Aire marine protégée des Australes : Refus du gouvernement polynésien

Aire marine protégée des Australes : Refus du gouvernement polynésien

L’île de Raivavae dans l’archipel des Australes ©Criobe

Plus le temps passe, plus le projet de grande aire marine protégée porté par l’association Rahui Nui no Tuha’a Pae avec l’appui de la fondation Pew prend des tournures politiciennes complexes. Le gouvernement de la Polynésie française a exprimé son opposition au projet et les échanges se sont crispés entre le ministre polynésien de l’Environnement et la branche locale de Pew.

Il n’aura pas fallu longtemps avant que la politique politicienne ne s’invite dans le projet de grande aire marine protégée (AMP) dans l’archipel des îles Australes en Polynésie française. L’archipel est composé de cinq îles, ayant chacune sa municipalité ; Raivavae, Rimatara, Tubuai, Rapa et Rurutu. Le projet, baptisé Rahui Nui no Tuha’a Pae, est porté par l’association éponyme composée de maires, d’élus locaux, de pêcheurs, d’instituteurs, entre autre, et scientifiquement soutenue par la fondation Pew. Une délégation des îles Australes s’est rendue cette semaine sur l’île de Tahiti afin de présenter et défendre leur projet d’AMP à différentes institutions, et surtout pour avoir un rendez-vous avec l’exécutif polynésien qui est seul apte à décider de la faisabilité du projet. Rahui Nui no Tuha’a Pae serait la plus grande AMP au monde avec une zone de pêche libre limitée à 20 nautiques des côtes et réservée aux pêcheurs locaux, et une seconde zone totalement verrouillée d’un millions de km2 autour de l’archipel. Un millions de km2, c’est un cinquième de la ZEE polynésienne, une des plus vaste au monde et la plus importante des ZEE françaises. Sauf que le gouvernement de la Polynésie française a fait savoir son opposition au projet.

Une lame de fond électoraliste ?

Lors de leur croisade à Tahiti, les membres de la délégation des îles Australes ont fait savoir l’absence de réponse de la part du Président de la Polynésie française, Edouard Fritch, à leur demande de rendez-vous. Ce dernier a finalement prévu de recevoir la délégation le mardi 12 avril, ou du moins, ceux qui seront toujours à Tahiti. Les maires de Raivavae, Rurutu et Rimatara y ont répondu présents. Au départ unies, les cinq îles de l’archipel des Australes affichent une fissure depuis début avril. En effet, face au refus de l’exécutif, le maire de l’île de Rurutu et pro-Fritch, Frédéric Riveta, s’est rangé du côté du gouvernement en faisant abroger par son conseil municipal la délibération du 6 juin 2014, votée par les cinq municipalités de l’archipel et qui fut le point de départ de ce projet. L’archipel est également un des bastions du parti autonomiste Tahoera’a Huira’atira, fondé par l’ancien Président du Pays, Gaston Flosse, des années durant secondé par Edouard Fritch. En reprenant les rênes du gouvernement en 2014, Edouard Fritch s’est émancipé de son ancien mentor, créant son propre parti politique. La rupture entre les deux hommes en 2015 a rebattu les cartes électorales et l’on ressent dans ce projet d’AMP les tensions qui existent entre le maître et l’élève. Un des maires de l’archipel a bien souligné le soutien du Président de l’Assemblée de la Polynésie française, Marcel Tuihani, également nouveau second de Gaston Flosse.

La délégation de l'association Rahui Nui no Tuha'a Pae, reçue par le Président de l'Assemblée de la Polynésie française, proche de Gaston Flosse ©Facebook Rahui Nui no Tuha'a Pae

La délégation de l’association Rahui Nui no Tuha’a Pae, reçue par le Président de l’Assemblée de la Polynésie française, proche de Gaston Flosse ©Facebook Rahui Nui no Tuha’a Pae

Favorable en 2014, opposé en 2016

Officiellement, c’est le principe d’aire marine protégée et « verrouillée » qui semble coincer. Dans le rapport Rahui Nui, publié cette année avec l’appui de Pew, l’AMP est désignée comme étant « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services éco-systémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». Une zone d’un million de km2 « où la pêche industrielle et l’extraction minière sont interdites pour assurer la conservation des écosystèmes marins sur le long-terme », relaye Tahiti-infos. De son côté, Edouard Fritch pencherait plutôt vers une « doctrine plus souple », celle de l’aire marine gérée et qui s’étendrait sur toute la ZEE polynésienne. « On souhaite avoir une vision polynésienne globale », a souligné Teva Rohfritsch, ministre de l’Economie bleue. Le gouvernement plaide en faveur d’un équilibre entre préservation des ressources et développement économique. Une position défendue lors de la COP 21 à Paris et lors de la visite de François Hollande en Polynésie française. Pourtant, le projet porté par les îles Australes et la fondation Pew avait jadis les faveurs du gouvernement. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de l’Environnement, de la Culture et du Patrimoine, annonçait en novembre 2014 à Sydney, la création d’une aire marine protégée d’1,5 millions de km2, soit 30% de la ZEE polynésienne. Ces 1,5 millions d’AMP annoncées par le ministre de l’Environnement prend en compte le projet des îles Australes et celui des îles Marquises, également appuyé par Pew. Mais depuis, la position du gouvernement a bien changé, « pourquoi créer une aire marine protégée dans une zone où la pêche n’existe pas ? », martèle un conseiller d’Edouard Fritch, « en revanche, une fois créée, elle pourrait poser de sérieux problèmes à la population ».

©Pew

En zone rayée, le million de km2 qui serait verrouillé par le projet d’AMP des îles Australes ©Pew

Pew en ligne de mire

L’exécutif n’a pas hésité à s’en prendre à la fondation Pew, qui a initié ce vaste programme de recherche aux îles Australes en 2014. Un programme piloté par le CRIOBE (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement), avec 25 experts polynésiens et internationaux et avec la participation de National Geographic et l’Université d’Auckland. En parallèle, Tahiti-infos rapporte que la fondation Pew a impliqué les autorités locales, les pêcheurs, les associations, les opérateurs touristiques et la population « pour promouvoir un projet d’AMP consensuel ». Du côté de l’exécutif, on ne le voit pas comme ça et le ministre de l’Environnement a lancé une charge plutôt virulente à l’égard de la fondation, « ce n’est pas le projet des maires ni de la population des Australes, c’est le projet de Pew ». Il poursuit, « le projet de la Polynésie depuis 2008 est de transformer la ZEE en aire marine gérée. Ils feraient mieux de nous aider dans cette démarche. Pensez-vous que l’on va confier une aire marine d’un million de km2 à la fondation Pew ? Ils se sont déjà fait virer par nos cousins de Hawaii à cause de ce comportement colonialiste : ils viennent ; ils se croient chez eux et mettent en place des projets sans que personne ne leur ait demandé quoi que ce soit. Nous n’avons pas de leçon à recevoir de Pew », ambiance ! Pour le ministre, « Pew est une fondation américaine financée par le lobby pétrolier. Plus ils classent de km2 en zone intégrale, plus ils perçoivent de financements pour leur fondation ». « La Polynésie est déjà le plus grand sanctuaire marin de la planète depuis 2002 », souligne le ministre. « Nous n’avons pas attendu Pew pour cela. Notre pêche est déjà écologique. Depuis 2000 plus aucune flottille étrangère n’est autorisée à pénétrer dans nos eaux territoriales. Notre stratégie est de classer toute la ZEE en aire marine gérée en travaillant à l’installation d’un continuum régional, avec nos voisins du Pacifique. Les problèmes, c’est dans la zone maritime internationale qu’ils se produisent ». En d’autres termes, mêlez-vous de ce qui vous regarde.

Ces accusations, la branche polynésienne de la fondation Pew les réfute catégoriquement. « Nous rappelons que les cinq mairies des Australes ont voté en 2014 une délibération appelant à « la création d’une réserve marine dans la ZEE des Australes » », souligne la fondation dans son droit de réponse publié dans les colonnes de Tahiti-infos. « Le projet élaboré a été présenté cette semaine à Papeete par une délégation de 22 représentants des Australes. Nous déplorons le fait qu’aucun représentant des services du Ministre n’était présent à cette présentation. Le Ministre aurait pu réaliser que ce projet est bien celui de la population des Australes. La délégation des Australes a d’ailleurs créé l’association Rahui Nui no Tuha’a Pae [jeudi] et s’est exprimée directement sur ce projet ». Il s’agirait donc bien d’un projet porté par les habitants de l’archipel, et non par Pew comme l’indique le ministre de l’Environnement. Et alors que le même ministre accuse la fondation de se croire « chez eux » à mettre en place « des projets sans que personne ne leur ait demandé quoique ce soit », la fondation apporte la preuve irréfutable d’une apparente mauvaise foi de la part du gouvernement polynésien ; « nous rappelons que l’ONG Pew a été invitée par un courrier du Ministère de l’Environnement en mai 2014 à « dresser un état des lieux écologique et économique des patrimoines naturels et culturels de l’archipel des Australes » ». Un état des lieux « financé par Pew et remis au gouvernement en juin 2015 », rappelle la fondation.

Une délégation des îles Australes s'est rendue cette semaine à Tahiti pour défendre leur projet d'aire marine protégée ©Facebook Rahui Nui no Tuha'a Pae

Une délégation des îles Australes s’est rendue cette semaine à Tahiti pour défendre leur projet d’aire marine protégée ©Facebook Rahui Nui no Tuha’a Pae

Sur les accusations de financement sur fond de lobby pétrolier, Pew dément fermement, « cela est faux. Pew est une ONG internationale non-lucrative, non-politique, non-religieuse. Les financements de cette ONG proviennent des intérêts d’un fond de charité légué par la famille Pew en 1948. La famille Pew a certes fait fortune dans l’industrie pétrolière avant de léguer sa fortune, mais depuis sa création en 1948, l’ONG Pew est indépendante des intérêts de la famille Pew, de l’industrie pétrolière, et de tout autre intérêt privé et public. (…) Les financements de Pew proviennent des intérêts du fond de charité légué par la famille Pew et n’ont donc rien à voir avec le nombre de km2 protégé. Pew est particulièrement attaché au principe de transparence et publie sur son site internet des informations relatives à sa situation financière et à son programme d’action ». La fondation est aussi revenue sur sa supposée éviction des îles Hawaii et son « comportement colonialiste ». « Nous sommes peinés de devoir nous défendre publiquement face à ces accusations. Cependant, la vocation de Pew au niveau international est de stimuler la participation citoyenne au développement des politiques publiques. Donc nous sommes malgré tout heureux de voir que le projet de réserve marine proposé fait aujourd’hui l’objet d’un vrai débat public. Nous ne sommes pas rancuniers et nous sommes bien sûr disposés à continuer à travailler avec le Ministère et la population des Australes sur ce beau projet de « Rahui Nui No Tuha’a Pae » », a conclu la fondation dans son droit de réponse.

Reste qu’au beau milieu de ce marasme politique, ce projet d’aire marine protégée Rahui Nui no Tuha’a Pae a peu de chances de voir le jour puisque le gouvernement polynésien, seul apte à prendre la décision finale, y est opposé. Et c’est ainsi qu’en l’espace d’une semaine, un projet environnemental, écologique, culturel, historique et patrimonial, lié à la préservation des ressources naturelles maritimes et mis en lumière par de nombreux médias nationaux et internationaux, se heurte à la politique politicienne et est relégué dans le placard gouvernemental des fausses-bonnes idées.

Le projet de la plus grande aire marine protégée présenté et défendu par l'association Rahui Nui no Tuha'a Pae ne verra très probablement jamais le jour ©DR

Le projet de la plus grande aire marine protégée présenté et défendu par l’association Rahui Nui no Tuha’a Pae ne verra très probablement jamais le jour ©DR

Courrier du gouvernement datant de 2014 et demandant un état des lieux à la fondation Pew