Depuis ce lundi 28 mars, les Etats-membres des Nations Unies élaborent un accord international sur la gouvernance de la haute mer. Objectif affiché ; trouver un terrain d’entente sur la création d’aires marines protégées et partager équitablement les bénéfices des ressources énergétiques.
« Pendant longtemps, la haute mer a été préservée de toute activité humaine », explique Julien Rochette, coordinateur du programme océans à l’Iddri. « Mais avec les progrès technologiques, la distance à la côte ou la profondeur des fonds ne constituent plus des obstacles infranchissables ». En effet, la haute mer (ou les eaux internationales), n’étant la propriété d’aucun Etat, ne suscitait guère de convoitises. On croyait ces eaux vides, trop sombres, trop profondes, trop loin. Mais la curiosité des scientifiques réveillent les convoitises des acteurs du secteur maritime. L’épuisement des stocks de poissons facilement accessibles, l’augmentation de la puissance des moteurs et le développement des équipements de pêche ont eu pour conséquence d’étendre les zones de pêche bien au-delà des zones économiques exclusives (ZEE). Sur les 90 millions de tonnes de poissons pêchés chaque année, la haute mer en fournit désormais 10 millions. « Le problème, c’est que dans les grands fonds, la vie fonctionne au ralenti », confie Olivier Dufourneaud, directeur de la politique des océans à l’institut océanographique, fondation Albert 1er Prince de Monaco. « Les poissons y vivent cent ans mais se reproduisent très lentement ». pour exemple, le stock de grenadiers, une espèce de poisson des grands fonds jamais pêchée, a été épuisé en une dizaine d’années.
Mais les ressources alimentaires et les poissons des grands fonds ne sont pas les seules sources de convoitises que suscite la haute mer. Les métaux stratégiques pullulent dans les abysses des océans ; cuivre, cobalt et même or ou argent. Les progrès continuent liés à l’exploration des grands fonds ont permis de mieux connaître les ressources minérales qu’ils cachent. Des nodules polymétalliques, de grosses boules de pétanque qui reposent sur les plaines abyssales, ont été trouvées. Celles-ci contiennent à la fois cuivre, nickel et manganèse. « Rien que sur la zone de Clipperton dans le Pacifique, les quantités estimées de ces nodules représentent vingt ans de consommation mondiale actuelle de ces trois éléments », révèle Jean-Marc Daniel, directeur du département ressources et écosystèmes de fond de mer à l’Ifremer.
Bien d’autres gisements de cuivre ou de zinc ont été détectés sur les dorsales océaniques ; de grandes chaînes de montagnes océaniques où de fortes activités volcaniques se concentrent en certains points. « À ces endroits se créent des amas enrichis en métaux », explique Jean-Marc Daniel. Même si l’on manque de précision, on estime que 10 ans de consommation mondiale de cuivre pourrait reposer en ces lieux. Sur la surface des océans, d’autres accumulations de minerais se sont formées, appelés « encroutements » et agrégeant oxyde de fer, manganèse et cobalt. Pour l’heure, l’exploitation de ces minerais semble peu réalisable. Seuls 26 permis d’exploration ont été accordés par l’autorité internationale des fonds marins au bénéfice d’organisme scientifiques ou de recherches comme l’Ifremer. Mais entre l’exploration et l’exploitation, la route est longue, « notamment parce que de nombreuses questions restent encore en suspens sur les écosystèmes des grands fonds, leur fonctionnement et leur capacité à résister à une exploitation », explique Sébastien Ybert, coordinateur des ressources minérales à l’Ifremer.
« Les conditions économiques ne sont pas non plus réunies, en particulier pour les nodules polymétalliques qui sont disséminés sur de trop grandes surfaces ». Pourtant, certaines entreprises travaillent déjà sur la création d’équipements capables de puiser ces minerais à 3000 mètres de profondeur. « Et qui sait, une fois les ressources terrestres épuisées, l’exploitation des grands fonds deviendra peut-être un jour rentable », selon le magazine Humanité et Biodiversité. Les fonds marins sont également présentés comme un réservoir inépuisable de ressources génétiques. L’inventaire réalisé en 2010 par l’Ifremer et le Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnole, démontre que le nombre de brevets déposés sur des organismes marins augmente de 12% par an, avec des applications dans les domaines de la cosmétique, d ela santé ou de l’agro-alimentaire.
Selon Sophie Arnaud-Haond, co-auteur de cet inventaire et chercheuse à l’Ifremer, il s’agit d’une tendance qui se maintient et qui tend même à s’accélérer. Les organismes marins font effectivement preuve d’ingéniosité lorsqu’il s’agit de survivre ou de s’adapter. Ils sont une source inépuisable d’étonnement et d’applications à destination du progrès scientifique et des être humains. « Les éponges fixées sur des récifs coralliens doivent livrer une guerre chimique sans merci puisqu’elles ne peuvent ni courir ni se cacher de leurs prédateurs », raconte ainsi Olivier Dufourneaud, de l’institut océanographique. « On y a ainsi trouvé des molécules utilisées dans des traitements anti-cancéreux ». Autre redoutable arme contre le cancer ; cette bactérie qui protège les larves de bryozoaires, de petits organismes marins vivant en colonie. Et contre les marées noires, d’autres bactéries capables de dégrader des hydrocarbures pourraient être d’une aide utile en cas de pollution industrielle maritime. Et l’avenir de la découverte de nouvelles molécules et bactérie se trouve en haute mer.
« Plus on descend et plus on se rend compte de la diversité de la vie des grandes profondeurs », affirme Bruno David, auteur et président du muséum d’Histoire naturelle. En effet, les fonds marins s’avèrent être une source de vie biologique d’une richesse méconnue. En 1977, deux chercheurs américains ont découvert à 2 500 mètres de profondeur des sources dites hydrothermales qui abritent une vie foisonnante. Des vers, des moules et autres crustacés prolifèrent et les deux chercheurs ont baptisé ces lieux les oasis des grands fonds. « Même dans les plaines abyssales, la vie est plus riche et diversifiée que nous ne le pensions », poursuit Bruno David. « Les concombres de mer, poissons ou crabes s’y nourrissent du plancton qui meurt en surface et qui tombe vers les profondeurs, provoquant un phénomène surnommé joliment « la neige abyssale ».
Le potentiel génétique des grandes profondeurs s’annonce prometteur. Mais les ressources génétiques, minérales et alimentaires des grandes profondeurs peuvent être menacées par l’intérêt grandissant des sociétés humaines. « Il faut protéger la biodiversité marine, certaines espèces menacées vivent en haute mer, il y a aussi des coraux. Si on a besoin d’un cadre réglementaire global, c’est également parce que l’intérêt grandissant que l’on observe pour la haute mer pourrait entraîner des problèmes entre les différents acteurs. Il faut que l’on coordonne tout cela pour faire en sorte que ce soit bien géré et que la pérennité des ressources soit assurée », a déclaré Elizabeth Wilson, en charge du secteur politique marine internationale au sein de l’ONG américaine Pew. Véritable nécessité, la création d’un cadre juridique contraignant veut permettre de protéger ce bien commun mais également de susciter de nouvelles initiatives.
Le comité préparatoire s’est réunit hier pour deux semaines de travaux. Trois autres réunions seront organisées d’ici fin 2017 et l’apogée de ces travaux débouchera certainement sur l’organisation d’une conférence intergouvernementale afin de négocier un éventuel traité. La France y tiendra certainement une place privilégiée. Grâce à ses Outre-mer et notamment à la Polynésie française, celle-ci possède la seconde zone économique exclusive au monde avec 11 035 000 km2, soit 8% de la surface totale de toutes les ZEE.