Lors de la réunion de la Quatrième commission chargée des questions spéciales et de la décolonisation, qui a eu lieu ce mardi 4 octobre au siège des Nations Unies à New York, le Président polynésien Edouard Fritch est, pour la première fois, venu défendre le statut d’autonomie qui régit la Collectivité, lui-même régit par l’article 74 de la Constitution. En face, les indépendantistes, accompagnés d’une délégation de 17 pétitionnaires, ont préféré parler d’un statut « dont le modèle pointe vers un arrangement de gouvernance dépendante modernisé au fil des ans ».
Lors de la réunion de la Quatrième commission du 4 octobre, les débats concernant la Polynésie française se sont principalement articulés autour de deux sujets essentiels, sensés être inscrit dans une résolution qui doit être votée devant l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre prochain. Ces deux sujets étant la souveraineté polynésienne sur les ressources naturelles et sous-marines du territoire et la réparation des conséquences des essais nucléaires. Au cours des débats, l’éducation, la protection des langues polynésiennes et l’emploi local ont aussi été abordés.
C’est Edouard Fritch qui a ouvert le train des interventions. Pendant dix minutes, le Président de la Polynésie française a pris le soin de détricoter les revendications indépendantistes, mettant en exergue quatre points : les indépendantistes ne sont électoralement pas majoritaires, le fait nucléaire est reconnu par l’Etat français depuis 2010, ce dernier ne confisquera pas les ressources naturelles et sous-marines de la Polynésie française et enfin, la Collectivité est régie par un statut d’autonomie élargie, qui lui a même permis d’être, avec la Nouvelle-Calédonie, membre à part entière du Forum des îles du Pacifique. « J’ai souhaité venir devant vous car j’estime qu’il est temps, au nom du peuple polynésien, de vous livrer les points de vue qui reflètent l’état d’esprit et l’opinion du plus grand nombre d’entre eux, les autonomistes », a-t-il déclaré en introduction de son discours. Le Président de la Polynésie française a également demandé la désinscription du territoire sur la liste onusienne, par l’intermédiaire du représentant de la Papouasie Nouvelle-Guinée. A noter que cette demande n’aurait, pour l’heure, pas officiellement été déposée.
« Le colonialisme par consentement reste du colonialisme »
Pourtant, les 17 pétitionnaires dont les interventions ont suivi celle du Président polynésien ont défait, point par point, l’argumentaire de ce dernier. L’association anti-nucléaire 193 a rappelé « que les Polynésiens veulent connaître la vérité sur les essais nucléaires français. 50 000 Polynésiens ont signé une pétition à cet effet », a-t-il expliqué, en exhortant les autorités à en tenir compte. Il a insisté sur les conséquences des 193 essais nucléaires conduits en Polynésie, notamment la fréquence de certaines maladies et le risque de voir l’atoll de Moruroa s’effondrer. Il a exhorté l’État français à assumer totalement ses responsabilités, « car ce que la France est aujourd’hui en terme de puissance nucléaire, elle le doit en grande partie à la Polynésie ». « Les Polynésiens sauront réécrire leur histoire si demain il y aura un référendum local en Polynésie », a-t-il conclut. Toujours sur ce point, « l’échec » de la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires a été mis en exergue. Celle-ci est d’ailleurs en cours de modification et ne satisfait pas encore les associations et une frange de la classe politique.
Sur la question des ressources naturelles et sous-marines, le représentant indépendantiste Richard Tuheiava a précisé « qu’il y avait cinq types de ressources: terrestres, du domaine public maritime, de la zone économique exclusive, des eaux profondes et de l’espace aérien, dont la plupart relèvent de la souveraineté de la Puissance administrante. Ce sont les caisses du Trésor français qui en bénéficient et cela entrave le développement de la Polynésie française », a déploré M. Tuheiava en faisant valoir l’argument économique. Il souhaite une « souveraineté permanente des Polynésiens sur les ressources naturelles de la Polynésie française pour leur permettre de développer une économie viable à long terme ». La question de la souveraineté des ressources naturelles est épineuse. Celle-ci est effectivement du ressort de la Polynésie, comme indiqué dans son statut, seulement si elles ne sont pas « stratégiques ». Et la liste des ressources dites stratégiques peut être modifiée par simple décret du Président de la République.
Sur le statut du territoire, Carlyle Corbin a rappelé « l’évaluation du niveau d’autonomie de la Polynésie française, qui a été menée à l’aide d’indicateurs (SGI) » lors de la réinscription sur la liste des territoires non-autonomes en 2013. « L’analyse des dimensions constitutionnelle et politique, économique et sociale et militaire et stratégique montre que le terme « autonomie » est appliqué à tort à la Polynésie française, dont le modèle pointe vers un arrangement de gouvernance dépendante modernisé au fil des ans, dans la forme et dans la nomenclature, mais certainement pas dans le fond » a-t-il expliqué. En conclusion, « il reste une forme de contrôle unilatéral exercé par la Puissance administrante, et le territoire ne dispose que d’une forme d’autonomie déléguée qui peut être inversée à tout moment », a souligné M. Corbin. « C’est la raison pour laquelle ce territoire a été réinscrit sur la liste des territoires non autonomes. Le colonialisme par consentement reste du colonialisme ».
Concernant l’entrée de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie en tant que membre à part entière du Forum des îles du Pacifique, Moetai Brotherson, conseiller spécial aux affaires internationales du parti indépendantiste, a rappelé « qu’Ericka Bareigts, Ministre des Outre-mer, avait déclaré que l’admission au Forum était le résultat de la seule volonté de la diplomatie française », et non le fait d’une autonomie élargie reconnue par les pays membres du Forum des îles du Pacifique. D’autres thèmes ont été développés par les pétitionnaires, comme l’éducation, la place des langues polynésiennes et l’emploi local. Sur ce dernier, Puarai Taerea, Président de l’ONG locale « Blue Djeuns no Ma’ohi Nui », a expliqué « qu’il n’y avait pas de système de protection de l’emploi local et qu’aucune loi en ce sens n’était appliquée par le biais d’une législation locale. En fait, les deux tentatives de changement de la législation locale qui auraient donné la priorité aux locaux ont été rejetées à deux reprises par la Puissance administrante ». « Selon le recensement de 2012, 33 400 personnes non originaires de la Polynésie française s’y étaient installées. Seuls 7,5% de ces immigrants sont sans emploi contre 22,6% de la population résidente », a affirmé Justine Teura, conseillère municipale de la commune de Tumaraa (Raiatea).
Enfin, le leader indépendantiste Oscar Temaru s’est muni d’une pétition « appelant à réaffirmer le soutien de son peuple à la notion de souveraineté totale sur ses propres ressources ». Lancée il y a moins d’un mois, elle aurait recueilli à ce jour près de 50 000 signatures. Oscar Temaru a également rappelé que le retrait de la Polynésie française sur cette liste des territoires à décoloniser en 1947 s’est fait sans le vote de l’Assemblée générale de l’ONU. Les discussions de la Quatrième commission se poursuivront jusqu’à vendredi. Lundi ou mardi, celle-ci doit annoncer si la résolution qui doit être votée en Assemblée générale comportera toujours les points sur les essais nucléaires et la souveraineté des ressources naturelles et sous-marines.