Histoire d’Outremer 2/2 – Interview du Sénateur Antoine Karam : « Il y a encore des pans de l’histoire de la Seconde guerre mondiale qui sortent lentement de l’ombre »

Histoire d’Outremer 2/2 – Interview du Sénateur Antoine Karam : « Il y a encore des pans de l’histoire de la Seconde guerre mondiale qui sortent lentement de l’ombre »

Après le  franc succès de la première édition, la série Histoire d’Outre-mer initiée par le groupe Suez revient pour une nouvelle saison. Cette initiative originale du groupe Suez est née d’un constat : l’Histoire de nos outre-mer est encore peu connue alors qu’elle est riche d’engagements extraordinaires mais également de périodes plus douloureuses.
Après le Bataillon du Pacifique, Félix Perina en Martinique et les commandos SAS Calédoniens, nous poursuivons avec l’interview du sénateur de Guyane Antoine Karam sur l’épopée « des pilotes guyanais de la Seconde Guerre Mondiale ». Historien, il souligne l’importance de transmettre ces pans d’histoire méconnus aux jeunes générations.

M. Karam, vous êtes historien et sénateur de Guyane. Est-il important de faire connaître et de transmettre l’histoire ?

« Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».
Si ce proverbe d’inspiration amérindienne repris par Antoine de St-Exupéry est souvent associé au mouvement écologique, il révèle aussi à mon sens l’objet premier de l’Histoire : être tourné vers le futur. Nos ancêtres nous ont légué une histoire riche et passionnante à conserver et à faire perdurer. Pour cette raison, la transmettre à la jeunesse est fondamentale car eux seuls sauront la faire vivre et prospérer.
Transmettre la mémoire collective aux jeunes n’est pas toujours évident. Lorsqu’on leur parle d’un événement lointain comme une guerre, il leur est parfois difficile de se représenter la réalité des conflits. Les histoires de vies comme celle d’Auguste-Robert Plenet sont donc des biens précieux en ce qu’elles témoignent de réalités.

Auguste-Robert Plenet est le dernier survivant de l’épopée des « pilotes guyanais de la Seconde guerre mondiale ». Quel est le message que vous retenez de cette épopée ?

Il y a quelques jours encore, je m’entretenais avec le fils d’Auguste-Robert Plenet, Serge Plenet, qui m’a raconté avec émotion l’aventure formidable de son père.
L’épopée d’Auguste-Robert Plenet et des membres de la section impériale est en effet extraordinaire. Le courage de ces hommes animés d’une volonté pugnace de servir la France et d’accomplir un rêve qui paraissait pourtant fou: devenir les premiers pilotes guyanais.
Il faut imaginer un instant la folie que constituait ce départ pour leurs proches qui, ironisant volontiers sur leurs chances, les qualifiaient d’aviateurs rampants ou de laveurs d’avions.
C’est donc en bravant obstacles et idées reçues que ces jeunes de 20 ans ont tout abandonné pour partir se former et accomplir collectivement leur rêve. Il y a en cela une grande symbolique.
Je crois que dans un monde où l’accomplissement de soi est souvent perçu comme le produit d’une réussite individuelle, de l’atteinte d’un objectif personnel, cette épopée nous rappelle que le plus important n’est souvent pas d’atteindre un but précis, mais le chemin et les obstacles surmontés pour y parvenir.

« La solidarité, le courage, la détermination et la foi en ses rêves : voilà les valeurs que l’épopée des aviateurs guyanais doit inspirer à notre jeunesse »

Il est encore des pans de l’histoire de la Seconde guerre mondiale qui sortent lentement de l’ombre. C’est le cas de l’aventure des pilotes guyanais, des dissidents antillais et guyanais et plus largement de l’histoire de l’engagement des outre-mer.

A la sortie de la guerre, la dissidence n’a pas été reconnue à sa juste valeur. D’une part, les dirigeants d’alors n’ont pas voulu reconnaître que l’opposition au Régime de Vichy était de fait un acte de Résistance. Et d’autre part, ces dissidents qui s’étaient pourtant engagés par attachement aux valeurs républicaines ont vite été soupçonnés de volontés indépendantistes. Les anciens combattants d’outre-mer ont finalement dû attendre 2011 pour être invités à la commémoration du 18-Juin au Mont-Valérien et aux Invalides, et ainsi reconnus.

Je regrette que l’engagement de nos ainés soient parfois mesuré au nombre de pertes et de sacrifices. L’épopée des pilotes guyanais, qui ne sont finalement pas partis au combat en est une parfaite illustration. Leur engagement ne peut se mesurer au nombre de munitions tirées, mais à l’abnégation que gamins venus de l’autre côté de l’Atlantique ont déployée pour servir la France et ses idées. Si nous souhaitons valoriser notre histoire, nous devons mettre en lumière ces histoires de vie et les valeurs qu’elles font vivre avec elles.

Les outre-mer donnent à la France son universalité

De l’Amérique du sud jusqu’au Pacifique en passant par l’océan indien, Il n’y as pas un outre-mer mais des outre-mer qui donnent à la France toute son universalité.
Les mémoires collectives s’y enracinent dans le terreau d’histoires douloureusement marquées par le système colonial, la traite et l’esclavage. Il résulte toutefois de la vitalité de ces territoires et de leur démographie des mutations étonnantes qui, malgré des inégalités patentes, insufflent une énergie singulière à nos sociétés quand il s’agit de penser un savoir-vivre ensemble.
Auguste-Robert Plenet et ses compagnons en sont une image, les outre-mer tirent leur force de ces femmes et de ces hommes désireux de construire un avenir commun dans lequel rien n’est impossible.

Propos recueillis par Titania Redon

Antoine Karam, né le 21 février 1950 à Cayenne, est un homme politique français.

Enseignant en histoire, il a notamment exercé au collège Paul Kapel à Cayenne. 

Antoine Karam fut conseiller municipal de Cayenne (1977-2002), conseiller régional de la Guyane (1983-86) dont il prendra ensuite la Présidence pendant 18 ans (1992-2010). Il fut également conseiller général de la Guyane (canton de Cayenne-nord-est) de 1985 à 2015.

Il est par ailleurs à la tête de la Ligue d’athlétisme de 1977 à 1990 : sous sa présidence, le premier mini-marathon Rochambeau/Cayenne (coupe Henri Bonheur à cette époque) voit le jour, ainsi que les premiers « Jeux de Guyane» (1er mai 1979).

Le 18 septembre 2014, Antoine Karam est élu au second tour sénateur de Guyane. Il siège au Sénat au sein groupe de la République en Marche en tant qu’apparenté. Il y est vice-président de la commission de la Culture, de l’Education et de la communication, membre des délégations aux outre-mer et aux entreprises ainsi que président délégué du groupe d’amitié France-Brésil pour le Guyana. 

Appel à témoignages 

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