©Magazine Dixit
Dans les années 80, les travaux de réalisation des premiers barrages hydroélectriques effectués par la société Marama Nui ont perturbé les écosystèmes des vallées aménagées de Tahiti, dont les vallées de la Papenoo et de la Vaihiria. Lors du rachat de la société Marama Nui, EDT ENGIE s’est engagé à travailler de façon exemplaire et à réhabiliter l’environnement de ces berceaux de la biodiversité que sont les vallées polynésiennes. Le point avec notre partenaire le magazine Dixit.
Aujourd’hui, la Papenoo regorge d’anguilles
Des engins de terrassement réalisant des voies à travers la nature vierge et la construction de divers édifices ont imprimé durablement une image négative auprès de la population, mais force est de constater qu’elle n’est plus aujourd’hui le reflet de la réalité. Tous les connaisseurs de la vallée peuvent témoigner du fait que la nature a repris ses droits, dans sa flore et dans sa faune et que les pratiques des exploitants hydroélectriques ont changé (formation des personnels, contrôle des qualités d’eau en phase de travaux, mise en place d’exigences environnementales pour les prestataires, pêches préventives de sauvegarde,…). À ce titre, l’anguille est un animal emblématique de la bonne santé d’une rivière et la rivière de la Papenoo en regorge, c’est ce que révèlent les premières recherches d’une jeune doctorante polynésienne Herehia Helme.
Une thèse sur l’écosystème de la Papenoo
Herehia Helme a démarré en 2014 une étude de trois ans afin de mieux comprendre l’écosystème de la Papenoo, de mesurer l’impact des aménagements hydroélectriques sur le peuplement des anguilles et de mieux connaître le cycle de reproduction de cet animal mystérieux. Cette recherche constituera la thèse de son doctorat (soutenue en 2017) qu’elle réalise sous la direction scientifique de Pierre Sasal, scientifique du Centre de recherches insulaires et Observatoire de l’environnement (CNRS-CRIOBE).
Herehia a pu bénéficier du dispositif Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) qui a permis à Marama Nui de la recruter pour 3 ans. Elle dispose de la logistique de l’entreprise, de l’aide d’un jeune (embauché en CAE) et de volontaires de l’association haururu qui l’aident dans ses campagnes de pêche. Celles-ci se font à l’aide d’un appareillage électrique utilisé pour engourdir les anguilles afin de les marquer. Elles sont ensuite relâchées et suivies, l’objectif de ce traçage étant de recueillir des informations sur la vie et la migration des populations d’anguilles.
Le mystère de la reproduction des anguilles
Herehia Helme partage fréquemment ses connaissances sur les étapes de vie des anguilles de la Papenoo avec l’association culturelle Haururu gardienne de la préservation environnementale et culturelle de la vallée, mais aussi avec les écoles primaires qui la sollicitent régulièrement. La jeune chercheuse est à même d’expliquer l’évolution de ce poisson mystérieux depuis sa découverte à l’embouchure de la rivière alors qu’il ne mesure que 4 cm (civelle), sa croissance en remontant le cours d’eau, où il acquiert des nageoires (d’où l’expression « anguille à oreilles ») et se dote d’yeux plus gros et résistants à l’eau de mer ; commence alors son retour vers l’océan…

Les anguilles ont une place particulière dans la culture polynésienne. En plus de peupler les rivières, elles peuplent aussi les légendes de la tradition orale. Ici, les anguilles sacrée de Fai’e sur l’île de Huahine ©Tahiti Heritage
Mais quand vient le moment de parler de l’épopée de la ponte, le conditionnel est de rigueur. Il semblerait en effet que les anguilles adultes mues par une force inouïe parcourent plus de 2500 km pour aller pondre leurs œufs, quelque part entre les îles Fiji et Samoa et meurent après la ponte. Ces œufs vont éclore et deviendront des larves leptocéphales (à tête plate) qui seront emportées par les courants océaniens et se transformeront en civelle arrivées près de l’embouchure de nos rivières. Il reste encore beaucoup à apprendre sur le cycle de reproduction des anguilles de Polynésie et sur leur mode de vie dans les rivières.
Un aménagement des flux d’eau pour respecter la biomasse dans la vallée de Vaihiria
« Lors des grandes crues de 1998 » raconte Yann Wolff, le directeur de Marama Nui « le lac Vaihiria s’est littéralement vidangé dans la nuit. Dans les années qui ont suivi, sa biomasse est devenue très faible, il n’y avait presque plus d’anguilles. Puis en 2007, nous avons fait des travaux pour aménager des débits réservés visant à garantir durablement la survie, la circulation et la reproduction des espèces aquatiques ». Le résultat est aujourd’hui à la mesure des espérances puisque la présence d’anguilles tout au long de la vallée est avéré. Des efforts sont encore à réaliser pour retrouver une situation normale dans le lac Vaihiria. 500 anguilles ont été réintroduites ces dernières années et font l’objet d’un suivi annuel. On espère bientôt revoir les fameuses anguilles « à oreilles » qui peuplaient le lac depuis les temps immémoriaux….affaire à suivre et qui sera suivie dans les années à venir.
Si Herehia Helme peut expliquer la taille étonnante de ces spécimens (jusqu’à 2 m de long pour 20 kg) par le fait que certaines anguilles ne vont pas en mer se reproduire et continuent donc de prospérer dans le lac, il est toutefois difficile d’expliquer comment les civelles ont réussi à remonter jusqu’au lac… « Peut-être par un lavatube* ou une faille aujourd’hui bouchés ? » avance Yann Wolff, qui suit avec passion les travaux de la jeune doctorante. Toutes les réalisations de Marama Nui bénéficient actuellement de dispositifs de débit réservé qui favorisent le cycle de migration et atténuent grandement l’impact des barrages sur le milieu aquatique.
Dans la Papenoo, les études se poursuivent, on peut d’ores et déjà annoncer la présence d’anguilles tout le long de la suite à la mise en place d’un réseau complet de débits réservés mesurés et contrôlés régulièrement depuis 2008. Les études se poursuivent mais quelques points présentant une sur-attractivité des espèces ont été détectés (canal de fuite Papenoo, embouchure te Faaiti) . Il conviendra de mesurer l’impact éventuel réel de ces anomalies et de proposer d’éventuelles amélioration ou réduction de ce phénomène.
Dominique Morvan, Magazine Dixit
L’anguille, un animal mythique en Polynésie
Une des légendes polynésiennes raconte que Maui coupa la tête d’un monstre sorti du lac Vaihiria et dit à Hina : « Plante-la au centre de l’enclos de ton marae. Cette tête d’anguille contient de grands trésors. Tu en tireras de quoi construire ta maison, de quoi boire et de quoi manger.». L’anguille serait donc la mère du cocotier, aussi est-elle respectée. Les trois principales espèces d’anguilles de Polynésie sont : anguilla marmorata, anguilla obscura et anguilla megastoma.
* Lavatube : tunnel souterrain créé par une ancienne coulée de lave.