TRIBUNE : « On ne nait pas illéttré.e, on n’est donc pas forcé de le rester » par l’auteure réunionnaise Gaëlle Belem

TRIBUNE : « On ne nait pas illéttré.e, on n’est donc pas forcé de le rester » par l’auteure réunionnaise Gaëlle Belem

©Getty Images

Enseignante originaire de Saint-Benoît, Gaëlle Belem a publié en mars dernier son premier roman « Un monstre est là, derrière la porte » aux éditions Gallimard. Dans une tribune libre sur l’illettrisme à La Réunion, publié sur Outremers360, l’auteure fait le point de la situation sur son île, et appelle les adultes à montrer l’exemple en « accompagnant les plus jeunes dans la découverte de la lecture ». « Son apprentissage et, surtout, sa pratique régulière sont les premières solutions concrètes de lutte contre ce fléau ».

Malgré l’école gratuite, les médiathèques et les librairies, l’illettrisme rend encore bien tristes nos tropiques.
Bien qu’il soit difficile d’en connaître le nombre exact et son évolution précise, on comptait plus de 116 000 illettré.e.s à l’île de La Réunion en 2011. Au pays de Leconte de Lisle et d’Eugène Dayot, les illettré.e.s représentaient alors un peu plus de 20 % des 16-65 ans soit 1 habitant sur 5 ! Stupeur et tremblements !

On connaît tou.te.s un.e illettré.e, un monsieur Tout-le-Monde qui trouve difficile de rédiger une lettre, lire le carnet scolaire de son petit dernier, suivre les consignes d’une machine bizarre qui lui ordonne de déposer son chèque ou de taper un code.

Il y a aussi madame Unetelle qui, malgré ses anciennes années de scolarité, peine à lire et comprendre un courrier, une notice de médicaments, un schéma, une consigne de sécurité.

Si vous avez échappé à leur impuissance gênée, à leur regard suppliant, vous avez certainement côtoyé à l’école un.e élève qui ne maîtrisait guère les savoirs de base. Lire des mots, comprendre un texte, en écrire un troisième ; faire un calcul, comparer, classer, trier : aussi redoutable que l’ascension de ce fichu Piton des neiges. Ils n’y arrivent pas. Pas très bien. Plus du tout.

Mais, vous êtes là. Quelle lettre, quel appareil bizarre ? Trois fois rien. Alors, vous leur venez en aide. Dans un élan qui mêle bienveillance, altruisme et bonté, vous lisez et expliquez à voix haute. Et ce que l’illettré.e a perdu en autonomie, il le retrouve en explication claire.

On ne naît pas illettré, on n’est pas forcé de le rester !

À La Réunion, l’illettrisme concerne plus les hommes que les femmes, les membres de familles pauvres que les riches. Il s’acharne particulièrement sur celles et ceux qui ne lisent jamais ou très rarement durant leur enfance. La majorité des illettré.e.s n’ont pas dépassé le secondaire. Pour beaucoup, le primaire fut leur crépuscule. Près de 15 % des 16 et 25 ans étaient en situation d’illettrisme en 2015. Il fut même un temps où 2/3 des illettré.e.s étaient au chômage !

L’illettrisme réduit les chances de trouver un emploi, de faire des études supérieures, d’avoir une aisance financière. Il accroît la pauvreté, les inégalités sociales, l’exclusion. Il bride également l’éloquence, pourtant essentielle dans une société où il faut argumenter et convaincre en permanence pour être écouté. L’illettrisme (auquel s’ajoutent désormais l’illectronisme et l’innumérisme) décuple les difficultés de la vie privée, mais aussi professionnelle, sociale et culturelle. Lutter contre ce fléau, c’est donc lutter contre la misère intellectuelle, matérielle, et sociale. Lutter contre l’illettrisme, c’est donner à tou.te.s les capacités de communiquer efficacement.

Puisque c’est la rentrée scolaire – nouvelle année dans l’année, propice aux bonnes résolutions –, puisqu’on sait quel champ des possibles s’ouvre à celles et ceux qui lisent et écrivent, (ré)agissons face à cette grande cause locale. Travaillons aux côtés des enseignant.e.s, et des associations qui gèrent les cases à lire ou assurent des sessions de remise à niveau.

Il va bien falloir que nous, adultes – parents ou non – donnions encore l’exemple, en matière de lecture et de solidarité. Pas un jour sans une ligne ! Si les enfants nous voient tenir, lire, choyer un livre, ils liront sûrement. Mais si nous évitons farouchement les librairies et les rayons livres des espaces culturels, il est probable que les enfants finissent aussi par prendre d’autres voies.

Si nous leur offrons un livre régulièrement, nos enfants bouderont peut-être, mais liront finalement. Si roman, bande dessinée, poème, journal, calcul, dictionnaire sont des mots avec lesquels nous nous réconcilions, les jeunes feront les mêmes pactes d’amitié. Lire, écrire, compter rendent autonome, meilleur.e, plus ouvert.e d’esprit, plus tolérant.e. Pour chaque livre ouvert, c’est bien un cachot que l’on ferme, une masure que l’on rase, des œillères que l’on ôte.

Dès lors, prévenons l’illettrisme en accompagnant les plus jeunes dans la découverte de la lecture. Son apprentissage et, surtout, sa pratique régulière sont les premières solutions concrètes de lutte contre ce fléau. Malgré la fatigue de nos jours de travail, la concurrence des réseaux sociaux, les plates-formes de vidéos à la demande, lisons ! Aujourd’hui autant que demain. Lisons à nos enfants, comme à nous-mêmes.

Dans notre société extrêmement connectée, la modernité, le véritable progrès, et par là-même le bonheur, c’est peut-être de savoir se poser, c’est-à-dire s’élever et élever nos enfants au moyen de la lecture.

©Mantovani

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Gaëlle Bélem