Après deux semaines de grève générale, Mayotte est aujourd’hui au bord de l’insurrection.. Malgré ces tensions, l’intersyndicale mahoraise appelle à « maintenir la pression ». Retour sur ce conflit en plusieurs points.
Barrages filtrants, automobilistes violentés, administrations fermées. À plus de 8000 km de Paris, Mayotte tourne au ralenti depuis une quinzaine de jours. Suite à l’appel de plusieurs syndicats, le pays a débuté depuis le 30 mars dernier une grève générale sur le thème de l’égalité réelle. Face au durcissement du conflit en début de semaine et l’éclatement d’actes de violences urbaines, le problème de l’insécurité et de la délinquance juvénile vient se greffer au mouvement. Retour sur les différentes étapes de ce conflit qui perdure l’île.
- Un contexte : « une situation explosive » dans le plus jeune département de France
Depuis mars 2011, Mayotte est devenue le 101ème département français. Un statut qui a soulevé beaucoup d’espoirs au sein de la population. Mais l’île continue de connaître des difficultés structurelles, soulevant ainsi l’exaspération et la déception des habitants. Avec près de 220.000 habitants et un taux de chômage de 17,6%, Mayotte enregistre un PIB par habitant (6.575 euros) cinq fois moins élevé qu’en France hexagonale. La moitié de la population vivait, elle avec moins de 384 euros par mois en 2011, selon la dernière étude de l’INSEE. Soit 84% de personnes (contre 16% dans l’Hexagone) vivant sous le seuil de pauvreté. Les mahorais sont encore aux 39 heures, l’intérim – souvent réclamé par les entrepreneurs – n’est pas autorisé. Beaucoup de mesures d’aides sociales sont également revues à la baisse. Le RSA par exemple : fixé à 524,68 euros en métropole, il ne s’élève qu’à 262,34 euros sur l’île. Impossible aussi de bénéficier de l’aide pour le logement ou du congé parental. À cette situation économique fragile, la question de l’immigration clandestine et les différents cas de violence et de délinquance qu’elle engendre, crée des tensions supplémentaires. « Je connais pas une seule personne à Mayotte qui ne s’est pas faite agresser » nous décrit cet observateur qui travaille avec le territoire mahorais depuis quelque années .« Même si le terme de situation explosive est éxagéré dans les médias, il a tout son sens aujourd’hui à Mayotte », ajoute-t-il. Un avis qu’a partagé l’ex-député UMP Mansour Kamardine dans les colonnes du journal Le Figaro, le 19 janvier dernier en déclarant : « Mayotte est au bord de la guerre civile« .
- Une revendication: obtenir l’égalité réelle avec l’Hexagone
Cette contestation sociale ne date pas d’hier. Dès novembre dernier, un mouvement pour l’égalité sociale avait eu lieu mais rapidement stoppé par la mise en place de l’état d’urgence suite aux attentats de Paris. Trois mois plus tard, plusieurs syndicats s’allient et réclament l’alignement des allocations familiales et des autres prestations sociales au même niveau qu’en Hexagone, l’application du code du Travail national, ainsi que des moyens de lutte contre l’insécurité et la construction d’écoles. Un mouvement qui, après neuf jours de mobilisation, avait reçu le soutien de certains élus mahorais à l’instar du député Boinali Saïd. Une situation qui fait écho au mouvement de grève générale contre « la vie chère » qu’a connu ce jeune département depuis deux mois en 2011. Le quotidien est de plus en plus difficile : les activités économiques fonctionnent partiellement, les transports scolaires et les cours ne sont pas assurées, et les rayons des supermarchés se vident peu à peu.
Jumbo désert #Mayotte ville fantôme pic.twitter.com/6DabBTbXIq
— Abby Said Adinani (@Bee_Mondroha) 12 avril 2016
#Savemayotte il y a plus rien merde pic.twitter.com/kWvVuH9n3v
— JuicyGibs (@GibssDini) 12 avril 2016
- Un climat : la montée des violences et des inquiétudes de la population
Depuis lundi, la tension est montée d’un cran marquant ainsi une étape dans ce mouvement social. Des jeunes cagoulés auraient caillassé des habitations, vandalisé des voitures à l’aide de barres de fer et racketté des automobilistes. Un climat tendu qui pousse la population à agir selon ses moyens. C’est le cas des habitants de la commune de M’tsapéré qui ont décidé de créer une milice. Sa mission,veiller à la tranquillité du site de M’tsapéré en appliquant notamment un couvre-feu dès 20 heures pour les mineurs. Par ailleurs, le collectif a décidé de déposer une plainte auprès du procureur de la république contre Seymour Morsy le préfet de Mayotte, pour non-assistance à personne en danger. Une initiative qui s’appuie sur l’exemple des Mamas Vigilantes de la commune de Chiconi qui ont mis en place ce dispositif. La préfecture de Mayotte a recensé 85 véhicules saccagés et fait état d’un blessé. Sur cette question de l’insécurité, le grand Cadi de Mayotte a également réagi dans un communiqué. « Le désemparement généralisé qui touche les autorités de décision dans notre île est un signe parlant de la sous-estimation de leur part du phénomène grandissant de l’insécurité attisée par les attaques d’une jeunesse mineure exaspérée par un abandon flagrant de l’éducation par certains parents et d’un manque criard des moyens, de structures adaptées et d’absence de politique publique adaptée. », at-il ajouté.
- Une interrogation : quelles solutions ?
Comme solutions immédiates pour enrayer cette dérive sécuritaire, la Ministre des Outre-mer a annoncé ce mercredi après midi, l’envoi de renforts dans le département. Un escadron de 16 gendarmes en provenance de la Réunion va être déployé sur le territoire. Pour le député Ibrahim Aboucar interrogé par Outremers 360, « il faut renouer le dialogue au plus vite, le mouvement doit être l’occasion pour qu’il y ait une clarification entre les partenaires syndicaux et le gouvernement sur les chantiers en cours et sur lesquels des négociations sont engagées depuis un moment. » Mohamed Nasser El Mamouni, le grand cadi de Mayotte appelle les différents représentants de l’Etat (Préfet, au Président du Département et au Président des Maires) à organiser rapidement des assises sur la sécurité dans le département. Sur le plan social, les syndicats mahorais doivent rencontrer vendredi les directeurs de cabinet des ministères concernés. L’envoi d’un émissaire du Ministère du Travail a été également annoncé par George Pau-Langevin dès la semaine prochaine. Avant de rencontrer à Paris le gouvernement, l’intersyndicale a appelé ce mercredi soir dans un communiqué à « maintenir la pression » et les barrages encore érigés sur l’île.