Edouard Fritch à l’Assemblée de la Polynésie, le 4 juin 2020 ©Présidence de la Polynésie
Alors que la Polynésie française va progressivement rouvrir ses frontières au tourisme international à partir du mois de juillet, son président, Édouard Fritch, était l’invité de notre émission spéciale post-Covid. Il aborde avec nous la situation économique de la Collectivité d’Outre-mer, le statut d’autonomie à l’épreuve de l’urgence sanitaire ou encore, son positionnement politique depuis qu’il est arrivé « aux affaires » en 2014. (Entretien vidéo à la fin de l’article).
Comme la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et la plupart des États insulaires du Pacifique sud, la Polynésie française s’en est relativement bien sortie de cette épidémie mondiale. Avec 60 cas depuis la mi-mars, la Collectivité peut se réjouir de n’avoir essuyé aucune perte humaine et peu d’hospitalisation. Surtout, elle a préservé ses archipels et îles éloignées d’un virus qui, au regard des infrastructures sanitaires, aurait pu être fatal même s’il a fallu payer le prix d’un isolement forcé de ces îles.
C’est davantage sur un plan économique que la Collectivité a dû faire preuve d’efforts pour, à la fois, sauver son industrie touristique alors que les frontières se fermaient, et subvenir aux travailleurs polynésiens confinés et dépourvus « d’amortisseur social » à l’instar du chômage partiel. « Nous avons mis en place un plan de sauvegarde de l’économie polynésienne », rappelle donc Édouard Fritch. Un plan dans lequel on trouve notamment un revenu exceptionnel de solidarité, un moratoire d’échéances bancaires sans frais, une exonération des charges patronales ou encore, la création de « CAE solidaires » dans un volet plus social. « Nous avons mis les moyens », assure le président polynésien qui n’a pas « attendu que l’État vienne au secours de la Polynésie ».
Covid-19 : La Polynésie annonce un plan de sauvegarde économique
Pour autant, l’arrêt brutal du tourisme international a mis un coup dur pour cette industrie, principal moteur de l’économie polynésienne qui était en constante croissance ces dernières années. L’IEOM a observé une chute historique du climat des affaires au mois d’avril. Parmi les premières entreprises étendards touchées : la compagnie internationale Air Tahiti Nui, dont le capital est détenu à 90% par la Collectivité. « Nous avons d’abord demandé à ce que les salaires soient réduits (…). Nous allons demandé au personnel de faire des efforts », assume Édouard Fritch, qui rappelle que le Pays a injecté « près de 2 milliards de Fcfp (16,76 millions d’euros, ndlr) pour garantir les emprunts qui ont été faits par la compagnie pour l’achat des nouveaux avions ».
La Polynésie classée Covid-free
Malgré une première moitié de l’année morose, Édouard Fritch se montre plus confiant pour la suite. « La reprise d’Air Tahiti Nui va permettre la reprise des hôtels qui vont commencer à rouvrir à partir du 10 juillet, avec une montée en puissance de l’activité touristique à partir du 15 et jusqu’en août », assure-t-il. En août, il prévoit un taux de remplissage des hôtels de l’ordre de 40 à 50% ; « extraordinaire » au regard de la situation inédite que traverse la planète. Surtout, le président polynésien campe sur une reprise des vols vers l’Amérique du Nord, principal marché de la Polynésie, pour donner de l’air aux acteurs du tourisme.
« La chance que nous avons, c’est que les réservations faites avant la crise pour l’été 2020 ont été maintenues à 80%. Les américains n’ont pas décommandé (…). Il faut savoir qu’aux États-Unis, la Polynésie est classée Covid-free ! ». De quoi séduire les touristes étrangers cherchant la terre promise, « une zone saine » pour échapper à ces mois d’épidémie mondiale. « De riches américains veulent venir », poursuit le président citant l’exemple du « président directeur général de Google » qui « prévoit de venir ici en Polynésie française dès la fin du mois de juin ». Bien que la relance du tourisme soit une prérogative pour la Polynésie, la Collectivité entend tout de même se développer ailleurs, notamment avec l’aquaculture et le numérique.
Le président Édouard Fritch et le Haut-commissaire Dominique Sorain lors d’un point presse coronavirus ©Présidence de la Polynésie
Concernant l’aquaculture, un projet sur l’atoll de Hao, porté par un investisseur chinois, semble patiner. En outre, il véhicule avec toutes les peurs d’une mainmise de l’Empire du milieu, qui ne cesse d’accroître son influence dans la région. « On ne peut pas ne pas avoir peur du géant chinois », reconnait Édouard Fritch, qui préfère « appréhender Goliath avec beaucoup d’intelligence ». « L’aquaculture est un vrai sujet dans nos pays du Pacifique. Nous-même, nous allons épuiser la ressource et les pays asiatiques vivent essentiellement des produits de la mer. L’expérience nous intéresse mais ceci ne veut pas dire que nous irons à l’encontre des règles que nous avons instituées pour protéger notre environnement et nos lagons. C’est la raison pour laquelle le projet prend beaucoup de temps, nous ne transigeons pas et nous imposons nos règles », assure-t-il.
Paris dépassée
Sur le numérique, les autorités polynésiennes se montrent conscientes des distances physiques qu’elles doivent effacer et de l’opportunité de leur fuseau horaire. « Pendant que vous dormez, nous travaillons ». Ainsi, dès 2010, la Polynésie s’est équipée d’un câble sous-marin numérique la reliant à Hawaii, puis par un autre, domestique, desservant les archipels au nord de Tahiti alors que la Collectivité sera bientôt reliée à la Nouvelle-Zélande avec les autres États insulaires du Pacifique. Un second câble domestique partant vers les îles Australes au sud de la Polynésie est également en projet. Mais pas que. « Je viens d’avoir la présidence du Chili qui est d’accord sur le principe d’aller plus en avant dans le chiffrage » d’un projet de câble entre ce pays d’Amérique du Sud et la Polynésie.
Vers un câble sous-marin numérique entre le Chili et la Polynésie ?
« Ça coûte beaucoup d’argent » admet le président Fritch mais la nécessité de développer ce levier économique dans ces îles, ou encore pallier les manques administratifs, éducatifs et sanitaires, n’a pas de prix. « C’est l’avenir ! » martèle-t-il. « On ne peut plus nier que demain, le numérique va être au centre du développement économique ». Une opportunité aussi, selon lui, pour la France et l’Europe car, « avec le Brexit, l’Europe n’aura plus que trois territoires dans le Pacifique », rappelle-t-il. « Les gens à Bruxelles le savent mais ne voient pas l’opportunité de s’appuyer sur ces porte-avions (…). J’ai l’impression qu’en matière de politique Outre-mer, nous sommes dépassés à Paris », dit-il « franchement ». « Je me prépare parce que je sais que ça arrivera et je veux être le premier dans le Pacifique à fournir ces services parce que tout passera par la technologie moderne ».
L’autonomie à l’épreuve du Covid
Difficile de parler de la Polynésie sans parler de son statut d’autonomie aux compétences élargies. Un statut qui puise ses racines dans les années 50 et 60, alors que le retour des soldats polynésiens puis des premières promotions d’étudiants et le renouveau culturel font naître un désir d’émancipation incarné par le Metua Pouvanaa a Oopa. « Le principe de base était que nous étions arrivés à un moment où la Polynésie devait être prise en charge par des Polynésiens », explique Édouard Fritch. Après un premier statut d’autonomie de gestion en 1977, un second arrive en 1984 sous l’impulsion de Gaston Flosse. Dans ce statut, l’État garde les compétences régaliennes armée, justice et sécurité tandis que la Polynésie « gère tout le reste », « avec des évolutions tous les dix ans » qui ont amené certaines compétences régaliennes à être partagées.
Sur le papier ce statut donne envie, et ce n’est pas Édouard Fritch qui dira le contraire. Mais il met tout de même en garde, surtout dans des périodes de crise telle que celle liée au Covid-19. « Oui, c’est une chance extraordinaire », assure-t-il, mais « la solidarité nationale dans ce statut d’autonomie et dans le cadre des relations que nous avons avec la métropole est un petit peu mis à mal ». C’est d’ailleurs lors de cette crise sanitaire que certaines compétences gérées par la Polynésie ont laissé place à quelques incertitudes. « La compétence sur la santé est prétoriale », confirme Édouard Fritch. Avec l’état d’urgence sanitaire, « cette matière est devenue matière sous contrôle de l’État » et « dans l’exécution c’était compliqué ».
« Lorsqu’il a fallu isoler le pays, j’estime que la décision avec le Haut-Commissariat a été pris un petit peu en retard. Nous avons confiné le pays le 20 mars dernier. J’avais commencé à demander le confinement et la fermeture des frontières dès le 6 mars », rappelle-t-il, « des problèmes juridiques seraient apparus, notamment le fait que la Polynésie aurait été le premier pays à poser un obstacle à la libre-circulation des nationaux sur le pays ». S’il assure avoir de bonnes relations avec le Haut-commissaire Dominique Sorain, « ceci a facilité pas mal de choses », Édouard Fritch a fait part de ces incertitudes concernant la compétence Santé au sénateur Michel Magras, chargé de mener une mission sur la décentralisation.
Le « médiateur politique »
Issu des rangs autonomistes, Édouard Fritch a « fait 30 ans d’école avec Gaston Flosse ». Il a notamment été le Vice-président de l’artisan du statut d’autonomie de 1984, et son successeur à la mairie de Pirae en 2000. C’est finalement en 2014 que le numéro 2 double son mentor. Arrivé aux affaires alors que Gaston Flosse est condamné à l’inéligibilité après un bref retour à la Présidence en 2013, Édouard Fritch doit s’émanciper pour assumer pleinement son rôle, quitte à entreprendre une séparation tonitruante avec son père spirituel et le parti qui l’a vu grandir, politiquement. En 2018, après avoir fondé son propre parti, Édouard Fritch sort vainqueur des élections territoriales et prend finalement cette place de « troisième voie » dans l’échiquier politique polynésien, entre Gaston Flosse et l’indépendantiste Oscar Temaru.
Malgré une majorité confortable, Édouard Fritch affirme composer avec ses adversaires politiques, notamment avec le leader indépendantiste. « Je me suis obligé aujourd’hui à travailler avec Oscar Temaru en tant que maire de la commune de Faa’a car il faut pouvoir travailler avec tout le monde », assure-t-il. « C’est un homme intelligent qui connait bien la Polynésie et ses Polynésiens. Il sait à quel moment il faut regarder la politique et à quel moment il faut regarder nos Polynésiens. On arrive à cheminer ensemble et effectivement, je suis une sorte de 3ème voie (…), un médiateur politique. Pour diriger la Polynésie, il faut beaucoup parler, beaucoup écouter, beaucoup s’ouvrir et avoir beaucoup de patience », confie-t-il.
Édouard Fritch lors de la campagne électorale des territoriales de 2018 ©Radio 1 Tahiti / Nicolas Perez
Un dialogue constant qu’Édouard Fritch doit aussi entretenir avec les maires de Polynésie. « Ce fut mon appel essentiel lorsque je suis arrivé en 2014 : j’ai appelé les maires à travailler avec le gouvernement du pays. Je me suis fait des amis. J’ai 48 amis que sont tous les maires de la Polynésie française, je suis impartial avec tous ». Une amitié sur laquelle il faut précieusement veiller, surtout en période électorale ou en temps de crise. Pendant le confinement, ce sont ces derniers qui ont obtenu des réglementations exceptionnelles telles que le couvre-feu et l’interdiction de la vente d’alcool.
Toujours dans cette volonté de « travailler avec tout le monde », le Président de la Polynésie garde un mauvais souvenir de la période d’instabilité politique qu’a traversé la Collectivité de 2004 à 2013, et à laquelle il admet volontier avoir joué un rôle dans les renversements successifs de gouvernement. « Lorsque j’ai pris les affaires en 2014, j’ai décidé de me battre contre cette image déplorable de la Polynésie française », assure-t-il. Une tâche qui rend encore plus nécessaire le dialogue et la médiation : avec les adversaires politiques, les maires et parfois même, les membres de propre sa majorité.