L’Après en Outre-mer : Et Maintenant ? par Jean-Yves Bouvier

L’Après en Outre-mer : Et Maintenant ? par Jean-Yves Bouvier

Outremers 360 vous donne la parole et partage le sentiment des acteurs socio-économiques des territoires d’outre-mer, à la veille de la période post-pandémie. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Jean-Yves Bouvier, ancien chef d’entreprises et ancien président du Medef-NC.

Nouméa, le 23 avril 2020.

Depuis trois jours, les portes de nos maisons sont ré-ouvertes et un semblant de vie reprend forme. Finie l’assignation à résidence, même si quelques contraintes persistent et que cette liberté est conditionnelle. Commerçants, artisans, industriels, salariés, professions libérales hors quelques exceptions renaissent à la vie, même les maîtres recommencent à accueillir les élèves dans des conditions particulières.

Mais, malgré cela, le cœur ne semble pas y être. Le doute, la peur, la suspicion … se sont installés au plus profond de chacun d’entre nous. Les regards se croisent différemment, avec une sorte de gêne. Chacun réfrène l’élan qui le pousse à aller vers l’Autre, vers celui où celle que l’on voudrait prendre dans ses bras et étreindre sur son cœur, comme on aime à le faire après une aussi longue absence.

Mais NON, il ne faut pas! Je doute, j’ai peur. Je suis peut-être contagieux, je porte peut- être en moi ce foutu mal qui tue avec autant de facilité. Où est-ce peut-être celui où celle que j’ai envie d’étreindre qui est malade sans le savoir?… Peut- être le sait-il d’ailleurs?…

Voilà où nous en sommes. La peur nous habite, elle nous bouffe tellement qu’elle envient à détruire toute capacité d’analyse et de décision.

Et la peur, en Nouvelle-Calédonie c’est quelque chose! On connaît ça! Nous jouons avec depuis si longtemps. Ainsi, chaque « camp » politique sait en jouer pour entretenir le rejet de l’Autre. Alors, aujourd’hui, quelle aubaine! …Et les extrêmes deviennent extrêmes.

Ainsi pour certains : « Je n’ai plus besoin d’attiser une quelconque peur de l’Autre; ce foutu mal sournois, ce mal qui nous vient d’ailleurs (d’Europe?… de Chine?…) se charge de le faire et me donne raison de me refermer un peu plus, de rejeter l’Autre, cet intrus porteur du Mal, encore plus violemment. Comment ça! Je vais m’ouvrir? Je vais laisser rentrer n’importe qui, qui pourrait m’apporter mort et désolation?… Ah, que NON. Allez, dégage……… Ah oui, mais au fait, avant de dégager n’oublie pas de me laisser la cagnotte, c’est bien normal, tu m’as déjà tellement pris, et nous en avons tellement besoin. »

Et pour d’autres : « Oui, mais regardez, ça ne peut plus durer, ils cassent tout, ils ne respectent rien, ce sont des voyous, même pas reconnaissants. Ça suffit qu’ils aillent au diable… Chacun chez soi. Alors donnez-moi des sous et on va régler le problème! »

Sans doute est-ce là un propos un peu caricatural, mais je pense qu’il contient une grande part de vérité. Mais, sincèrement, si tel est le cas, comment allons-nous fairepour nous reconstruire un avenir vraiment prometteur et partagé? Car, « trente ans après » (*) plus une pandémie, nous en sommes là.

N’oublions pas, le confinement – et en Nouvelle-Calédonie, nous sommes naturellement confinés de par notre insularité, notre éloignement et notre tellement petit nombre – porte en lui le risque de mort sociale et de mort économique. Il ne saurait durer plus longtemps sans nous conduire à cet état.

Alors, oui, la porte est ouverte, dehors la mort rôde, mais ce n’est pas une nouveauté car n’est- elle pas l’aboutissement de la vie et nous pouvons la croiser au détour d’un virage mal négocié ou d’une soirée trop arrosée et, qu’un jour nous la rencontrerons.

Alors, ENFIN, sachons profiter de cette occasion pour repartir d’un meilleur pied et réussir la construction de notre « Case commune ». Profitons de notre situation si particulière dans l’ensemble des Outremers français pour nous inventer un avenir partagé pleinement consenti.

Profitons de cette situation totalement inédite – que gèrent avec efficacité nos instances collégiales – pour regarder bien en face la somme des problèmes qui nous attendent et auxquels il va falloir apporter solutions et innovations.

Comment ferons-nous demain, face à un chômage de masse quand des pans entiers de notre économie se seront effondrés et auront disparu?

Comment ferons-nous demain pour satisfaire au mieux à nos besoins alimentaires et sanitaires?

Comment ferons-nous demain pour que toute notre jeunesse puisse s’épanouir au mieux et escompter pouvoir vivre aussi bien que ce que nous avons, nous, vécu?……

La liste de ces « Comment ferons-nous » est particulièrement longue. Il n’y a qu’ensemble que nous pourrons l’affronter et la résoudre. Encore faut-il pour cela accepter d’écouter et d’entendre l’Autre, celui qu’en ces temps bien incertains nous avons si facilement tendance à rejeter, alors même qu’il peut tant m’apporter.

Jean-Yves Bouvier, retraité actif, ancien chef d’entreprises, ancien président du Medef-NC

(*) : Cf Histoire de la Nouvelle-Calédonie – Accords de Matignon – Oudinot; Accord de Nouméa.