Procès du crash de la Yemenia : la formation des pilotes en question

Manifestation de l'association Familles des Victimes de la Catastrophe Aérienne de la Yemenia Airways, en 2019 (crédits Facebook AFVCA)

Procès du crash de la Yemenia : la formation des pilotes en question

Les deux pilotes de l'A310 qui s'est abîmé dans l'océan Indien le 29 juin 2009 étaient-ils assez formés ? La question a fait l'objet de débats techniques lundi 16 mai au procès à Paris de la compagnie Yemenia, qui opérait ce vol ayant coûté la vie à 152 personnes.

 

Les investigations ont conclu que la catastrophe, qui n'a laissé qu'une seule rescapée de 12 ans, avait été causée par une série d'erreurs de l'équipage au moment de l'approche de l'aéroport de Moroni, capitale des Comores.

Formation «lacunaire»

La compagnie nationale yéménite est jugée pendant un mois pour homicides et blessures involontaires, soupçonnée, en particulier, d'avoir fourni une formation «lacunaire» au pilote et au copilote - des «manquements» qu'elle conteste en bloc. En ouverture de la deuxième semaine du procès, deux experts aéronautiques, mandatés pendant l'instruction, sont revenus à la barre pour réagir à trois nouvelles consultations produites par les avocats de la Yemenia.

À partir de ces expertises commandées par la défense, basées sur «cinq classeurs» de documents transmis à la fin de l'information judiciaire, les avocats de la compagnie s'attachent à semer le doute en portant une thèse, résumée au détour d'une question: «c'est une faute de pilotage, pas une faute de la compagnie».

«Mailles du filet»

À la barre, les experts le répètent: la formation du copilote a été anormalement longue - un an, une durée «inenvisageable» et signe de «fragilités». Il a pu passer entre «les mailles du filet» du système interne de sélection à la Yemenia, suggèrent-ils. La consultation de la défense auprès d'un formateur sur A310 ne relève pourtant pas cette durée et insiste sur le «facteur humain»: un «stress» aigu qui aurait pu être provoqué par des conditions météo très difficiles.

«Le stress ne peut pas tout expliquer», répliquent à la barre les témoins, eux-mêmes pilotes et formateurs. «La formation, l'entraînement, a pour but justement d'armer les pilotes pour résister au stress et ne pas subir, avec des conséquences graves, les éléments extérieurs, comme les turbulences, la météo, le mauvais fonctionnement d'un avion», expliquent-ils.

«Pas de preuve» de formation

Dans la compagnie, il y a bien trace de ces formations au stress, regroupées sous le sigle «CRM» (cockpit ressource management) - mais «on n'en a pas les détails», soulignent les experts. Ce soir-là, à cause de la force du vent, l'avion a été contraint à une manœuvre d'approche plus délicate.

Les pilotes ont-ils eu une formation spécifique à l'aéroport de Moroni, classé comme difficile du fait de sa proximité avec le relief d'un volcan ? Un document, projeté à l'audience, acte bien que les pilotes ont fait, dans le cadre de leur cursus, l'aller-retour depuis Sanaa, au Yemen - le même trajet que le soir de l'accident, souligne la défense. Mais «nous n'avons aucun document qui nous prouve que les équipages ont été formés» sur place, constatent les experts.

«Préjugé»

La défense a aussi produit une consultation météorologique. «Dans les cinq mois précédant l'accident», le vent n'a dépassé qu'à «deux reprises» les trente nœuds (55 km/h), résume un avocat de la Yemenia: «Est-ce que du coup, vous êtes d'accord pour dire que cette nuit était exceptionnelle ?» «C'était une nuit plus agitée que d'habitude», reconnaît un expert. Pour autant, selon lui, les conditions restaient «bonnes»: à l'altitude où l'avion évoluait, il y avait «dix kilomètres de visibilité, or il était à trois, quatre kilomètres de la piste d'atterrissage».

«Le vol était turbulent» mais «je pense que ça nous est arrivé des milliers de fois d'avoir des vols turbulents, ce n’est pas exceptionnel», balaie-t-il. Au fil des questions, une autre interrogation subsiste: la compagnie était-elle au courant que les feux signalant les obstacles autour de l'aéroport étaient en panne depuis cinq mois - ce qui aurait dû l'obliger à arrêter les vols de nuit ?

«On ne peut pas (le) prouver mais il nous semble évident que l'ensemble des intervenants, la compagnie, l'aéroport, se complaisaient en quelque sorte dans cet état dégradé des lumières», résume l'un des témoins.

«Il s'agit d'un préjugé, vous n'avez aucune preuve de cela», tance un avocat de la défense.

«C'est une forte présomption», préfère l'expert.
 

Avec AFP