Économie dans les Outre-mer : le temps des réformes structurelles

Économie dans les Outre-mer : le temps des réformes structurelles

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Lors de son allocution le dimanche 14 juin, le Président de la République a fixé comme priorité la reconstruction«d’une économie forte, écologique, souveraine et solidaire». Face à cet appel, l’Institut Gaston Monnerville appelle à concevoir les Outre-mer comme de « véritables laboratoires des politiques publiques de demain» mais aussi comme «des modèles d’économies solides, viables et vertueuses». Une tribune de Râmachandra Oviode-Siou, Président de l’Institut Gaston Monnerville qu’Outremers360 publie ci-dessous.

Dans ce climat social délétère, la crise sanitaire nous semble déjà bien loin. Ses conséquences économiques dévastatrices sont néanmoins bien devant nous et ne tarderont pas à se rappeler – violemment – à notre bon souvenir.

Pourtant, nous ferions fausse route en déconnectant les enjeux économiques, sociaux et même sociétaux. Soyons clairs dès à présent : s’attaquer aux problématiques économiques, tant dans les Outre-mer qu’à l’échelle nationale, est un préalable nécessaire pour régler les problématiques sociales et sociétales.

Ces territoires sont victimes d’une précarité révoltante – pour rappel, selon l’INSEE, les taux de pauvreté s’élevaient en 2014, à 32% en Martinique et 41,8% à La Réunion sur le fondement du seuil de pauvreté national (983€ par mois soit 60% du revenu médian hexagonal) et en 2011, à 19% en Guadeloupe et 44,3% en Guyane par rapport au niveau de vie médian local, qui est lui substantiellement inférieur à celui de l’Hexagone.

Ce constat est à rapprocher du nombre d’allocataires de minima sociaux dans les territoires ultramarins. Ainsi, dans son enquête Aides sociales de 2015, la Drees recensait 477 900 personnes couvertes par le RSA socle dans les DROM (hors Mayotte) en comptant les conjoints et les enfants à charge des allocataires. Cela représente 22% de la population des DROM. Si l’on considère l’ensemble des prestations sociales, une personne sur trois bénéficie d’un minimum social dans ces territoires.

Pour parfaire ce sinistre tableau, il faut aussi évoquer les taux de chômage des DROM qui font partie des 10% des régions européennes les plus touchées. Ces taux s’élèvent ainsi à 21% à La Réunion en 2019 ; en 2018, ils sont à 18% en Martinique, 19% en Guyane, 23% en Guadeloupe et 35% à Mayotte. Globalement, ce sont aussi les femmes et les plus jeunes qui sont les plus affectés par le sous-emploi.

À cela s’ajoute la problématique cruciale de la cherté de la vie dans ces territoires, que nous avons eu l’occasion d’aborder en début d’année. L’écart de niveau général des prix entre les Outre-mer et l’Hexagone varie ainsi entre +6,9% à Mayotte et 12,5% en Guadeloupe, il est encore plus déterminant s’agissant des produits alimentaires avec un écart de +38% en Martinique, +33% à Mayotte et +28% à La Réunion.

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Ainsi, force est de constater que la pandémie de Covid-19 ne nous a rien appris des problématiques de nos territoires, elle a essentiellement exacerbé des difficultés que nous peinions déjà à surmonter.

Le constat est implacable et les impacts économiques appelleront des mesures ambitieuses, audacieuses et surtout pragmatiques. Face à l’urgence économique qui entraînera inéluctablement une urgence sociale, l’heure n’est plus au dogmatisme, ni aux tabous. Nous devons considérer toutes les solutions qui vont dans le sens d’une part, de la reconstruction économique de nos territoires après les conséquences de la crise sanitaire ; mais aussi – et surtout – du développement à long terme de ces derniers.
Nous devons ainsi pouvoir mettre sur la table tous les sujets qui vont concourir à bâtir, sur des bases saines, un nouveau modèle économique pour nos territoires.

Le Président de la République a évoqué dans son allocution, sa volonté d’œuvrer à un changement dans l’organisation de l’État et dans l’action publique, actant que « tout ne doit pas être décidé si souvent à Paris ». Il a ainsi appelé de ses vœux, l’ouverture d’une « page nouvelle donnant des libertés et des responsabilités à ceux qui agissent au plus près de nos vies ». Ces propos présidentiels préparent le terrain à la discussion au Parlement du projet de loi Décentralisation, Différenciation et Déconcentration dit « PJL 3D ». Cela ouvre une opportunité inouïe dans les Outre-mer d’entamer la réflexion et la discussion sur la gouvernance territoriale – notamment sur
l’exercice de compétences élargies, sur l’organisation des collectivités, sur l’efficacité, la cohérence et l’intelligibilité de l’action publique des différentes collectivités territoriales.

De même, cela devrait être l’occasion de mener à bien la réflexion sur la sectorisation des économies ultramarines, sur la compétitivité et la rentabilité de nos entreprises, sur le coût du travail et la fiscalité. Une réflexion également nécessaire sur notre modèle agricole dans un objectif d’autonomie alimentaire avec un soutien à la production locale via les filières agricoles et d’élevage et une diversification adaptée aux spécificités locales.

Sur la cherté de la vie, la question des monopoles est en effet inévitable – avec un enjeu primordial de modifications des comportements des opérateurs économiques, dans des territoires dont l’étroitesse favorise le développement de structures peu concurrentielles. Toutefois, il faut aussi considérer l’ensemble des facteurs qui participent au renchérissement. À ce titre, le récent rapport de la FERDI sur l’octroi de mer constitue une base pertinente pour mener un débat dépassionné autour de cet impôt et des éventuels réformes à lui apporter.

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Se pose aussi la question du complément de rémunération des fonctionnaires dans les Outre-mer, plus communément appelé la « sur-rémunération » des fonctionnaires d’État. Initialement, ce dispositif visait notamment à compenser la cherté de la vie dans les Outre-mer et résoudre des problèmes d’attractivité. Dans un rapport de 2015, la Cour des comptes montre que la pertinence du dispositif, en l’état, peut être questionnée notamment car le taux de sur-rémunération est supérieur au différentiel de prix et que le manque d’attractivité, selon les territoires et les versants de la fonction publique, n’est plus flagrant. Ainsi, un rapport parlementaire d’information relatif à l’amélioration de la transparence des règles applicables aux pensions de retraite et aux
rémunérations outre-mer, déposé le 13 mars 2007, notait que « l’importance des sur-rémunérations dans la sphère publique pèse sur les prix et alimente l’inflation ». Une étude, datant de 2000, d’une unité mixte de recherche de l’université Paris Dauphine sur l’Effet des sur-rémunérations des agents des administrations sur l’économie de La Réunion concluait à la création d’une « économie de rente » responsable d’une hausse des prix.

Cette réflexion devra nécessairement s’insérer dans une perspective plus globale de penser une économie plus durable et vertueuse en usant de toutes les ressources à notre disposition. Le Président l’a par exemple rappelé lors de son allocution : grâce aux Outre-mer, la France est la deuxième puissance maritime mondiale. La semaine dernière encore, l’ONU a reconnu à la France la possibilité d’étendre son plateau continental de plus de 150 mille km 2 au large de La Réunion et des îles Saint-Paul et Amsterdam. Ce large domaine public maritime offre à la France des ressources naturelles incontestables mais surtout une grande responsabilité quant à la valorisation et
la protection de cette riche biodiversité et cela, elle le doit aux Outre-mer.

Les Outre-mer ont finalement vocation à intégrer ce « pacte productif » décliné par le Président dans son allocution. Nous devons trouver – et prendre – notre place dans cette « économie forte, écologique et souveraine ». Les Outre-mer grâce à leurs richesses mais aussi du fait des enjeux auxquels ils sont confrontés ne se contentent pas de parler au monde, ils sont universels. On a souvent parlé – parfois de façon péjorative – des Outre-mer comme de «laboratoires». Concevons-le à rebours et soyons de véritables laboratoires des politiques publiques de demain, des modèles d’économies solides, viables et vertueuses au bénéfice de l’Homme et dans le respect de l’environnement.

Râmachandra Oviode-Siou
Président de l’Institut Gaston Monnerville