Édito : La Réunion, Soixante jours pour bien faire !

Édito : La Réunion, Soixante jours pour bien faire !

À seulement deux mois des municipales, un édito d’Antoine Geslin, Rédacteur en chef de RTL Réunion ©Richard Bouhet (Illustration)

Un peu plus d’un an après la déferlante des gilets jaunes à La Réunion, un auditeur de RTL Réunion, intervenant il y a quelques jours dans l’émission de libre antenne, lançait, dépité, « on a l’impression que le temps s’est arrêté chez les politiques réunionnais ». Faux sentiment d’immobilisme ou vrai constat de la réalité insulaire ? Un peu des deux mon Général !

C’est vrai qu’en 2019, on aurait pu croire qu’on allait enfin arrêter de parler de La Réunion systématiquement au travers du prisme des requins, ceux qui pullulent dans l’Océan Indien (et pas que le long des côtes réunionnaises…), mais aussi celles et ceux qui abusent de leur pouvoir politique, nos « requins péi ».

Mais, finalement, on s’est peut-être un peu emballé. Car, 2019 a laissé un goût amer : entre les dinosaures de la politique (dont certains sont déjà passés par la case prison) qui remettent ça en mars 2020, les gardes à vue et autres mises en examen (le site internet de Transparency international est malheureusement révélateur pour La Réunion) ou les promesses non tenues… voire partiellement tenues, à l’image de cette Nouvelle Route du Littoral dont on ne voit pas la fin, et qui devient peu à peu un serpent de mer.

A ce titre d’ailleurs, les prochaines semaines seront déterminantes. Une digue est à construire. Il y a urgence. La NRL doit être achevée avant le drame de trop sur la future ancienne route. Il y a encore quelques jours, des rochers sont tombés de la falaise sur cette 4 voies. Deux d’entre eux faisaient une tonne chacun. Ils ont atterri à l’endroit même où, en temps normal, les automobilistes réunionnais se retrouvent bloqués dans les embouteillages. Fort heureusement, les rochers sont tombés en pleine nuit, à 4 heures du matin, sans faire de victime. Le maître d’ouvrage (La Région) et le maître d’œuvre (le groupement d’entreprises) réussiront-ils à s’entendre pour l’achever cette NRL ? Rien n’est moins sûr…

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Même Emmanuel Macron semblait en douter lors de son récent voyage dans l’Océan Indien. Le président de la République n’a d’ailleurs pas caché son agacement à ce sujet, se disant « échaudé par le chantier de la route du Littoral à La Réunion où nous n’avons collectivement pas su être au rendez-vous, et parfois aussi la production locale, et les acteurs locaux ». L’État va-t-il reprendre la main en 2020 ? Là encore, rien n’est moins sûr. Le dossier semble être dans une impasse totale.

Échaudés, les Réunionnais le sont aussi à cause de la vie chère, et ce malgré les annonces post-gilets jaunes. Entre la visite au début de l’an dernier de Francis Amand, délégué interministériel à la concurrence outre-mer, et le colloque au mois de décembre à Paris autour du thème « Lutter contre la Vie Chère en Outre-mer », que s’est-il passé ? Pas grand-chose. Le porte-monnaie des Réunionnais continue de fondre comme neige au soleil lorsqu’ils vont faire leurs courses. « La vie chère est de plus en plus vécue comme une profonde injustice sociale par les populations d’Outre-Mer », clamait récemment Jean-François Hoarau. Le directeur du CEMOI, le Centre d’Économie et de Management de l’Océan Indien, est tombé juste sur le constat.

D’où les réactions épidermiques à l’annonce de la promesse de vente de la plupart des supermarchés Vindémia au groupe Bernard Hayot, qui possède déjà Carrefour à La Réunion ainsi qu’une grande palette de supermarchés spécialisés (bricolage, sport etc.), sans oublier l’automobile avec Renault (entre-autres). N’y a-t-il pas là un risque de monopole ou tout du moins de position dominante dont GBH pourrait abuser ? Sentant probablement le vent de la colère de nouveau gronder, les politiques réunionnais ont, comme un seul homme, porté l’estocade au repreneur potentiel de Vindémia alors que celui-ci déployait toute son énergie pour rassurer la population sur son intention de faire jouer une concurrence pleine et entière. Finalement, c’est l’Autorité de la concurrence qui devra trancher dans quelques semaines. Ses arguments ont intérêt à être solides.

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Car, l’économie réunionnaise, un an après les gilets jaunes, reste fragile. Sans parler des quelques 40% de la population plus que jamais sous le seuil de pauvreté. Rien n’est réglé. Loin de là. La vie reste chère à La Réunion. Très chère. La Réunion est toujours dépendante de la métropole (de Paris plus précisément) et des subventions européennes. On est par exemple très très loin de l’autosuffisance alimentaire. On en est pourtant capable.

Mais, un modèle reste à inventer. Un modèle plus vertueux en termes de consommation, de déplacements, de vie politique, d’environnement…

On ne parle pas de consommation ici, mais de surconsommation. Pour des raisons historiques et d’éducation, on ne veut manquer de rien. On veut même parfois en avoir plus que son voisin. C’est le modèle (universel ?) qui a été imposé aux Réunionnais. Celui d’une société de consommation sans limites. On achète deux voitures, trois si on peut faire un crédit de plus… comme chez les Américains.

Conséquence : l’île est arrivée à saturation. Des centaines de milliers de voitures sur un territoire de 2 500 km2 carrés, dont une grande partie est impraticable avec ce type de véhicule, et un manque criant de transports en commun et d’intermodalité.

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Les femmes et les hommes politiques qui seront élus en mars prochain devront être proactifs, afin de porter des chantiers essentiels à leur terme. On pourrait prendre comme contre-exemple celui du Quadrilatère océan dans le chef-lieu. Projet finalement abandonné l’an dernier avec perte et fracas au bout d’une décennie de tergiversation. L’ordre est venu de Paris, épuisé d’une telle inconsistance.

Changer les mentalités aussi. Un défi qui s’annonce pour les futurs édiles des 24 communes de l’île, avec leurs homologues de la Région et du Département. Avec au final chacune et chacun des Réunionnais, pour faire face à la plus grande des menaces qui s’annonce : le changement climatique.

Et en urgence, trouver des alternatives pour lutter contre la pollution qui, comme l’automobile, étouffe l’île. Les déchetteries sauvages sont trop nombreuses. Chaque semaine, le site Internet Band’cochon en témoigne. Des makoteries nids à moustique tigre, vecteur de maladies graves. Des makoteries qui font fuir les touristes aussi.

La solution, elle est simple : éducation, prévention mais aussi sanction. Ce n’est pas très électoraliste mais on devra en passer par là. Sinon, à ce rythme, La Réunion va dans le mur.

Pourtant, l’île a tous les atouts pour devenir un modèle respectueux de la nature. La Réunion a déjà des leçons à donner en matière de vivre ensemble. Loin des débats stériles de la métropole sur la religion de l’un ou la façon de s’habiller de l’autre. Ce vivre ensemble, il nous rend fiers d’être Réunionnais.

Par Antoine Geslin, Rédacteur en chef de RTL Réunion