Lundi 22 février, le Président de la République était à Tahiti pour une visite officielle. Attendu sur le dossier des essais nucléaires, le chef de l’Etat a pris acte et reconnu les conséquences liées au trente années d’essais nucléaires en Polynésie. Lors de son allocution, François Hollande a annoncé l’ouverture d’un institut d’archives, la révision de la loi d’indemnisation des victimes des essais, une aide financière et humaine au service d’oncologie polynésien, la sanctuarisation de la dette nucléaire et la prise de mesures environnementales pour dépolluer l’atoll de Hao. Si les élus autonomistes se sont félicités des annonces, notamment celle de la sanctuarisation de la dette, les associations qui luttent pour la reconnaissance du fait nucléaire, les élus indépendantistes et Bruno Barrillot, membre-fondateur de l’Observatoire des armements, sont restés sur leur faim. Dans une note sur le site de l’Observatoire des armements, Bruno Barrillot estime que « la République a encore du chemin à faire ».
« Ce 22 février à Papeete, François Hollande a annoncé la création à Tahiti d’un institut pour la mémoire curieusement dénommé « Institut d’archives, d’information et de documentation ». Avec un tel titre, il n’y a pas de quoi susciter l’enthousiasme de la jeunesse polynésienne ! Mais cette création, dit le président, se fera en concertation avec les Polynésiens. En effet, les Polynésiens ne partent pas de zéro : en 2010, un projet de centre de la mémoire de la période des essais nucléaire a été élaboré avec toutes les composantes polynésiennes, y compris l’armée, et resté sans suite dans les placards du ministère des Outre mers. En 2012, la Délégation pour le suivi des essais nucléaires a engagé le programme « Témoins de la bombe » décliné sous mode audiovisuel, photographique et écrit. De plus des initiatives pour un « centre de la mémoire » ont été prises par le conseil municipal de Faa’a. Espérons que ce devoir de mémoire évoqué par le président de la République se concrétisera par une institution et une architecture remarquables comme ce qui a été réalisé à Nouméa, sous l’égide du président Mitterrand avec le magnifique Centre Tjibaou.
L’annonce de la réforme de la loi Morin, pourtant très attendue, est vraiment décevante. Le président de la République reste sur la logique des « essais propres » aux « risques négligeables », engagée depuis le général de Gaulle et par tous les présidents de la République successifs. Les dirigeants français n’ont pas encore compris que ce discours sur les essais propres repose sur les mensonges répétés de ceux qui avaient la responsabilité des essais nucléaires. Ces mensonges sont pourtant démentis aujourd’hui par les centaines de documents qui ont été déclassifiés du secret défense.
Les victimes, en particulier polynésiennes mais aussi tous les militaires et civils engagés dans ce programme des essais, vont-elles se retrouver dans une nouvelle modification de la loi Morin par décret sans que le problème de fond — la suppression du « risque négligeable » inscrit dans la loi — soit réglé ? Attendons de voir. Mais l’annonce très floue de cette modification de la loi Morin par décret, risque d’embarquer à nouveau les victimes dans des procédures sans fin devant le Comité d’indemnisation et devant les tribunaux. Y aura-t-il une réelle concertation avec les associations pour l’élaboration de ce décret qui devra prendre en compte, aussi, la composition du Comité d’indemnisation (Civen) qui n’a pas réellement changé de méthode d’examen des dossiers depuis qu’il est devenu indépendant du ministère de la Défense ?
Le président de la République a parlé aussi de l’atoll de Hao. En 2006, la commission d’enquête sur les essais nucléaires de l’Assemblée de la Polynésie avait alerté, avec l’appui des médias, sur la situation de cette ancienne base arrière des essais nucléaires qui était devenue une quasi poubelle à ciel ouvert. À l’époque, le ministère de la Défense avait refusé une expertise indépendante, internationale, sur l’état environnemental de Hao prétextant que tout avait été vérifié… par les militaires. Hélas, aujourd’hui on découvre qu’il reste du plutonium disséminé sous la piste d’aviation depuis les années des essais aériens. Les associations ont protesté, rappelant qu’il y a, à Hao, une population civile et un grand collège rassemblant les enfants des îles des Tuamotu. Le président annonce qu’on va dépolluer Hao : tant mieux. Il prend ainsi le contrepied des propos indécents de certaines officines officielles dites « scientifiques » qui affirmaient sans broncher aux associations polynésiennes qu’il fallait tout laisser en l’état.
Travaillant depuis 30 ans sur le suivi des essais nucléaires, l’Observatoire des armements propose que les différentes annonces du président de la République permettent d’engager une véritable concertation entre tous les partenaires concernés, y compris et surtout avec les associations qui, en Polynésie et en France, se mobilisent depuis des années et aujourd’hui encore avec vigueur. Le temps presse ! Les victimes disparaissent et même se découragent de toujours attendre ! Les Polynésiens, grâce à l’action exemplaire de la toute récente association 193, sont de plus en plus conscients des conséquences de cette histoire nucléaire dans leur vie, leur santé et leur environnement. En 2003, l’association Moruroa e tatou avait barré l’avenue Pouvanaa à Papeete d’une grande banderole « Vérité et justice pour les victimes des essais nucléaires » pour que le président Chirac mesure les exigences polynésiennes après 30 ans d’essais nucléaires. Aujourd’hui, avec ce voyage éclair et les déclarations de François Hollande, la République a encore du chemin à faire, même si, pas à pas, les quelques promesses présidentielles annoncent de timides avancées ».
Bruno Barrillot
Pour aller plus loin :
« Essais nucléaires : les atteintes aux enfants », Notes de l’Observatoire n° 4 de Bruno Barrillot.