremers360
Au lendemain de la deuxième réunion du Conseil d’orientation du suivi des conséquences des essais nucléaires (COSCEN), les principales associations qui luttent pour la reconnaissance du fait nucléaire se sont réunies autour de la sénatrice écologiste Aline Archimbaud. Le but ? Tirer un bilan du décret de modification de la Loi Morin annoncé par la ministre de la Santé, Marisol Touraine.
Ce samedi 2 juillet 2016, la Polynésie française commémorait le cinquantenaire du premier tir nucléaire sur l’atoll de Moruroa. Quelques jours plus tard, à Paris, la ministre de la Santé Marisol Touraine recevait, dans le cadre de la deuxième réunion COSCEN, le Président de la Polynésie française, le Président de l’Assemblée de la Polynésie française, deux des trois députés polynésiens et les présidents des associations qui luttent pour la reconnaissance et les réparations des conséquences des essais nucléaires. Lors de cette réunion, Marisol Touraine leur a présenté le nouveau décret d’application de la Loi d’indemnisation des victimes du nucléaire. L’un des grands combats des associations était la suppression du « risque négligeable », hautement symbolique. Si le COSCEN n’a pas accédé à cette demande, cheval de bataille des associations, celui-ci est néanmoins abaissé: « le seuil de probabilité au-delà duquel le risque ne peut être considéré comme négligeable » est passé de 1% à 0,3%.
Du côté du Président de la Polynésie française Edouard Fritch, on admet un geste qui « va dans le bon sens« . « On aurait souhaité peut-être un peu plus mais je crois qu’on a fait un pas important aujourd’hui« , a-t-il confié à Tahiti-infos. La députée de la Polynésie française Maina Sage est plus réservée: « Moralement, comment expliquer à une victime que peut-être son cancer n’est pas lié parce que le risque est inférieur à 1% ? » s’est-elle interrogée, poursuivant, « symboliquement, cela reste difficile à entendre« . Pour elle, qui rejoint la position des associations, ce « risque négligeable » reste un « verrou« . Plus tôt dans la journée de mardi, Maina Sage avait interpellé le gouvernement sur les engagements pris par François Hollande lors de sa visite en Polynésie française. Mais du côté des associations, la réunion d’hier n’a rien apporté de nouveau: « on a tendance à minimiser, à relativiser » a déclaré le Père Auguste Carlson, président de l’association 193 (comme le nombre d’essais français réalisés en Polynésie).
Réunis autour de la Sénatrice Aline Archimbaud, Roland Oldham, président de l’association Moruroa e Tatou, Auguste Carlson, président de l’association 193 et Philippe Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, ont livré leur sentiment sur ce qui est, pour eux, une énimème volonté de « jouer la montre« . « Ca n’améliore rien du tout » tranche Roland Oldham, « avec le « risque négligeable » qui reste dans la loi, on indemnisera peut-être 20 personnes en plus« . Pour rappel, depuis son application, la loi d’indemnisation, dite loi Morin, a indemnisé 20 victimes sur le millier de dossiers déposés. « C’est une réelle injustice. Les Polynésiens n’ont aucune considération de la part de l’Etat, 50 ans après les essais« . La Sénatrice Archimbaud reconnait elle-même, « il faut une véritable action de réparation. Nous avons une dette envers le peuple polynésien« . La Sénatrice écologiste rappelle qu’en 2012, le Sénat a voté une loi qui demande la rétrocession des atolls de Moruroa et Fangataufa, qui ont subi les 193 essais aériens et souterrains, mais cette loi n’est jamais passée par l’Assemblée nationale. Ces deux atolls avaient été « loués » à titre gratuit à l’Etat, sous la pression du Général de Gaulle vers les élus polynésiens de l’époque.
« Tous les archipels de la Polynésie française ont été touchés par plus de 100 retombées radioactives. (…) C’est toute la Polynésie française qui doit être déclarée victime »
Roland Oldham a pris un long moment pour expliquer les démarches complexes que doivent entreprendre les victimes pour se faire indemniser: « Elles doivent se rendre en France, à leurs frais, pour accéder aux documents, en français. La plupart, ce sont des populations des îles qui ne parlent pas et ne lisent pas le français. C’est à la victime elle-même de prouver qu’elle a une maladie radio-induite. Elles doivent aussi payer elles-mêmes les experts. Et il faut savoir que l’indemnisation est de 40 000 euros, dont la moitié par pour la Caisse de Prévoyance Sociale (CPS, équivalent de la Sécurité sociale en France)« . « Les 193 bombes françaises équivalent à 900 bombes d’Hiroshima« , poursuit Auguste Carlson. « Tous les archipels de la Polynésie française ont été touchés par plus de 100 retombées radioactives (d’après un rapport du ministère de la Défense, ndrl). (…) C’est toute la Polynésie française qui doit être déclarée victime« . La CPS a mené une enquête interne établissant qu’environ 7 000 Polynésiens seraient atteints d’un cancer et devraient être indemnisés. Ce qui représente environ 335 millions d’euros de dépenses de santé pour la Collectivité.
Auguste Carlson et son association 193 sont à l’origine d’une pétition qui demande la tenue d’un référendum sur les conséquences des essais. « Nous avons recueilli près de 50 000. Cela fait un polynésien sur quatre qui désire ce référendum. En France, c’est l’équivalent de 10 millions de personnes. Jamais on a vu 10 millions de personnes signer une pétition en France, c’est énorme« . Roland Oldham et Auguste Carlson soulignent néanmoins quelques points positifs, comme la mobilisation et l’union des élus polynésiens derrière cette cause. Soulignant une « prise de conscience des hommes politiques« , ils admettent: « l’Etat sera toujours à applaudir nos divisions« . Pour eux, le combat continue et beaucoup d’autres aspects restent à régler dans la question épineuse des essais nucléaires: aspects environnementaux avec la dépollution de Hao et l’atoll de Moruroa qui menace de s’effondrer, mais aussi aspects humains, avec une certaine « dignité » à rendre au peuple polynésien, « qui a subit ces essais imposés« . Les deux présidents d’associations demandent surtout un « Pardon sincère« , la blessure du coeur et de l’âme semble bien plus pesante que la blessure physique. « Le plus grand défaut des Polynésiens, c’est leur gentillesse. Mais il y a une certaine forme de révolte qui se met en place. Une colère sourde et réelle » qui veut que l’Etat « change radicalement de posture » et admette que ses essais n’étaient pas propres.