Tourisme nautique et maritime en Polynésie: crucial pour le développement économique

Tourisme nautique et maritime en Polynésie: crucial pour le développement économique

©Fred Jacques / Archipelagoes

Après cinq années de croissance, le tourisme nautique et maritime en Polynésie française est aujourd’hui confronté à des défis sérieux et des problématiques lourdes de conséquences. Une nouvelle phase de réflexion et de structuration majeure s’impose. Pour le Dixit Magazine, partenaire d’Outremers360, Stéphane Renard, coordinateur du Cluster Maritime de Polynésie française, identifie ces défis, notamment en terme d’infrastructures, pour répondre aux besoins du tourisme nautique et maritime toujours croissants.

En Polynésie, on distingue usuellement plusieurs segments dans le tourisme nautique et maritime :
– La plaisance touristique concerne les visiteurs internationaux qui viennent en Polynésie avec leurs propres voiliers ou bateaux à moteur.
– Le charter nautique concerne les visiteurs qui viennent en avion puis louent un voilier ou un bateau à moteur pour plusieurs jours, avec ou sans équipage – on parle également d’hôtellerie flottante.
– Le yachting de luxe, ou grande plaisance, qui distingue les navires de plus de 24 m, que l’on désigne comme super-yachts à partir de 45 m, et méga-yachts au-delà de 60 m (les visiteurs à bord sont soit les propriétaires, soit des visiteurs qui louent le navire avec son équipage).
– Enfin, la croisière qui concerne les visiteurs louant une cabine, généralement sur un paquebot en disposant d’au moins 12.

©Archipelagoes

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En 2015, les retombées économiques de l’ensemble du tourisme nautique et maritime s’établissent autour de 13 milliards de Fcfp (109 millions d’euros environ), c’est-à-dire sensiblement autant que l’ensemble des exportations locales. À titre de comparaison, la plaisance touristique seule permet au Pays des retombées quasi équivalentes aux exportations du secteur de la pêche, ou près de trois fois supérieures aux exportations de vanille ou de monoï… L’intérêt économique de ces filières est donc avéré, d’autant que ces navires permettent de toucher généralement au moins trois archipels ou plus et d’assurer des revenus aux commerçants, artisans et prestataires dans des îles bien moins fréquentées par le tourisme hôtelier et para-hôtelier.

Néanmoins, la croissance de ces segments ne peut être envisagée sans une nouvelle phase de réflexion et de structuration majeure, au regard des difficultés opérationnelles, de l’acceptation sociale, ou de la préservation de l’environnement que des flux supplémentaires ne manqueraient pas de poser.

Développer les infrastructures portuaires dans les îles

La Polynésie est parvenue en quelques décennies à se doter des infrastructures terrestres et aériennes nécessaires à son développement. On ne compte plus le nombre de routes praticables et goudronnées dans la quasi-totalité des 79 îles habitées. On dénombre 46 îles (plus de la moitié) disposant d’un aéroport et d’une ligne aérienne régulière. Pourtant dans un pays à la géographie, à l’histoire, à la culture essentiellement maritimes, selon la Confédération des armateurs, seulement 23 de nos îles – soit un quart – disposeraient d’un véritable quai (et non de simples embarcadères)… Il y aurait donc, en Polynésie française, moitié moins de ports que d’aéroports. Voilà un constat surprenant, qui pourrait même devenir affligeant si l’on mettait en regard les moyens, les ressources, l’engagement et la préoccupation d’entretien et de gestion de ces infrastructures.

©Fred Jacques / Archipelagoes

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En 2016, la seule autorité portuaire constituée ne concerne que le Port Autonome de Papeete et ses installations à Punaauia et à Moorea. On ne pourrait l’imaginer pour les aéroports : absence de tour de contrôle, de services techniques et de sécurité, de bureau d’accueil des passagers ou de traitement du fret dans la plupart des îles. Mais c’est encore le cas aujourd’hui pour le transport maritime, pour la pêche côtière ou… pour le tourisme nautique. Enfin, le maillage de la surveillance et des moyens de sauvetage en mer, même s’ils ont fortement progressé grâce à l’action de la FEPSM et de l’État en mer, restent encore trop peu développés pour inciter à la multiplication d’activités touristiques nautiques dans la plupart des archipels. Même pour la croisière, l’absence de remorqueurs de très haute capacité qui puissent se projeter rapidement sur un accident ou un naufrage, est pointée du doigt comme un risque inconcevable par certains acteurs.

Mobilisation et structuration

Les décideurs publics et privés ne sont pas passifs face à ces problématiques. Depuis 2009, on assiste à un phénomène de structuration par filière, avec l’émergence d’organisations sectorielles (1) liées au maritime ou au tourisme nautique, et qui multiplient les constats, les actes et les préconisations. Différentes initiatives, plus ou moins coordonnées, peuvent être énumérées : création du ministère de l’Économie bleue ; nouvelle marina dans le port de Papeete réalisée et gérée par le Port Autonome ; les « Rencontres du tourisme nautique aux Îles Sous-le-Vent » qui réunit depuis 2011 l’ensemble des communes Raromatai, des acteurs, la CCISM et différents services de l’État et du Pays, avec un volet pour la mise en place et la gestion de mouillages et pontons d’accueil des plaisanciers ; renouvellement du PGEM de Moorea ou redéfinition des zones de navigation de Fakarava par la DIREN ; nouveaux débarcadères de croisière de Paopao et Papetoai à Moorea, sous la responsabilité du Service du tourisme ; mise à niveau du tirant d’eau du quai de Uturoa par la Direction de l’équipement ; étude sur les infrastructures liées à « la route des 36 mois » pour les plaisanciers, pilotée par le ministère du Tourisme ; mise en place de mouillages organisés aux îles Marquises portée par la CODIM ; projets de nouvelles marinas à Tumaraa, Avera, Bora Bora, Tahaa, Tahiti, Moorea… ; programme « Intègre » sur la gestion intégrée des espaces partagés, et la création d’un comité de gestion du lagon à Raiatea et Tahaa… jusqu’au « Forum de l’économie maritime », organisé par le Cluster maritime de Polynésie française, spécifiquement dédié en 2016 à ces questions d’infrastructures nautiques et maritimes…

Les projets ne manquent pas, mais sans trouver pour le moment la cohérence d’ensemble nécessaire à un déploiement efficace et maîtrisé. Si l’on ajoute que, en 2015, à peine 15 % des investissements du ministère de l’Équipement sont consacrés au maritime, on peut comprendre que l’on est loin du « plan Marshall » souhaité par les acteurs pour permettre une phase de croissance de l’économie bleue pleinement significative.

Une cohabitation parfois difficile

Parmi les conséquences de ces carences persistantes de structuration au regard de l’augmentation des flux dans le tourisme nautique, jugée comme brutale par certains, il faut citer la multiplication et l’intensification des phénomènes de rejets par les riverains et une partie de la population, qui expriment le sentiment d’une « privatisation » des espaces lagonaires qu’ils jugent nuisible et illégitime. Ils sont encore minoritaires, mais gagnent en ampleur et en radicalité, sont relayés de plus en plus par des élus qui ne savent pas quelles réponses apporter à leur population, ou aboutissent à des blocages de projets ou programmes de développement.

©Tim Tomas / TPR

©Tim Tomas / TPR

Paradoxalement, c’est la rançon du succès pour les segments nautiques du tourisme, pointés du doigt parfois à proportion de leur dynamisme. Bien que leurs contributions à l’économie et au bassin d’emploi de ces îles soient substantielles, la visibilité offerte sur l’horizon et la concentration parfois sur telle ou telle zone servent de prétexte à des stigmatisations sociales ou identitaires, des amalgames et des confusions, qui finissent par opposer le visiteur et le riverain, au lieu de les réunir.

Si le tourisme traditionnel peut générer des tensions foncières, parfois exacerbées, qui ont pu être résorbées pour la plupart ces dernières décennies – bien que chaque nouveau projet provoque son lot d’oppositions et de contradictions -, le tourisme nautique et maritime peut également voir sourdre des tensions liées aux usages et à la préservation des espaces et des cadres de vie. Sans sombrer dans une caricature simpliste, il convient de noter que plus la microéconomie de ces îles est structurée par ailleurs – forte présence administrative, et donc forte prévalence économique de salariés du public ; ou flux touristiques traditionnels majeurs, comme à Bora Bora- plus les rejets exprimés peuvent s’avérer excessifs.

©Dixit Magazine

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La perception de l’impact financier direct est l’un des facteurs d’acceptation non négligeable pour les populations locales. Un autre réside dans la capacité à inclure le développement touristique dans une intégration transversale avec d’autres secteurs économiques (transport, agriculture, pêche, artisanat, patrimoine et culture…). Ainsi, la valorisation des métiers, l’accès aux formations (voir encadré), l’accompagnement des porteurs de projets interdépendants du développement de ces segments touristiques, doivent être mieux appréciés et supportés par les pouvoirs publics. Enfin, la permissivité ou plutôt le défaut d’autorité qui semble parfois régner sur l’eau – réglementation et communication autour des usages – doit trouver peu à peu des réponses appropriées, réalistes et soutenables, pour restreindre les débordements et les conflits potentiels.

Ces dernières années, toutes les initiatives de porteurs de projets économiques, liés à l’expansion du flux de plaisance (ports à secs, marinas, carénages, services divers…), des Marquises, des Tuamotu jusqu’aux Îles Sous-le-Vent, ont été couronnées de succès. Sans crainte réaliste de devenir demain une destination saturée – voile ou croisière – comme peuvent l’être les Caraïbes ou les îles de Méditerranée, une partie de l’horizon touristique de la Polynésie française peut se construire autour de son océan et ses lagons.

La préservation comme pilier du développement

Le dernier angle à examiner est celui des impacts de ces segments touristiques sur l’environnement. Bien moins nocive, invasive et intrusive que la plupart des développements terrestres, il n’en reste pas moins que l’activité nautique s’exerce en Polynésie dans un milieu fragile et emblématique, dont la biodiversité est déjà soumise à de nombreuses pressions. Qu’ils s’agissent des rejets maritimes, des risques de contamination phytosanitaires par des espèces nuisibles ou envahissantes, des ancrages ou de trains de houle indésirables (pour les paquebots), toutes ces problématiques peuvent être résolues avec les connaissances et technologies actuelles. Une volonté collective cohérente peut permettre d’y remédier de manière méthodique sans grande difficulté et dans des délais et budgets raisonnables.

Plus complexes seront les mises aux normes, la surveillance et l’entretien des infrastructures nécessaires au développement durable de ces secteurs, qu’il s’agisse des zones de travaux et carénages, de la création et de l’usage de marinas, de zones de mouillages dédiées, etc. Mais là encore, les exemples, les programmes, et les techniques ne manquent pas, déjà éprouvés dans bien d’autres destinations, et dont la Polynésie française pourrait s’inspirer, permettant même d’afficher une exemplarité attractive au moins régionalement, voire internationalement. Il ne faut pas nier pour autant le retard pris localement sur ces sujets, souvent fort peu considérés, à la mesure de flux maritimes jugés comme encore restreints. Seul exemple notable, l’obtention du label « Pavillon Bleu » par la marina Taina sur Tahiti.

©Fred Jacques / Archipelagoes

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Pourtant, les enjeux du développement du tourisme nautique se croisent et se fondent même parfois, dans ceux du développement des archipels et des îles éloignés des flux traditionnels. Ces segments peuvent aisément permettre l’émergence d’une microéconomie nécessaire pour fixer les populations, pour donner accès à des emplois pérennes et déconnectés des mécanismes usuels de socialisation des charges et des pertes tels qu’on peut les constater dans d’autres secteurs. Le tourisme nautique et maritime, comme plus largement l’économie maritime, soutient ainsi l’ensemble du microcosme d’activités que peuvent développer les îles. Il est naturellement l’un des fers de lance de la structuration économique et de la préservation environnementale, pour peu que son développement continue d’être raisonné et soutenable. Et il s’inscrit dans une tradition millénaire de rapport à l’océan, à la navigation, au privilège de découvrir par la mer, île après île, la diversité encore sous-estimée de la Polynésie.

1- Ex : associations Tahiti Cruise Club et Te Ama no Raromatai, syndicats des activités nautiques Tai Moana et des agents maritimes Synagmar, Cluster maritime de Polynésie française (CMPF).

Former à de nouveaux métiers

La création de formations spécifiques, soutenues par le SEFI et organisées par la CCISM autour des métiers de l’hôtellerie flottante est exemplaire, à la fois dans la démarche et en termes de résultats et de taux d’insertion professionnelle. Entre 2007 et 2014, 6 sessions (3 à Raiatea et 3 à Tahiti) ont permis de former 65 demandeurs d’emploi, avec un taux de réussite à hauteur de 80 % et un taux d’insertion professionnelle de 70 % après 3 ans. Une nouvelle formation a été initiée en septembre 2016.

Des voix s’élèvent également pour influer la réglementation nationale afin d’obtenir une reconnaissance ainsi que des formations au « Master of yacht 200gt limited », qui est aujourd’hui la certification professionnelle la plus utilisée dans le monde pour commander des navires commerciaux de – 24 m, jusqu’à 200 tonnes, et à 150 miles des côtes. Bien plus léger et approprié que le Brevet de capitaine 200 obligatoire pour commander un navire sous pavillon français et actuellement dispensé par le Centre des métiers de la mer à Papeete, ce diplôme permettrait à plus de Polynésiens de pouvoir devenir skippers en charter nautique ou équipiers sur des super-yachts.

par Stéphane Renard pour le Dixit Magazine
Cogérant Archipelagoes SARL
Coordinateur Tahiti Cruise Club – Coordinateur Cluster Maritime de Polynésie française