EXPERTISE. La vie chère en Outre-Mer, un phénomène structurel ?

EXPERTISE. La vie chère en Outre-Mer, un phénomène structurel ?

Le 12 décembre dernier s’est déroulé le colloque « Lutter contre la Vie Chère en Outre-mer », organisé par le Ministère des Outre-mer à l’AFD et en présence de l’INSEE, de l’IEDOM, du Centre d’Économie et de Management de l’Océan Indien (CEMOI, Université de La Réunion), de l’autorité de la Concurrence, du CIRAD, de l’OPMR, et de Francis Amand, délégué interministériel à la concurrence outre-mer. Ce lundi, Outremers360 vous fait partager l’intervention de Jean-François Hoarau, directeur du CEMOI, sur le thème de la vie chère. 

La « vie chère » est de plus en plus vécue comme une profonde injustice sociale par les populations d’Outre-Mer. Ce sentiment s’appuie sur le ressenti d’un paradoxe selon lequel il est anormal d’avoir des prix élevés sur un territoire caractérisé par un niveau de pauvreté important. S’il est incontestable que les populations sont plus fragiles en Outre-Mer qu’en métropole du point de vue de la pauvreté et du développement humain, et que les écarts de prix sont encore défavorables aux régions ultramarines malgré une réduction continue depuis les années 1980, la réalité du paradoxe est en revanche beaucoup moins évidente.

En fait, le problème vient d’une certaine confusion au niveau des sources à l’origine de la formation des prix en Outre-Mer. La pensée traditionnelle, celle du paradoxe, part du principe que puisque le pouvoir d’achat des populations ultramarines est plus faible que celui de la population métropolitaine alors les prix doivent également être plus bas. Cette approche par la demande n’est en réalité pas adaptée à la situation des régions ultramarines, laquelle doit être analysée au contraire du côté offre à travers la notion de vulnérabilité structurelle.

Les économies d’Outre-Mer, des territoires structurellement vulnérables sur les plans économique et environnemental

Il existe aujourd’hui un large consensus sur le fait que les outremers français sont tous frappés par un certain nombre d’handicaps structurels forts (géographiques, historiques, socioéconomiques, écologiques), liés à leur condition d’insularité tropicale, rendant compliquée la mise en place à terme d’un processus de développement durable. Cette première forme de vulnérabilité se conjugue à une vulnérabilité physique au changement climatique. Là encore, plusieurs travaux récents convergent vers l’idée que ces territoires sont plus que toute autre concernés par les conséquences du changement climatique, et particulièrement par les chocs liés à la montée du niveau des mers, aux cyclones et à l’instabilité des températures et des précipitations. Tous ces éléments sont de nature à renforcer les coûts des entreprises insulaires.

Entreprendre en contexte insulaire est un exercice spécialement périlleux dans la mesure où le jeu de la concurrence pour les entreprises domestiques est biaisé dès le départ par un désavantage significatif en termes de compétitivité-coût/prix. Par ailleurs, plusieurs spécificités des DOM, liées à leur statut politique de territoires dépendants (intégrés à la France), vont accentuer davantage encore cet état de vulnérabilité initial en renforçant notamment leur défaut de compétitivité-prix. En effet, le statut de départementalisation a introduit un mode de détermination des salaires nominaux très largement inadapté par rapport à la dynamique réelle de la productivité apparente du travail, rendant le coût du travail peu compétitif en comparaison à la métropole.

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Au final, l’insularité génère des situations spécifiques qui peuvent se traduire par des coûts cachés, c’est-à-dire des frais supplémentaires supportés par une entreprise ultramarine par rapport à une entreprise similaire exerçant en France continentale. Ils affectent fortement la compétitivité des entreprises situées dans les Outre-Mer à tous les niveaux de la chaine de valeur et dégradent la qualité de leurs actifs immatériels fragilisant la création de valeur à plus long terme. En revenant sur notre problématique de la vie chère, c’est donc bien les écarts de compétitivité-coût, et non les écarts de niveaux de vie, qui expliquent principalement les écarts de prix entre les DOM et la métropole. La situation présente de vie chère repose largement sur une composante structurelle qu’il sera difficile de réduire de manière significative.

Par ailleurs, l’idéal d’égalité des prix avec la métropole n’est ni réalisable ni même souhaitable. Et chercher à supprimer ces écarts pourraient se révéler être dangereux dans la mesure où des prix plus élevés en Outre-Mer permettent de maintenir tant bien que mal, dans un système d’économie de marché, une certaine rentabilité pour des entreprises caractérisées par une forte vulnérabilité structurelle, et donc un certain niveau d’emplois et de revenus. En effet, des gains en matière de réduction des prix peuvent être contrebalancés par des pertes en termes de chômage et de revenus plus importantes, avec en définitive un impact défavorable sur le pouvoir d’achat des ménages. Une étude fine des facteurs individuels à l’origine de ces surcoûts devrait permettre de mieux cerner cette réalité.

Facteurs géographiques, isolement, éloignement et dépendance aux transports

Le premier ensemble de contraintes fortes pesant sur les DOM relève d’un aspect purement physique correspondant à leurs géographies handicapantes. La localisation des économies ultramarines dans des espaces tropicaux relativement isolés va constituer une entrave sévère à la compétitivité des entreprises pour plusieurs raisons.

Le premier handicap porte sur la notion d’éloignement c’est-à-dire sur l’existence d’une distance conséquente séparant les territoires ultramarins des grands marchés. Pourtant, ceux-ci ont besoin de ces grands marchés « lointains » autant pour leurs débouchés que pour leurs approvisionnements. L’éloignement va peser sur les coûts de transport à l’importation comme à l’exportation dans la mesure où la nature insulaire implique une dépendance structurelle de ces économies aux transports maritimes et aériens, des modes de transports de plus souvent organisés sous la forme de monopoles ou d’oligopoles. La combinaison distance/insularité exerce ainsi des effets négatifs importants sur l’efficacité productive des entreprises avec notamment des surcoûts liés à la « distance-accès » et à la forte dépendance de l’activité productive vis-à-vis du secteur des transports maritimes et aériens (coût de transport portuaire et aéroportuaire, fret et assurance).

A cela, il faut ajouter les aspects liés à la discontinuité de l’espace, à la mise à l’écart des grandes routes commerciales et aux irrégularités d’approvisionnement, des éléments qui ont tendance à augmenter le coût du temps pour transporter les marchandises. Ces contraintes nécessitent, par conséquent, la présence de services annexes de stockage, de logistique, de conditionnement et de distribution des marchandises, et donc de surcoûts supplémentaires (frais de transport interne, frais de déchargement multiples, taxe et douanes éventuelles, coûts de stockage et frais d’amortissement et de maintenance associés).

Le deuxième handicap est également lié à la distance. Même en l’absence de coûts d’approche, l’éloignement géographique des grands centres internationaux continue de peser fortement sur la compétitivité des entreprises insulaires. En effet, la proximité des grands marchés favorise une plus grande productivité de l’activité économique en donnant naissance à ce que l’on appelle communément des « économies d’agglomération » (la densité d’emploi, la disponibilité de services aux entreprises, la présence d’une main d’œuvre spécialisée, l’émergence et la diffusion d’idées nouvelles, l’existence d’infrastructures modernes et performantes, le capital humain). L’éloignement pour les DOM est donc synonyme de faibles retombées en matière d’économies d’agglomération, ce qui réduit la valeur ajoutée des firmes et donc la productivité apparente par travailleur.

Le troisième handicap repose sur la présence de contraintes physiques découlant des caractéristiques géographiques de ces espaces. La topographie, particulièrement compliquée pour les îles montagneuses comme La Réunion, conjuguée à un réseau de transport interne mal adapté, explique plusieurs phénomènes persistants dans les outremers tels que la forte densité de population en zone littorale et les conflits sur le foncier avec les activités économiques, ou encore la fragmentation des marchés avec la présence d’une multitude de micromarchés dont les échanges avec l’extérieur et les tailles sont faibles. Cette fragmentation a tendance à créer des marchés captifs renforçant la position dominante des entreprises en situation de monopole, notamment dans la grande distribution. De plus, la géologie volcanique, couplée à la petite surface, implique l’absence de ressources naturelles, dont les précieuses ressources énergétiques.

Manifestation contre la vie chère aux Antilles ©Richard Bouhet

Manifestation contre la vie chère aux Antilles ©Richard Bouhet

Les économies domiennes sont donc contraintes d’importer massivement des ressources fossiles (pétrole et charbon), ce qui expose les acteurs économiques aux chocs de prix sur les marchés internationaux. La situation est susceptible de s’aggraver avec le phénomène du changement climatique et le nouveau cadre règlementaire international, dont l’objectif est de renchérir le coût d’accès aux énergies fossiles. Enfin, le climat tropical implique un niveau élevé de risques naturels dont la gestion préventive ou corrective peut s’avérer relativement coûteuse pour les entreprises (respect de normes cycloniques et environnementales, frais d’assurance plus élevés). La récurrence de certains chocs climatiques extrêmes, appelés à se renforcer avec le changement climatique, impacte sévèrement les filières agricoles avec les conséquences que l’on connait sur la flambée des prix, mais aussi les entreprises en général par les pertes de production et revenu liées à l’arrêt temporaire de l’activité économique.

Par ailleurs, l’exposition forte du fret maritime aux aléas météorologiques introduit la possibilité de ruptures dans la chaine d’approvisionnement, conduisant les firmes locales à sur stocker les produits essentiels à leur production et à se sur équiper afin d’assurer la production en cas de défaillance du capital physique.

Petite taille, sous-optimalité économique, déséconomies d’échelle et défaut de concurrence

Une autre entrave qui pèse lourdement sur les territoires ultramarins est celle de la petite taille, laquelle couplée avec les spécificités géographiques exposées plus haut, devient une limite très sérieuse en matière de compétitivité des entreprises, engendrant naturellement un contexte de prix élevés.

L’étroitesse des marchés a depuis longtemps été formalisée par la science économique à travers le concept de sous-optimalité économique en contexte insulaire, lequel met en lien petite taille, économies d’échelle, indivisibilités, efficience et compétitivité. En clair, il existerait un niveau minimum de production à partir duquel cette production deviendrait faisable. Si la demande domestique se trouve en dessous de ce seuil alors une activité de production à grande échelle n’est pas compétitive dans la mesure où le manque d’économies d’échelle conduit à une sous-utilisation du capital installé et donc à des coûts fixes unitaires plus élevés par rapport à des territoires plus vastes. Cette faiblesse des économies d’échelle ne permet pas aux entreprises de jouer sur une augmentation de leur taille pour diminuer leurs coûts, conduisant à un tissu productif local essentiellement composé de petites et moyennes entreprises [PME].

Par ailleurs, la faiblesse de la demande (et de son pouvoir d’achat), associée aux coûts commerciaux importants, réduit les possibilités de consommation et donc les débouchés, limitant ainsi le nombre d’entreprises capables de desservir de manière efficace le marché local. Ceci implique que, même en présence de PME, la petite taille de marché joue sur sa structure en favorisant les situations de monopole et d’oligopoles, entrainant parfois la pratique de « marges abusives », ce qui gonfle artificiellement les prix. Dans les DOM, tous les secteurs de l’économie sont concernés par ce phénomène de concentration (à la fois horizontale et verticale), et des comportements de « capture de rente » induits.

A cela, il faut ajouter une impossibilité de dégager des économies d’agglomération pour les petits territoires. L’effet « grandes villes » et ses possibilités d’économies d’agglomération, d’ébullition de connaissances, d’incitation à la création et à l’innovation, sont inaccessibles aux petites économies insulaires isolées. Le constat souvent réalisé d’un accès moindre des DOM aux technologies de l’information et de la communication par rapport à la moyenne nationale est symptomatique de cette situation. Bien évidemment, le retard technologique qui en résulte conduit à une perte de productivité et d’attractivité.

Facteurs historiques, dépendance aux importations lointaines et protectionnisme

En économie, l’Histoire est déterminante. Les problèmes économiques d’aujourd’hui peuvent (en grande partie) s’expliquer par des facteurs du passé à travers l’effet des institutions qui résonne à travers les âges. Pour les outremers français, ce passé est d’abord celui de la colonisation et des institutions coloniales, dont certains effets seront maintenus voire même renforcés par la départementalisation.

En premier lieu, le système de la double exclusivité associé au Pacte Colonial a laissé des traces indélébiles dans la structure productive des économies domiennes. En effet, le partenaire privilégié (de manière écrasante) est toujours la « lointaine » France métropolitaine, au détriment du commerce régional. La structure de production, elle, est encore gouvernée significativement par la logique « exportations de produits agricoles tropicaux contre importations de produits manufacturés », conduisant au sous-développement (voire au blocage) de l’industrie domestique et à l’essor d’un secteur de l’import-distribution puissant et très concentré, à la fois horizontalement et verticalement. De plus, à l’intérieur même du secteur agricole, le choix politique de la spécialisation sur des cultures de rente à l’exportation (sucre, banane, café, …) au détriment des cultures vivrières, caractérisant le modèle colonial d’économie de plantation, a été repris et encouragé par le modèle économique instauré par la départementalisation.

Ceci va entrainer pour les économies ultramarines une lourde dépendance aux importations de biens alimentaires et donc une exposition excessive des entreprises de transformation et de distribution de biens alimentaires aux chocs de prix sur les marchés internationaux. Ces derniers seront bien évidemment répercutés sur les prix à la consommation. Par ailleurs, la tendance récente à des prix des biens alimentaires de base (et par ricochet des marchandises d’origine animale locales)  hauts et volatiles devraient se poursuivre durablement sous l’effet du changement climatique (mauvaises récoltes dans les grands pays producteurs de denrées alimentaires, stocks mondiaux faibles, hausse des prix de l’énergie, hausse des coûts d’accès aux fertilisants, à l’irrigation et aux transports, détournement de l’offre alimentaire pour fabriquer des bio-carburants).

©Patrice Coppee

©Patrice Coppee

En second lieu, la stratégie du développement par « la rente administrative », mise en œuvre avec la départementalisation de 1946, basée sur le rattrapage social (l’alignement progressif du SMIC et des prestations sociales sur la métropole, la sur rémunération dans la fonction publique, l’alignement des salaires des cadres du secteur privé sur le secteur public), a provoqué une augmentation sans précédent du niveau de vie des populations concernées, mais également des salaires nominaux à un rythme supérieur à celui de la progression de la productivité apparente du travail et au taux d’évolution de l’indice des prix. Ceci a conduit à un renchérissement du coût du travail, dégradant la compétitivité des entreprises locales.

La combinaison de ces deux premiers effets historiques va conduire à une situation de détérioration forte du taux de couverture des échanges (importations fortes et exportations faibles) et de dépendance structurelle par rapport aux importations venues d’Europe. Pour lutter contre la dégradation de la balance commerciale, les DOM ont fait le choix de limiter la dépendance aux importations en mettant en place, à la fin des années 1970, une stratégie industrielle basée sur la logique d’import-substitution.

Néanmoins, dans un contexte de vulnérabilité structurelle importante et de défaut de compétitivité-prix évident, il était nécessaire d’accompagner l’émergence et le développement de cette activité par une dose de « protectionnisme » ou de « compensation » (diverses subventions et l’octroi de mer). Un nouveau facteur historique de pression sur les prix apparaît donc par le canal de la fiscalité indirecte à travers le dispositif de l’octroi de mer. Ce dernier est de nature à créer un écart positif supplémentaire entre les prix locaux et métropolitains, même si cet écart reste peu important et surtout compensé par un différentiel de TVA largement en faveur des territoires ultramarins.

Une combinaison explosive entre les structures de marché oligopolistiques et certaines spécifiques ultramarines

Pour apprécier pleinement l’ampleur de cette dérive des prix intérieurs, il faut également analyser le processus à travers le prisme du défaut de concurrence généralisé combiné à un certain nombre de spécificités locales.

En premier lieu, l’existence de profondes inégalités de répartition des revenus au sein des populations ultramarines fait apparaître deux types distincts de demande, à savoir une demande à revenus élevés et très élevés (chefs d’entreprises, professions libérales, salariés qualifiés du secteur privé, fonctionnaires d’Etat et territoriaux sur rémunérés) et une demande à faibles revenus (autres salariés et minima sociaux). Les entreprises locales, disposant d’un pouvoir de marché, peuvent alors discriminer entre ces types de demandes en pratiquant une politique de prix ciblant directement la partie supérieure du marché. La baisse potentielle des quantités vendues est compensée par une hausse des prix de manière à garantir des marges fortes au détriment des consommateurs les plus pauvres.

En second lieu, l’octroi de mer, fonctionnant comme une barrière protectionniste, permet à des entreprises déjà en situation de monopole ou d’oligopole sur les marchés intérieurs de sécuriser leur position par rapport à la concurrence potentielle des importations. Leur pouvoir de marché s’en trouve davantage renforcé ainsi que leur velléité à maintenir leur situation de rente en augmentant les prix. De manière contre-intuitive, ce système profite également au secteur de l’import-distribution. Dans la mesure où il se trouve lui-même en position d’oligopole, il peut invoquer le prétexte de la cherté des coûts des produits locaux pour les vendre au détail à des prix élevés mais surtout pour aligner au passage les prix des substituts importés sur les prix de ces derniers dans la pure tradition d’un comportement de marge.

En dernier lieu, conformément à ce qui est habituellement constaté dans les petits territoires insulaires, il existe une certaine proximité ou porosité entre les sphères économiques et politiques. La combinaison entre la petite taille de l’économie et la petite taille de la population renforce les liens interpersonnels entre les propriétaires du capital et les politiciens. Il est même parfois difficile de faire la distinction entre les deux lorsque certains acteurs économiques se lancent dans la politique. En tout état de cause, cette collusion entre pouvoirs économique et politique, peu visible pour le citoyen, encourage les comportements de recherche de rentes.

Précarité sociale, désorganisation du marché du travail et défaut d’appariement

Une autre source importante de surcoûts pour les entreprises ultramarines, dégradant davantage encore la productivité apparente du travail, réside dans les dysfonctionnements du marché du travail.

Plusieurs contraintes doivent être mises en évidence. D’abord, la petite taille de la population impose une quantité de main d’œuvre disponible réduite. Ensuite, le niveau moyen de qualification est nettement en deçà des standards métropolitains (résonnance du passé coloniale et dysfonctionnement de l’école moderne). Enfin, les inégalités d’accès à la formation et à l’emploi sont persistantes liées à des défauts d’aménagement du territoire en matière de transport, pénalisant en particulier les populations pauvres forcées d’habiter dans les zones rurales ou en périphérie des zones urbaines où se concentrent les emplois et les services publiques.

On voit alors apparaître un « paradoxe » entre un taux de chômage fort dans les DOM comparativement à la métropole et de grandes difficultés malgré tout pour les chefs d’entreprise de satisfaire leur demande de travailleurs. Ce paradoxe témoigne en fait de la présence d’un défaut d’appariement entre l’offre et la demande de travail à un double niveau : (i) une inadéquation entre les qualifications et compétences désirées par les employeurs et celles offertes par les demandeurs d’emploi (« skill mismatch »), et (ii) la combinaison d’une distance physique importante entre les lieux de localisation des emplois et de résidence des personnes, et les difficultés de mobilité domicile-travail particulièrement prégnantes dans les DOM (« spatial mismatch »).

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Cette moindre qualité d’appariement sur les marchés du travail outremer va entraîner des surcoûts supplémentaires pour les entreprises locales. Premièrement, la pénurie de main d’œuvre dans la double dimension quantité et qualité (compétences) est susceptible d’engendrer une durée de vacance des postes plus longue que sur le continent, avec les pertes que cela implique en termes de création de richesses. Deuxièmement, un certain nombre de chefs d’entreprise se voient contraints de recruter sur la base du « savoir-être » plutôt que sur celle du « savoir-faire », ce qui entraine deux types de coûts : (i) la nécessité d’un investissement conséquent en formation interne pour en plus une perte, temporaire certes, de productivité à la fois du salarié en charge de la formation et du salarié en formation et (ii) le risque d’un recrutement raté et des pertes non récupérables liées à l’investissement initial sur le personnel retenu (coûts d’intégration et de formation, salaires versés, charges sociales, coûts de rupture).

Dernièrement, si la compétence recherchée est spécifique et disponible uniquement en dehors du territoire, le déplacement indispensable des personnes visées engendre souvent des frais supplémentaires liés aux conditions et avantages assortis au poste (frais de déplacement, d’hébergement, de vie chère, …).

En guise de conclusion 

De cette analyse, il ressort qu’une grande partie des écarts de prix entre les DOM et la France métropolitaine est très probablement de nature structurelle. Ces derniers découlent d’un défaut de compétitivité des entreprises ultramarines dû à un vaste ensemble de contraintes subies qui entrainent à la fois des surcoûts, imposés par le fait d’entreprendre en Outre-Mer, et la perspective de gains de productivité du travail réduits dans un cadre règlementaire imposant pourtant les mêmes conditions de salaires qu’en métropole. A cela, il faut ajouter des structures de marché nécessairement oligopolistiques, favorables à la détermination de prix élevés.

Jean-François Hoarau, CEMOI, Université de La Réunion