©Christophe Cozette / La Dépêche de Tahiti
Dernière rencontre de l’année 2016, l’auteure tahitienne Titaua Peu a publié en octobre dernier son deuxième roman, Pina, 13 ans après Mutisme. Véritable succès, le roman marque la rentrée littéraire 2016 en Polynésie française et fait de Titaua Peu une valeur sûre de la littérature du Pacifique. Dans une interview exclusive où le tutoiement est de mise, elle nous livre ses sources d’inspiration, sa vision personnelle de la Polynésie, son amour pour les lettres et la philosophie, né lors de ses études à Paris, et sa révolte face aux inégalités que subit la Polynésie invisible.
Nous la présentions déjà dans notre top 10 des auteurs ultramarins à offrir pour Noël et notions que son dernier roman avait, parmi tant d’autres, marqué l’année littéraire 2016. Aujourd’hui, Outremers360 vous propose une rencontre exclusive avec l’auteure tahitienne Titaua Peu, une plume appréciée en Polynésie qui puise son inspiration dans le quotidien difficile des quartiers polynésiens.
Peux-tu nous raconter ton parcours personnel et professionnel ? Qu’est-ce qui t’as donné envie d’écrire et de devenir ainsi auteure ?
C’est en 2001 que je suis revenue de Paris où j’ai suivi des études en Philosophie. J’ai très tôt eu envie et besoin d’écrire. Paris a été une ville qui m’a beaucoup inspirée. L’éloignement, le besoin de retrouver en mémoire les odeurs, les sons de mon pays m’ont presque naturellement aidé à écrire et puis j’avais en moi une certaine révolte (je l’ai toujours d’ailleurs…). On vivait là le faste, le luxe mais aussi la censure des années Flosse, du GIP, des pratiques illégales. Il fallait que ça cesse. Mutismes était un cri de révolte pour tous les laissés pour compte des années CEP…
D’ailleurs, c’est en 2003 tu sors ce premier roman, Mutismes, motivé par un changement visible de ton pays, la Polynésie. Quels sont ces changements qui t’ont poussée à sortir ce premier roman choc ?
Plus que les changements, se sont plutôt les inégalités de plus en plus profondes qui se dessinaient dans notre société et aussi (évidemment) les « emprunts » et les oublis. Emprunter ce qui vient d’ailleurs et oublier nos propres richesses, sous toutes leurs formes.
13 ans plus tard, tu reviens avec fracas avec un nouveau roman, Pina. Sans dévoiler toute l’histoire, que raconte ce nouveau roman ? Est-il inspiré de faits réels ?
Pina est l’histoire d’une petite fille et de sa famille, dans un Tahiti « des profondeurs », un Tahiti « roots » où la misère sous toutes ses formes se dispute à l’amour et à l’engagement politique. C’est l’histoire d’une famille dont les manques et les « tares » viennent de très loin et qui a loupé tous ses rendez-vous avec l’amour, avec les mots et qui pourtant reste debout, les yeux et le cœur plein de rêves. Certains épisodes du roman, certains personnages sont inspirés de faits réels, oui.
Cette famille, celle de Pina, quelles sont ses particularités que l’on retrouve dans toutes les familles polynésiennes ?
Essentiellement la difficulté de dire l’amour et la « croyance » en une espèce de fatalité.
Dans Pina, tu mets en scène « deux mondes parallèles qui se côtoient sans se voir ». Quels sont ces deux mondes ? Comment sont-ils représentés dans la Polynésie ?
Deux ou trois mondes. Sans faire de manichéisme, sans disséquer les frontières physiques… Il s’agit d’une Polynésie prospère, bien dans sa peau essentiellement métissée voire blanche, il s’agit d’une Polynésie qu’on dit « moderne et ancrée dans sa culture » (les poncifs…). Et puis il y a Pina, Junior, Auguste, Ma… eux tous. Les sans grades, les invisibles. Ceux qui, vers le 5 du mois n’ont déjà plus rien sur leur compte. Il y a cette Polynésie des « quartiers » comme on dit. Celle que vous ne verrez jamais au Heiva i Tahiti, ni sur les planches du Fare Tauhiti Nui, ou alors qui y seront pour vendre des mape (sorte de châtaignes, ndlr)… Ce monde-là, cette jeunesse-là fait surtout dans la contre-culture, dans « l’interlangue ». Ce monde-là est mal vu parce qu’il ne répond pas aux « canons » du politiquement et culturellement correct. Cette « Polynésie » là ne parle bien ni le français, ni le reo ma’ohi. Elle n’est pas médiatisée, pas médiatique. Ne passe pas bien et pourtant elle fait encore le liant d’un pays « authentique ».
« Un livre coup de poing, un grand cri de rage trempé dans la sueur, le sang, le sperme et les larmes », décrit ton éditeur. On sent que tu ne ménage pas les représentations, les images « paradisiaques » qui entourent la Polynésie. Est-ce une nécessité selon toi de décrire la réalité, quitte à secouer et avoir quelques reproches ?
Ce n’est ni une nécessité, ni un besoin. Après tout Pina aurait pu ne jamais sortir. J’aurais pu supprimer mon « tapuscrit » comme j’en ai supprimé souvent. Et pourtant je me suis attachée à ces personnages. Pourquoi ne pas les dévoiler ? Ils sont beaux (sans me vanter, rires…) ! Pourquoi, une fois encore c’est trop souvent le cas « chez nous », pourquoi se brimer ? Je veux écrire sur la violence, l’amour, la politique, le sexe… Je n’ai de compte à rendre à personne. Par contre je me fais souvent plaisir (surtout quand je force le trait, surtout quand j’ai des messages politiques à faire passer). Je ne me retiens plus. Je suis libre, à présent. On aime ou on n’aime pas. On lit ou on ne le lit pas. Peu m’importe. Cependant, pour tous ces témoignages de reconnaissance, voire de gratitude, à la lecture de Pina, je suis soudain heureuse et je suis confortée dans l’idée que ma plume est « appréciée » jusque dans les « quartiers » qui restent ma source d’inspiration.
Selon toi, quels sont les espoirs et les désespoirs de la Polynésie, ce qui lui permettra d’avancer et ce qui l’empêche de se voir comme elle est ?
Sa jeunesse est son atout. J’en suis certaine. Par contre il ne faut pas que cette jeunesse se travestisse. Qu’elle reste authentique, avec ses forces et ses faiblesses. Ce qui l’empêche de se voir comme elle est ? L’establishment ! ça, ça nous pourrira !
Quel regard portes tu sur la littérature polynésienne ? Est-elle assez mise en avant ?
Je suis de plus en plus confiante. Nous avons notre propre souffle, notre propre caractère. Nous sommes une littérature parmi les autres, une littérature à part entière.
Quels auteurs polynésiens nous recommanderais-tu ?
Pour qui veut connaitre ce pays, il y a évidemment Chantal Spitz. Il y a aussi les œuvres qui ont fait « fondement ». Teuira Henri, Marau Taaroa, les écrits des « découvreurs »… Rien que pour avoir une « vision » de ce qui se disait de nous ». Il y a surtout les poètes modernes qui continuent de nous inspirer : Angelo, Duro a Raapoto, Henri Hiro.. Des classiques !
Par contre, et je le dis souvent à mes enfants ou aux jeunes qui me demandent conseil : il faut lire l’ailleurs. S’inspirer des autres. Personnellement la littérature noire américaine m’a toujours inspirée, mais aussi les écrivains français du XIXème. J’aime aussi les polars scandinaves. En fait je lis tout et n’importe quoi, c’est aussi mon défaut. La littérature avec un grand L n’a pas de nationalité. C’est comme l’amour. J’ai toujours refusé d’être cantonnée à un certain type de littérature et ça s’en ressent dans mon écriture et c’est tout aussi bien, non ?