Enquête sur le chlordécone aux Antilles : Le parquet de Paris demande un non-lieu

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Enquête sur le chlordécone aux Antilles : Le parquet de Paris demande un non-lieu

Le parquet de Paris a demandé un non-lieu dans l'enquête sur l'empoisonnement à vaste échelle lié à l'utilisation du chlordécone aux Antilles, a-t-il indiqué vendredi à l'AFP, confirmant une source proche du dossier.

Cette étape était attendue depuis que les juges d'instruction parisiens du pôle de santé publique avaient clos leurs investigations sans avoir procédé à des mises en examen. Interdit dans l'Hexagone en 1990, ce pesticide a continué à être utilisé aux Antilles jusqu'en 1993 où il est soupçonné d'avoir provoqué une vague de cancers.

Dans son réquisitoire définitif daté de jeudi, consulté par l'AFP, le parquet considère notamment que les faits semblent prescrits, s'agissant notamment de l'empoisonnement, ou non caractérisés, concernant l'administration de substances nuisibles. Pour le parquet, les plaintes procédaient notamment d'un « besoin d'information sur l'ensemble des éléments ayant présidé à la réglementation du chlordécone », auquel les magistrats ont tenté de répondre « de la manière la plus exhaustive possible ».

« Une décision de non-lieu, loin d'être un déni de justice, constitue une décision judiciaire à part entière après examen et analyse de l'ensemble des éléments de la procédure concernée », prend le soin de souligner le parquet dans son réquisitoire définitif daté de jeudi, consulté par l'AFP. « Elle n'est pas non plus l'affirmation qu'aucun résultat dommageable n'a été entraîné par l'usage du chlordécone durant la période de son autorisation et ultérieurement », ajoute-t-il.

Il appartient désormais aux juges d'instruction de rendre leur décision finale dans ce dossier très sensible en Guadeloupe et en Martinique où plus de 90% de la population adulte est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France.

La population antillaise présente par ailleurs un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde et ces cancers liés à l'exposition au chlordécone ont été reconnus comme maladie professionnelle en décembre, ouvrant la voie à l'indemnisation d'exploitants et ouvriers agricoles.

L'enquête avait été ouverte en 2007 après le dépôt par plusieurs associations antillaises d'une plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible. En 2021, les juges d'instruction chargés du dossier avaient fait part à plusieurs parties civiles de leur analyse selon laquelle les faits seraient dans leur grande majorité prescrits.

L'annonce de la fin des investigations sans aucune mise en cause avait déjà soulevé un tollé fin mars. « La tournure que prend cette scandaleuse affaire est préoccupante car on s'achemine vers un déni de justice », avaient ainsi dénoncé les avocats de l'association Pour une écologie Urbaine.

« Un crime sur le crime »

« Nous avons déjà affûté nos armes », prévient auprès de l'AFP Harry Durimel, avocat, rédacteur de la plainte initiale contre l'empoisonnement au chlordécone et maire écologiste de Pointe-à-Pitre, dans l'attente de l'ordonnance des juges d'instruction. « La population doit savoir que dans ce combat pour lequel nous nous sommes engagés il y a 20 ans, nous n'avons jamais baissé les bras », a-t-il ajouté.

« De qui se moque-t-on dans ce dossier ? Il va bien falloir que les Martiniquais réagissent, bien au-delà du volet judiciaire et qu'ils se mobilisent dans la rue », a réagi Me Louis Boutrin, avocat de l'association martiniquaise « Pour une Ecologie Urbaine », partie civile. « Nous avons déjà pris rendez-vous le 10 décembre pour nous mobiliser », a annoncé à l'AFP Philippe Pierre-Charles, un des porte-parole du Lyannaj Pou Dépolyé Matinik, un collectif d'associations engagé dans la lutte contre le chlordécone. La décision du parquet est pour lui « un crime sur le crime ». 

La possible prescription de l'action publique a par ailleurs déjà suscité indignation et colère aux Antilles, notamment en Martinique où 5 000 à 15 000 personnes avaient par exemple défilé dans les rues de Fort-de-France fin février 2021. 

Avec AFP.