Économie en Outre-mer – Jean-Pierre Philibert de la Fedom, « Investir en Outre-mer, ce n’est pas investir à fonds perdus ! »

Économie en Outre-mer – Jean-Pierre Philibert de la Fedom, « Investir en Outre-mer, ce n’est pas investir à fonds perdus ! »

Avec l’étude de la Mission Outre-mer du projet de loi de finances de 2016, diverses décisions en faveur des entreprises ultramarines ont été prises. À cette occasion, la rédaction d’Outremers 360 a interrogé Jean-Pierre Philibert, le président de la Fédération des entreprises d’Outre-mer (FEDOM). Au sein de cette organisation qui regroupe de nombreuses entreprises ultramarines, Jean-Pierre Philibert et son équipe s’emploient à permettre aux milieux économiques ultramarins de continuer à investir dans de bonnes conditions mais aussi contribuer à d’améliorer leur compétitivité. Auprès des institutions nationales comme l’Elysée, le Ministère de l’Economie, la Fedom s’attache à faire prendre conscience de la spécificité des économies ultramarines en défendant des dossiers brûlants comme la défiscalisation, l’exonération des charges sociales ou encore le RGEC (Régime Général d’Exemption par Catégorie). « Quand on pointe du doigt les entreprises en Outre-mer en disant qu’elles sont trop aidées, je réponds simplement qu’on cherche à compenser les handicaps auxquels elles sont confrontées. On se bat effectivement pour être plus compétitifs que les pays voisins » clame Jean-Pierre Philibert. Mais la conjoncture économique fait que cette compensation des handicaps de l’économie ultramarine devient de plus en plus tenue.« On a fait de nos entreprises ultramarines, des entreprises traitées comme toutes les autres alors que nous sommes dans un environnement avec une problématique sociale qui mériterait qu’on les traite différemment. S’il y a bien des territoires sur lesquels il faudrait faire de la discrimination positive en matière d’aides aux entreprises, c’est l’Outre-mer mais cette discrimination tend à disparaître petit à petit », ajoute-t-il.

Quelle analyse faites-vous sur le budget de la mission Outre-mer voté récemment au Parlement ?

Jean-Pierre Philibert : Il y a des avancées mais également du recul dans ce projet de loi de finances. Sur le premier point cité, nous nous réjouissons que l’aide fiscale à l’investissement à l’Outre-mer ait été prolongée jusqu’en 2025 dans les collectivités d’autonomie fiscale à savoir le Pacifique et jusqu’en 2020 dans les DOM. Même si nous regrettons que cela n’a pas été élargie de la même manière dans les départements d’Outre-mer. Nous ne comprenons pas cette différence de traitement entre le Pacifique et les DOM. Pourquoi 2025 pour les uns et simplement 2020 pour les autres ? Parallèlement à cette prolongation, le gouvernement a pris la décision d’étendre à partir de 2018, le crédit d’impôt aux entreprises qui font 5 millions d’euros de chiffres d’affaires. Auparavant, ce dispositif était obligatoire pour les entreprises ou groupes faisant plus de 20 millions d’euros de chiffres d’affaires. Très clairement, l’Etat est en train de basculer de la défiscalisation vers le crédit d’impôt. Cela suscite beaucoup d’inquiétudes de notre part puisqu’aujourd’hui le crédit d’impôt ne marche pas très bien, essentiellement parce que nos entreprises ont du mal à se faire pré-financer. Tout le monde comprend qu’un crédit d’impôt par définition, c’est au moment où l’on paye l’impôt que l’on bénéficie du crédit , en année N+1. Pendant ce temps, il faut porter l’entreprise avant pour qu’elle ait un retour qui lui permette de faire face. C’est sur la question du pré-financement qui est la clé du fonctionnement de ce dispositif, qui fonctionne mal.

Quelles sont les causes qui expliquent que le crédit d’impôt fonctionne mal ?

À la différence de la défiscalisation où le financement de l’investissement est possible même en cas de difficulté de l’entreprise ou non-concours des banques, le crédit d’impôt suppose que vous ayez une bonne relation avec votre banque. Notre inquiétude concerne les entreprises en difficulté qui risquent de ne pas être accompagnées par leurs banques. D’où notre demande de faire jouer la BPI (Banque Publique d’Investissement) le rôle de pré-financeur. Pourquoi cela ne fonctionne pas ? Tout simplement parce que la BPI, extrêmement frileuse jusqu’à présent, renâclait à jouer son rôle de pré-financement et à prêter sans intérêt de l’argent aux entreprises pour pouvoir faire face à ce pré-financement. La Fedom a donc demandé au gouvernement des engagements précis sur l’évaluation du dispositif et des garanties sur le pré-financement.

Qu’en est-il de l’avancée sur le CICE, le crédit d’impôt compétitivité-emploi ?

Concernant l’aide à la compétitivité, nous nous félicitons que le CICE (Crédit d’impôt compétitivité-emploi) ait été en Outre-mer porté à 9% au lieu de 7,5% aujourd’hui, et voire 12% dans les secteurs les plus sensibles, exposés à la concurrence comme le tourisme mais dans le même temps nous déplorons la suppression de 80 millions d’euros d’exonération de charges, ce qui nous a fait dire que nous sommes dans un « tango budgétaire » où nous faisons un pas en avant, deux en arrière. Nous reconnaissons que nous sommes dans un contexte de contraintes budgétaires. Cependant, on aimerait être un peu plus entendu par le gouvernement. Tous les Outre-mer sont en situation de difficulté mais nous souhaitons que Bercy nous regarde « du bon côté de la lorgnette », avec un objectif de croissance et développement. Il faut que le gouvernement comprenne qu’investir en Outre-mer, ce n’est pas investir à fonds perdus.

Quel bilan faites-vous de l’activité économique en Outre-mer pour cette année 2015 ?

C’est une année, je dirais, contrastée. Il n’y a pas une grande tendance qui nous permettrait de dire que l’activité économique est repartie. On note toutefois que cela va un peu mieux pour certains indicateurs comme le chômage par exemple. Le chômage en Outre-mer ne croît pas dans les mêmes proportions qu’en Hexagone. On a également enregistré une année plutôt satisfaisante dans le secteur du tourisme même si nous sommes encore loin des objectifs fixés. Par contre, l’investissement reste encore peu dynamique. Le secteur du BTP est en difficulté du fait de la rareté de la commande publique. En dehors de la Réunion et la construction de la Nouvelle Route du littoral, on a peu de grands équipements structurants dans nos régions permettant de tirer l’industrie des travaux publics vers le haut.

Peut-on espérer  en 2016 une reprise d’activité du secteur du BTP avec l’accélération du plan « Logement Outre-mer » annoncé par George Pau-Langevin ?

Le maintien de la défiscalisation et du crédit d’impôt pour le logement social, l’accélération du plan Logement devraient permettre au secteur d’aller un peu mieux. Les collectivités locales souffrant de la réduction de dotation globale dans leur budget, réduisent à leur tour les demandes de travaux publics. Je rappelle que le Président de la République s’était engagé au moment de son élection sur un fonds exceptionnel d’investissement (FEI) qui devait permettre d’injecter 500 millions d’euros d’investissement sur 5 ans dans les Outre-mer. Aujourd’hui, nous en sommes très loin avec les 180 millions versés au lieu des 400 millions prévus depuis le lancement du dispositif, soit un manque de 250 à 280 millions d’euros qui ne se seront pas réalisés. Et ceci est un manque non négligeable.

Quels sont les prochains dossiers sur lequel se penchera la Fedom ?

L’année 2016 est la dernière année avant la grande échéance électorale qui détermine celui qui conduira la politique de la nation pour les cinq prochaines années. C’est naturellement pour nous une année qu’il faut qu’on mette à profit pour recueillir les propositions des entreprises pour le quinquennat à venir. Un document dans lequel seront retenues les attentes des entreprises, des milieux économiques mais aussi les engagements sur lesquels on souhaite qu’ils prennent position. L’autre dossier est celui de la LODEOM, la loi pour le développement économique en Outre-mer prévue pour novembre 2018. Aujourd’hui, nous sommes déjà sur tous nos territoires avec tous nos adhérents dans le débat afin de savoir ce que nous voulons y mettre dans cette LODEOM. Le débat s’articule sur la volonté d’instaurer ou non une zone franche globale Outre-mer renforcée par une fiscalité attractive et compétitive, sur le dossier de la formation, sur les efforts que nous pouvons fournir en faveur la transition énergétique, sur une meilleure orientation vers  la recherche et l’innovation dans nos économies. Il y a un certain nombre de dossiers qui seront d’actualité car nous rentrons dans une grande séquence électorale. Et que c’est le moment de dire ce que l’on veut et de demander aux politiques de prendre des engagements pour les Outre-mer !