Reportage. Mayotte : Immersion au sein d’une patrouille de la Police aux Frontières en mer

© Mayotte Hebdo

Reportage. Mayotte : Immersion au sein d’une patrouille de la Police aux Frontières en mer

Cette semaine, notre partenaire France Mayotte Matin s’est rendu en mer aux côtés de la Police aux Frontières. L’occasion de suivre le quotidien des hommes et des femmes qui luttent contre l’immigration clandestine au cours d’une nuit de patrouille, entre furtivité, attente et moments intenses.

 

Il est environ 21h lorsque l’équipage de nuit s’embarque à bord de l’intercepteur nommé « Shivuli », l’ombre en shimaoré. Un nom adapté, puisque c’est dans une totale discrétion que le navire, après avoir fendu les flots jusqu’au nord de l’île, se positionne non loin de l’îlot Mtsamboro. La discrétion est de mise même si le radar du poste de commandement n’a détecté aucun signal à 15 miles nautique à la ronde.
Mais la détection peut faillir, il s’agit alors de garder l’œil ouvert et de se terrer dans l’obscurité, toutes lumières éteintes. Mais les hommes de la PAF ne sont pas aveugles pour autant : à bord, le radar embarqué aidera à la détection, assisté par les jumelles thermiques qui balayent l’horizon.

C’est alors qu’au loin, l’on perçoit une lumière vacillante. Probablement une barque de pêcheurs, mais il s’agit d’en avoir le cœur net. Le navire met ainsi plein gaz en direction de la lumière, préparé à toutes les éventualités.
Il s’agit bel et bien d’une barque de pêcheurs venus de Mtsapere. Un rapide contrôle, et l’équipe de policiers repart, en direction cette fois de l’arrière de l’îlot pour y attacher le navire à une bouée. Un endroit stratégique qui permet de ne pas être vu, tout en offrant de rallier l’Ouest et l’Est à égale distance. C’est alors que débute le moment le plus long de cette nuit de patrouille : l’attente.

Lorsqu’aucune détection n’est à signaler, le navire de la PAF reste en attente, afin d’être disponible en cas d’appel. Les hommes prennent alors leur mal en patience, se reposant tant bien que mal sur le navire frappé par les vagues. Heureusement pour eux, le mal de mer ne frappait ce jour-là que les journalistes, résolus à ce demi sommeil médiocre dans l’attente d’une alerte. C’est sur le coup de 5h du matin qu’un coup de téléphone retentit. Un navire a été repéré fonçant vers la côte, un peu plus loin vers le nord.

 

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L’intercepteur fend alors les eaux une fois de plus à vive allure pour arriver jusqu’à cette fameuse embarcation. Mais impossible de l’intercepter directement, le platier oblige le navire à contourner. L’alarme tonitruante du navire de police retentit, le navire ralentit. Autre fausse alerte, il s’agit d’une barque de pêcheurs venus de Sohoa. Néanmoins la vitesse de réaction et d’intervention de l’intercepteur reste impressionnante, rendu sur place en quelques minutes à peine.
Une nuit sans la moindre interception et finalement plutôt calme, mais qui souligne néanmoins le caractère éprouvant du quotidien des policiers. Et ce, sans même mentionner l’épreuve physique, mentale et émotionnelle que consistent les interceptions de kwassas lorsqu’elles surviennent...

Les interceptions de kwassas, des évènements périodiques et aléatoires

 

S’il est une donnée à garder en tête lorsque l’on considère le travail de la police aux frontières, c’est bien la dimension aléatoire des interceptions. Parfois, plusieurs kwassas sont repérés et interceptés lors d’une,seule et même nuit. Mais parfois, les heures se succèdent sans que la moindre barque ne surgisse à l’horizon...

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Au mois de juin 2021, selon les chiffres du dernier baromètre de la lutte contre l’immigration clandestine, pas moins de 34 kwassas étaient interceptés ou forcés à faire demi-tour, soit 36% de plus qu’au moins de juin 2020. La preuve chiffrée – et étayée– que le nombre d’interceptions augmente considérablement cette année. Mais il s’avère néanmoins possible de passer une nuit entière aux cotés de la PAF sans en apercevoir aucun.

Une réalité aléatoire qui s’explique par plusieurs facteurs. Les conditions météorologiques dans un premier temps. Par temps agité, les détections radars se font plus difficiles. De la même façon, les risques augmentent si la houle est trop forte, ce qui peut s’avérer dissuasif pour les candidats au départ. Et si au contraire par mer calme les conditions de traversée sont facilitées, la détection l’est aussi... Difficile d’en tirer une constante catégorique.

Autre facteur : la période de l’année. La rentrée scolaire est un moment de plus forte arrivée de kwassas, à l’instar des fêtes religieuses par exemple. Mais il est un autre critère autrement plus dérangeant pour les forces de l’ordre : la présence d’informateurs sur le quai Issoufali, qui préviennent les passeurs lorsque les intercepteurs partent en mission.

Autre élément explicatif, le manque de barques et de moteurs : suite aux nombreuses interceptions récentes, le matériel peut venir à manquer pour les passeurs.
Quoiqu’il en soit, les policiers aux frontières considèrent qu’une nuit sans interceptions restent une nuit réussie, et ce parce que cela atteste indéniablement de la puissance dissuasive ainsi que de l’efficacité du vaste dispositif mis en place...
 

Quel sort pour le bétail embarqué à bord des kwassas ?

Si la scène peut sembler improbable, il arrive aux policiers qui sillonnent les mers de tomber sur des kwassas avec du bétail à leur bord. Zébus, chèvres, moutons... Et ce pour une raison simple : la revente. Selon les policiers le prix de vente d’un zébus est multiplié par dix, de l’achat à Anjouan jusqu’à la revente à Mayotte ( de 400 à 4000 euros environ).

Pendant la traversée, les animaux ont les pattes attachées, et baignent dans leurs propres déjections. Mais une fois le kwassa intercepté, le bétail reste à bord tandis que la barque est tractée. Une fois à quai, les forces de l’ordre demandent aux passagers de débarquer les animaux eux-mêmes, hissant les carcasses ankylosées hors du navire. Finalement, un professionnel embarquera les animaux pour les euthanasier systématiquement avant de les enfouir, pour ne pas risquer une contagion avec des maladies toujours présentes à Anjouan.
Si la traversée s’avère déjà risquée et inconfortable à la base, difficile d’imaginer ce que cela donne avec un zébu à bord...
 

Mathieu Janvier