Société et Religion. La conjugaison du religieux à La Réunion : Le Renouveau dans l’Église diocésaine (Épisode 5 sur 8)

Société et Religion. La conjugaison du religieux à La Réunion : Le Renouveau dans l’Église diocésaine (Épisode 5 sur 8)

L’Église du village l’Îlet à Mafate ©Réunion.fr 

À l’approche de la visite du Pape François dans l’Océan Indien, la rédaction d’Outremers360 vous propose chaque jour, de ce lundi 26 août au lundi 2 septembre, une immersion inédite dans « La conjugaison du religieux à La Réunion », avec le père Stéphane Nicaise, jésuite et anthropologue. 

Ce jeudi, Stéphane Nicaise a abordé Le Temps des Renouveaux en commençant par la naissance du terme « tamoul » en opposition au terme « malbar ». Aujourd’hui, le prêtre anthropologue s’intéresse au « Renouveau dans l’Église diocésaine » qui, « à la différence du « renouveau tamoul » », « s’inscrit dans le courant mondial du « Renouveau charismatique » ». 

A la différence du « renouveau tamoul », le « Renouveau » dans l’Église diocésaine n’est pas une création locale. Il s’inscrit dans le courant mondial du « Renouveau charismatique ». Issu du protestantisme américain, ce courant de réveil et de conversion a gagné l’Église catholique dans les années 1960. Sœur Marie-Lise Corson, religieuse de la congrégation des Franciscaines Missionnaires de Marie, l’introduit à La Réunion au milieu des années 70 (Nicaise, 2000).

Le diocèse vient d’être confié au premier évêque réunionnais. Mgr. Gilbert Aubry, né en 1942, prêtre depuis cinq ans, est rédacteur en chef de l’hebdomadaire catholique Croix Sud. Sa nomination épiscopale arrive à un moment de fortes tensions dans la société réunionnaise et dans l’Église diocésaine. A son assemblée de janvier 1971, le clergé affiche sa division. Mgr. Guibert, spiritain, las de créer les conditions d’une réconciliation présente sa démission acceptée par le Pape en février 1975. Les différents courants au sein du clergé sont alors amenés à s’exprimer. Deux registres dominent, celui de la crise sociale qui touche l’ensemble de la société, et celui de la crise morale et religieuse.

A son accession au siège épiscopal le 2 mai 1976, le nouvel évêque est donc à la croisée de deux tendances dans le diocèse. La plus sociale est en tension entre la voie des mouvements d’Action Catholique et celle de l’engagement politique. Mgr Aubry avance sur un chemin de crête, miné par l’opposition frontale entre l’ancien Premier ministre du Général de Gaulle, Michel Debré, réélu député de la 1ère circonscription de La Réunion depuis 1963, et le Parti Communisme Réunionnais animé par Paul Vergès. Pris régulièrement en tenaille, le jeune évêque doit se démarquer de tous. Avec l’élection du socialiste François Mitterrand à la présidence de la République française, en mai 1981, le débat départementalistes/ autonomistes tombe au profit des revendications d’égalité avec la métropole. Cependant, le développement de la société de consommation ne résout pas la crise sociale. Sous un calme apparent, beaucoup continuent à privilégier les interprétations et les recours d’ordre spirituel. C’est par cette porte que le Renouveau charismatique fait une entrée en force dans l’Église diocésaine.

Pour en encadrer le développement, Mgr Aubry publie, en 1986, Jalons pour les groupes du Renouveau :

« Dès le début j’ai tenu à soutenir ces groupes, en leur posant certaines conditions vu le contexte psychosociologique du diocèse. En effet, les Réunionnais sont très friands de merveilleux et de gestes spectaculaires. Dans un tel contexte, on aurait pu regarder les charismatiques comme des super-chrétiens aspirant à parler en langues ou à opérer des guérisons miraculeuses ».

Monseigneur Gilbert Aubry, personnage central du Renouveau de l'Église diocésaine à La Réunion ©Zinfos974

Monseigneur Gilbert Aubry, personnage central du Renouveau de l’Église diocésaine à La Réunion ©Zinfos974

A la différence de l’implantation du Renouveau charismatique en métropole en communautés autonomes (« L’Emmanuel », « Le Chemin neuf », « Les Béatitudes » …), l’évêque crée à La Réunion « Le Renouveau diocésain » qu’il établit sous sa coupe. Les communautés de métropole viennent s’installer plus tard dans le diocèse, sans faire concurrence au Renouveau diocésain majoritaire. L’évêque tient compte ainsi de la mentalité « magico-religieuse » de beaucoup de fidèles rencontrés au cours de ses premières visites pastorales dans les paroisses du diocèse. Il mesure le « télescopage de la modernité » avec l’univers souterrain de la créolité. Il en perçoit l’onde de choc au plus profond de chacun : « Il y a les cultes ancestraux qui sont là. Tout ça est porté dans les personnes. Et l’évolution de notre histoire est beaucoup plus accélérée qu’ailleurs… Mais les racines anthropologiques sont exacerbées, et au moment où les repères sautent, les racines reviennent de manière plus forte et plus sauvage. » (Nicaise, 2000 : 79).

L’action du Renouveau diocésain est à rapprocher du ministère du père Franck Dijoux, exorciste du diocèse décédé en 1988, et des pratiques d’un grand nombre de personnes et de groupes qui s’autorisent, avec plus ou moins de soumission à l’autorité épiscopale, à effectuer des prières de compassion, de guérison ou de délivrance. Quel que soit le vocable privilégié, la prière pratiquée est assimilée par les fidèles au registre de l’exorcisme, c’est-à-dire du combat contre les esprits maléfiques jugés responsables des malheurs qui frappent au quotidien les personnes et les familles atteintes dans leur santé, leur fécondité, leur formation, leur emploi, leur entente avec leur environnement. La profusion de billets de demande déposés dans les lieux de culte et de pèlerinage atteste la confiance sans limite faite aux puissances surnaturelles.

L’implantation à La Réunion du pentecôtisme d’origine protestante émarge au même registre. En juin 1966, le pasteur Aimé Cizeron arrive comme missionnaire mandaté par les Assemblées de Dieu de métropole. L’île connaît déjà un courant issu du protestantisme. Il s’agit de l’Église Adventiste du 7e jour arrivée en 1936 et dont le développement reste limité. La mission du pasteur Cizeron remporte au contraire l’adhésion de nombreux Réunionnais. Sa réussite tient à la connexion que la nouvelle église établit d’entrée avec les représentations et les attentes de la population réunionnaise, et qui se traduit par la désignation des Assemblées de Dieu locales en « Missions Salut et Guérison ». Bernard Boutter résume l’analyse qui a présidé à ce choix :

« Pour Aimé Cizeron, comme pour ceux qui l’envoient, La Réunion est alors une terre abandonnée entièrement à Satan. Les Réunionnais sont des « âmes perdues » auxquelles il faut faire découvrir le salut par la prédication, et pour cela, il faut avant tout les arracher aux mains des démons qui les rendent malades, infirmes, gâchent leurs vies par les « vices », l’alcoolisme, etc. » (Boutter, 2002 : 16).

Stéphane Nicaise.

Rendez-vous demain pour la synthèse des épisodes « les années 60 », « les années 80 », « Le temps des Renouveau » et le « Renouveau de l’Église diocésaine ».